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— Il leur dit qu’il est envoyé par Abu Nasra, traduisit « Johnny ».

À Chiyah, une bande armée n’avait rien de surprenant. Le fait qu’ils ne se cachent pas les rendait encore moins suspects. C’est ce qu’escomptait Farouk. Malko le vit tout juste faire passer son RPG 7 de l’épaule à la main droite, tant son geste fat rapide.

— Allons-y ! dit Malko.

La partie la plus dangereuse de l’opération commençait.

Une fraction de seconde plus tard, l’enfer se déchaîna ! Les gosses tiraient tous en même temps, rafalant en vieux professionnels, par courtes giclées, coupées par les coups sourds du RPG 7. Un milicien vola en morceaux, atteint à l’épaule, et retomba en pluie. Le silence se fit. Un petit Palestinien gisait sur le côté, mort. Touché par un des gardes. Tous les miliciens étaient hors de combat.

À ce moment, Farouk se retourna, cherchant Malko des yeux. Il y eut une explosion sourde venant du garage, un nuage de fumée, qui cacha le jeune garçon. Les autres gosses se ruèrent à l’intérieur. Nouvelle fusillade, avec deux coups de RPG 7, des volutes noires sortirent du garage, puis des flammes. Malko et « Johnny » couraient déjà vers la benne. Ils y arrivèrent au moment où quatre gosses survivants refluaient, l’arme au poing, parmi eux la fillette, 45 au poing.

Farouk gisait sur le dos, un trou gros comme une assiette dans la poitrine. Atteint de plein fouet par une roquette. Des paquets de billets de cent dollars étaient éparpillés autour de son cadavre, brûlés, déchirés, et des dizaines d’autres avaient volé très loin sous le souffle. Il n’avait pas aperçu l’homme embusqué dans le garage. Le Palestinien demeura quelques secondes immobile près du gosse mort, puis reprit :

— Vite, d’autres vont venir …

Malko ouvrit la portière de la cabine de la benne à ordures. Il trouva le contact sans difficulté, et mit en route. Essayant de ne pas penser qu’en cas de contre-attaque des miliciens, une roquette suffisait à faire sauter la charge explosive dissimulée dans la benne.

Le moteur ronronna et « Johnny » sauta à côté de lui, les gosses survivants s’accrochant au marchepied. Une partie du garage brûlait, il y avait des corps étendus partout. L’attaque n’avait pas duré plus de quatre minutes. Maintenant, il leur restait à traverser tout Chiyah, au volant d’une bombe roulante.

— Laissez-moi conduire, dit « Johnny ». Qu’on ne vous voie pas.

Malko lui laissa le volant, s’installant à côté, caché par les gosses debout sur le marchepied.

Toutes les ruelles se ressemblaient, si étroites que la benne y passait à peine. Malko parcourut le tableau de bord du regard et aperçut un interrupteur collé avec du scotch, à côté de la commande des essuie-glaces.

— C’est la mise à feu de la charge avec une minuterie, commenta placidement « Johnny ». Vous aviez raison.

Le seul problème, c’est qu’ils ignoraient sa durée : vingt secondes, une minute, ou plus ?

De cette simple question allait dépendre leur vie. Ils arrivaient sur un barrage. Malko se laissa glisser sur le plancher, les gosses agitèrent leurs armes en criant et ils passèrent sans problème ! Soudain, une camionnette surgit d’une voie transversale, stoppa, et plusieurs hommes en descendirent, leur faisant signe de s’arrêter. Malko vit bondir à terre un des petits Palestiniens avec un RPG 7 deux fois gros comme lui. Agenouillé, il braqua le tube sur la camionnette.

Une déflagration sourde et le véhicule explosa, projetant son capot par-dessus les toits. Les survivants ouvrirent le feu et une grêle de balles arrosa l’arrière de la benne. Malko cessa de respirer, mais rien ne se produisit.

