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Se retournant pour s’adosser à la cloison, Min essuya la sueur qui ruisselait sur son front – en vain, car le phénomène recommença aussitôt. Dans ce fichu appentis, on crevait de chaud, mais ses deux compagnes ne semblaient pas s’en apercevoir. Vêtue d’une robe d’équitation sombre très semblable à celle de Min, Siuan, étendue sur le dos, contemplait le plafond de l’appentis en se tapotant distraitement le menton avec un fétu de paille. Le teint cuivré, aussi grande que bien des hommes, mais plus élancée, Leane, en sous-vêtements, travaillait sur sa robe avec une aiguille et du fil. Après qu’on leur eut confisqué toutes les armes et tous les objets qui auraient pu servir à une évasion, les trois femmes avaient eu le droit de conserver leurs sacoches de selle.

— En Andor, demanda Min, que risque-t-on pour avoir brûlé une étable ?

— Avec de la chance, répondit Siuan sans broncher, des coups de ceinture ou de bride sur la place publique. Sinon, ce sera le fouet…

— Et c’est ça que tu appelles de la chance ?

Siuan roula sur le côté et se releva sur un coude. D’une constitution robuste, la Chaire d’Amyrlin récemment destituée était un peu plus que jolie sans pourtant pouvoir être qualifié de « belle ». En apparence, elle semblait à peine plus âgée que Min, mais la lueur d’autorité qui brillait dans ses yeux bleus n’aurait rien eu à faire dans ceux d’une jeune femme attendant son procès dans un appentis, au milieu d’un village isolé. En certaines occasions, Siuan ne valait pas mieux que Logain en matière d’emportement et d’écarts de langage. Parfois, elle pouvait même se montrer pire.

— Une fois les coups de ceinture ou de bride reçus, dit-elle d’un ton réprobateur, comme si les enfantillages de Min l’agaçaient, nous pourrons nous remettre en chemin. Avec le fouet, ce serait une autre affaire… Donc, il s’agit bien de la peine la plus légère que nous risquons. Celle qui nous fera perdre le moins de temps. Et immensément moins que la pendaison, par exemple. Même si je doute que nous en arrivions là, connaissant les lois du royaume d’Andor…

Plutôt que de pleurer à chaudes larmes, Min préféra un éclat de rire un rien étranglé.

— Perdre du temps ? Mais si ça continue, nous en aurons eu à revendre – et pour rien ! Je jurerais que nous avons fouillé tous les villages, entre ici et Tar Valon, sans jamais rien trouver. Pas un indice, pas un murmure… Je me demande s’il y a seulement un rassemblement… Bon, à présent, nous sommes à pied, puisque Logain est parti avec les chevaux. À pied, mais surtout, incarcérées dans un appentis à attendre la Lumière seule sait quoi !

— Ne mentionne pas de noms, souffla Siuan avec un regard appuyé à la porte derrière laquelle se tenait un garde. Quand on a la langue un peu trop vive, on risque de se retrouver dans le filet à la place du poisson.

Min eut une grimace. En partie parce que les métaphores à base de poisson l’agaçaient – Siuan venait de Tear, on ne risquait pas de passer à côté – mais surtout parce qu’elle avait raison. Jusque-là, les trois femmes avaient avancé plus vite que certaines nouvelles déplaisantes – « mortelles » aurait été un meilleur mot – mais il arrivait que celles-ci parcourent une bonne quarantaine de lieues en moins de vingt-quatre heures. Pour plus de sûreté, Siuan voyageait sous le nom de Mara, Leane se faisait appeler Amaena et Logain – après que Siuan l’eut convaincu que Guaire était un choix stupide – avait adopté Dalyn comme pseudonyme. Même si Min pensait que personne ne reconnaîtrait son nom, Siuan avait insisté pour la rebaptiser Serenla.

Logain lui-même ne connaissait pas la véritable identité de ses compagnes.

Mais le pire problème était ailleurs. Après des semaines d’échec – et la catastrophe actuelle pour finir – Siuan refusait de se rendre à la raison. À la moindre suggestion de gagner Tear – ce qui eût été une démarche intelligente – elle entrait dans une rage qui ébranlait jusqu’à Logain. Plus les recherches s’étaient révélées infructueuses, et plus le caractère de Siuan avait viré à l’orage.

