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Tous les téléphones sonnaient en même temps. Le nuage de fumée blanchâtre se dissipait doucement, indiquant l’explosif utilisé : de l’hexogène, trois fois plus puissant que le TNT. Hébété, un rescapé du Bradley fut amené dans le bureau du chef de station, pour un compte rendu.

Robert Carver, écouteur à l’oreille, suivait distraitement la conversation de l’ambassadeur, hystérique, cherchant à déterminer l’ampleur de la catastrophe. Les hurlements des innombrables sirènes des ambulances accourant de partout lui vrillaient les nerfs. Dans un grondement rassurant, un gros hélicoptère se posa sur la promenade, déversant de nouveaux Marines.

Bien entendu, la Volvo grise avait depuis longtemps disparu, échappant sans peine aux barrages-passoire de l’armée libanaise. Cela serait le travail du chef de station de la retrouver. Aussi facile que de chercher une aiguille dans une botte de foin.

Chapitre II

Beyrouth !

Le visage appuyé au hublot du vieux 707, Malko regardait grandir les immeubles grisâtres et plats, l’enchevêtrement des rues étroites et tortueuses, piquetées de quelques gratte-ciel qui, depuis les combats de la guerre civile, n’étaient plus que des carcasses vides. Depuis huit ans, les différentes factions libanaises s’expliquaient au 155, de quartier à quartier.

Pourtant, du ciel, tout semblait normal : des rubans de voitures agglutinées dans les ruelles sinueuses de cette agglomération chaotique, poussée anarchiquement, entre la rivière Beyrouth et la mer. Depuis 1975, la ville était coupée en deux. À l’est, entre la rivière Beyrouth et le centre-ville, le réduit chrétien. À l’ouest, les musulmans et les progressistes, tous unis contre les chrétiens. Au milieu, ce qu’on avait surnommé la « ligne verte », depuis des années, un no man’s land mortel, franchissable seulement au péril de sa vie. Aujourd’hui, la situation était plus calme et les deux parties de Beyrouth avaient recommencé à communiquer timidement.

Cependant, les chrétiens demeuraient sur leurs gardes, avec en plus la nouvelle menace des quartiers de la banlieue sud, des musulmans chiites rassemblés sous la bannière d’Amal[3], l’organisation ralliée aux adversaires des chrétiens. Ceux-ci, serrés frileusement autour de la colline d’Achrafieh, centre de leur réduit, priaient, sans trop y croire pour que cette trêve précaire se prolonge.

Le 707 vira légèrement, se rapprochant du sol, et Malko découvrit quelques ruines déchiquetées bordant la grande promenade du bord de mer terminant Beyrouth Ouest. Il était curieux et excité de retrouver le charme pervers, sulfureux et secret de cette cité laide comme Saigon et tout aussi grouillante de mille trafics, combines, guerres intestines, fourmillante de coups tordus à l’orientale. Les Américains devaient y être perdus comme dans une autre galaxie …Une voix veloutée et quand même un peu rauque troubla sa méditation :

— Attachez votre ceinture, monsieur.

Avec un sourire pareil, on aurait attaché n’importe quoi. Il suivit des yeux les jambes superbes de l’hôtesse brune qui lui souriait depuis Chypre. De quoi agréablement pimenter les risques de Beyrouth. Petit cocktail explosif qui lui faisait déjà passer un frisson délicieux dans la colonne vertébrale.

Il revint au hublot. Les toits plats de Jnah semblaient à portée de la main. Ils firent place à des zones non construites bordant la mer. L’appareil des Middle East Airlines, descendant vers l’aéroport de Khaldé, au sud, évitait prudemment de survoler les quartiers chiites, pour ne pas tenter un excité du RPG 7[4]. D’ailleurs, depuis belle lurette, aucune compagnie civilisée ne se posait à Beyrouth, où l’aéroport n’ouvrait que lorsque la pluie d’obus n’était pas trop dense.

Son voyage avait été une épopée. D’abord, l’aéroport de Beyrouth étant fermé, il avait été question de passer par Chypre et de là continuer en ferry jusqu’à Jounieh, port contrôlé par les chrétiens …

Il en avait profité pour aller renouveler la garde-robe d’Alexandra à Paris.