« Johnny » tourna, arrachant une aile à un pan de mur. Le gosse était remonté en voltige. Malko ne voyait plus ni la pluie, ni les murs lépreux, ni les quelques passants qui s’écartaient vivement. Il vivait au rythme des changements de vitesse : la benne n’était pas l’engin idéal pour une course poursuite, surtout avec une charge d’explosifs pouvant se déclencher à la moindre fausse manœuvre … Il songea au milicien chiite, deux mois plus tôt, chargé de convoyer une voiture piégée jusqu’à l’ambassade de France, et qui s’était arrêté acheter des cigarettes. Un coup de volant malheureux l’avait réduit en chaleur et en lumière, avec une cinquantaine de passants et trois immeubles. Malko se consola en se disant qu’on ne devait rien sentir.

« Johnny » freina brutalement : la rue était barrée par des piquets de fer. Derrière, un pliant avec deux barbus et une grande affiche de Moussa Sadr. Les deux hommes n’eurent pas le temps de saisir leur Kalach. Les gosses les rafalaient déjà, sans même quitter le marchepied. Il restait les piquets de fer. « Johnny » sauta à terre et Malko récupéra le volant.

— Allez-y doucement, dit le Palestinien. Je vous guide.

Malko passa la première et le pare-chocs avant de la lourde benne commença à plier les piquets. Il ne respirait plus … Centimètre par centimètre, ils se courbèrent, raclèrent le dessous de la benne. Ouf, ils étaient « passés » !

Il regarda le visage des gosses accrochés au marchepied. Crispés, tendus, mais sans la moindre trace de peur. Des rats aux aguets, prêts à bondir, à tuer, pour ne pas être tués. Il ignorait pourquoi ils restaient avec lui : pour le protéger, ou seulement parce qu’ils traversaient plus facilement la zone dangereuse ?

* * *

Les maisons étaient plus espacées. Ils approchaient de la zone non construite, entre Bordj El Brajneh et Hadeth. Un des gosses tapa sur la portière d’un coup sec. Malko ralentit. Il les vit sauter à la voltige, puis disparaître, sans même se retourner. Qu’allaient-ils devenir ? Pauvre Farouk, il ne profiterait pas de ses dollars. Il revoyait son visage étonné, couvert de sang. Lui non plus n’avait pas eu le temps d’avoir peur. La première erreur de sa courte vie.

— Attention, nous sommes suivis !

L’avertissement de « Johnny » le fit sursauter. Le rétroviseur lui renvoya l’image d’une Range-Rover qui venait de surgir d’un chemin transversal. Elle se rapprochait d’eux. Sa conviction fat faite aussitôt : c’était un des rescapés du massacre du garage, qui avait coupé à travers Chiyah, devinant où ils se rendaient. Malko accéléra, examinant plus attentivement le véhicule : surprenant, le conducteur semblait seul à bord. Il avait pourtant eu l’occasion de ramasser des miliciens …

Une pensée abominable lui serra tout à coup l’estomac. La plupart des voitures piégées, en plus de la minuterie, comportaient un système de mise à feu par télécommande. Il suffisait au conducteur de la Range-Rover, qui avait participé à la « préparation » de la benne à ordures, de se rapprocher assez près pour faire sauter Malko et « Johnny » avec le chargement d’explosifs. Or, la Range-Rover était beaucoup plus rapide que la benne jaune.

Chapitre XX

Malko eut l’impression de se trouver emprisonné dans un bloc de glace. Il ne voyait plus les ruines autour de lui, mais seulement la lisière des maisons de Hadeth et la ligne du Chouf, dans le lointain, noyée de brume. Il écrasa l’accélérateur, tout le corps en avant comme si cela pouvait faire avancer la benne plus vite. Dieu merci, la Range-Rover souffrait autant dans les trous que leur lourd véhicule … Il se tourna vers le Palestinien.

— « Johnny », dit-il, celui qui nous poursuit a probablement une télécommande pour faire exploser cette benne à distance. S’il se rapproche assez …

Le Palestinien se retourna.