Cela dit, elle tempêtait bien avant ses déconvenues…

Instruite par l’expérience, Min ne se serait pas hasardée à prononcer à voix haute cette dernière phrase.

Ayant fini ses travaux de couture, Leane enfila sa robe et passa les bras dans son dos pour la boutonner. Détestant le fil et l’aiguille, Min se demanda pourquoi l’ancienne Gardienne des Chroniques s’était donné tant de mal. Le décolleté était un peu moins pudique, à présent, et la robe un peu plus moulante sur la poitrine et les hanches. Mais pour quoi faire ? Dans cet appentis transformé en étuve, personne n’allait inviter Leane à danser !

Farfouillant dans les sacoches de selle de Min, Leane en sortit le coffret en bois qui contenait des boîtes de fard, de diverses poudres et d’autres futilités du genre. Le « matériel » que Min, sous la contrainte de Lara, avait dû emporter. Bien décidée à balancer tout ça, la jeune femme, bizarrement, ne l’avait jamais fait. Ouvrant le coffret, Leane se contempla dans le petit miroir fixé à la face interne du couvercle, puis elle entreprit de se maquiller avec une série de pinceaux miniatures en poil de lapin. Jusque-là, Min ne l’avait jamais vue accorder le moindre intérêt à cet exercice. Et voilà qu’elle semblait contrariée de ne trouver qu’une brosse en ébène et un petit peigne en ivoire pour prendre soin de ses cheveux. Cerise sur le gâteau, elle marmonna entre ses dents, agacée de n’avoir aucun moyen de chauffer le fer à friser. Depuis le début de la quête de Siuan, les cheveux noirs de Leane avaient certes poussé, mais ils ne lui arrivaient pas encore aux épaules.

— Que fais-tu donc, Lea… Amaena ? demanda Min après avoir un moment observé la femme en silence.

Consciente d’avoir encore failli gaffer, elle évita de regarder Siuan. Car enfin, elle était capable de ne pas dire n’importe quoi ! Mais être enfermée comme une poule – et dans une étuve, en plus – avec un procès en guise de perspective d’avenir… Pendue, fouettée, punie à coups de ceinture… Rien de bien engageant.

— Tu veux devenir une séductrice ?

Une plaisanterie, bien sûr, pour alléger l’atmosphère. Leane était un parangon de sérieux et d’efficacité. Mais la réponse fut surprenante :

— Oui, c’est exactement ça ! (Ouvrant les yeux en grand, Leane réalisa sur ses cils une mystérieuse opération.) Si nous séduisons le bon mâle, nous n’aurons peut-être plus à nous inquiéter du châtiment. Au minimum, je me sens capable de nous obtenir un allégement de peine.

Alors qu’elle levait la main pour s’essuyer de nouveau le front, Min ne put s’empêcher de couiner de surprise. On aurait cru entendre un hibou annonçant qu’il voulait se transformer en colibri.

— Qu’est-ce qui t’a donné cette idée ? demanda Siuan en se relevant.

Sous le regard qu’elle riva sur Leane, Min aurait sûrement fini par avouer des choses qu’elle avait oubliées. Quand Siuan vous regardait ainsi, on se retrouvait en train de s’incliner, puis de lui obéir au doigt et à l’œil, même avant de l’avoir décidé consciemment. Le plus souvent, Logain lui-même n’échappait pas à cette règle. Mais lui, il ne s’inclinait pas.

Après avoir passé sur ses joues un petit pinceau, Leane examina le résultat dans un miroir. Jetant un coup d’œil à Siuan, elle ne se laissa pas impressionner et répondit de son ton cassant habituel :

— Ma mère était une négociante en fourrures et en bois, sais-tu ? Un jour, je l’ai vue semer le trouble dans l’esprit d’un seigneur du Saldaea au point qu’il finisse par lui céder toute sa production de bois de l’année pour moins de la moitié du prix qu’il avait annoncé au début. Et je doute qu’il ait compris ce qu’il avait fait avant d’être rentré chez lui. S’il s’en est aperçu… Plus tard, il lui a envoyé un bracelet en pierre de lune… Les Domani ne méritent pas leur mauvaise réputation, en grande partie fondée sur les médisances de puritains haineux, mais tout n’est quand même pas de l’affabulation. Et bien entendu, ma mère et mes tantes m’ont prodigué leur enseignement en même temps qu’à mes sœurs et mes cousines.