Et, miracle, l’aéroport de Beyrouth avait rouvert ! Hélas aucun vol ne partait de Paris. Il fallait gagner Chypre via Le Caire. Malko s’était retrouvé dans le nouveau vol Air France pour Riyad, qui s’arrêtait tantôt à Damas, tantôt au Caire, selon les jours. Hélas, si l’Airbus d’Air France s’était posé au Caire avec une ponctualité de coucou, il avait découvert en arrivant que le vol Middle East pour Chypre était retardé de plusieurs heures. Bien sûr, cela lui permettait une sieste digestive, afin d’éliminer le foie gras et le bordeaux servis en première, mais l’aérogare cairote offrait des charmes limités.

Il avait résolu son problème : grâce à un somptueux bakchich versé par l’employé de Budget à un policier de l’immigration, Malko avait obtenu un visa d’entrée temporaire. Et en avant pour les pyramides ! La circulation en Égypte était toujours aussi anarchique, mais la Peugeot de Budget lui avait permis de retrouver le site impressionnant des pyramides et de se remémorer sa mission au Caire[5].

Second miracle : le 707 des Middle East Airlines avait fini par arriver ! Assiégé par une meute de passagers exaspérés. Évidemment, là, il n’y avait pas d’enregistrement séparé pour les premières. Tout le monde avait fini par se caser et le vieux 707 avait pris le chemin de Chypre.

Maintenant, il basculait dans un autre monde. Train sorti, le 707 virait au-dessus du camp des Marines. Le regard de Malko glissa vers les collines à l’est, le Chouf, massif courant du nord au sud, le long de la cuvette du Grand Beyrouth. Quelques champignons noirâtres surgissaient par-ci, par-là : des impacts d’obus. La guerre civile continuait.

Les roues touchèrent le sol et le 707 ralentit progressivement. Puis il reprit soudain de la vitesse, comme s’il s’apprêtait à redécoller. La voix suave et rauque de l’hôtesse annonça aussitôt :

— Le commandant de bord demande aux passagers de ne pas s’inquiéter. Plusieurs obus de 155 viennent de tomber à l’entrée de la piste et il s’éloigne de la zone dangereuse le plus vite possible. Merci de votre compréhension.

Aucun des passagers ne manifesta la moindre surprise. C’était le Liban. L’hôtesse raccrocha son micro, souriant à Malko comme si elle ne s’adressait qu’à lui. Elle avait vraiment un corps de rêve, sous un visage un peu irrégulier, éclairé par un regard brûlant, comme si elle avait fumé du hasch dans les toilettes, entre deux prestations. Repérant le regard insistant de Malko, elle ondula jusqu’à son siège.

— Vous avez besoin de quelque chose, monsieur ?

— Je me demandais seulement comment vous vous appeliez, dit-il en souriant.

— Mona, monsieur. Nous sommes arrivés.

Le 707 venait de s’immobiliser avec une petite secousse. Les portes s’ouvrirent, laissant entrer une rafale de pluie. Tandis qu’il traversait le tarmac jusqu’à l’aérogare, Malko entendit les coups sourds de départs d’artillerie, ébranlant le silence à intervalles réguliers.

L’état pitoyable de l’aérogare lui serra le cœur : les plafonds défoncés pendaient lamentablement, la plupart des vitres avaient disparu et les murs étaient criblés d’impacts de tous les calibres. Les passagers se hâtaient de s’éloigner comme si tout allait sauter d’un moment à l’autre. Malko suivit la foule et retrouva dehors la pulpeuse Mona qui traînait une lourde valise à roulettes d’un jaune criard, se frayant un chemin pour atteindre le minibus réservé à l’équipage. Fatalité : il démarra sous son nez ! Plusieurs chauffeurs de taxi assaillaient Malko, en français et en anglais :

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3

Espoir, en arabe.

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4

Roquette sol-air de fabrication soviétique, tirée à l’épaule par un seul homme.

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5

SAS n° 61: Le complot du Caire.