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— C’est très possible, admit-il. Il va falloir l’abandonner très vite.

— Sautez, dit Malko, je vais prendre le risque de continuer. Vous avez une idée du genre de mécanisme qu’ils utilisent ?

« Johnny », le cou tordu, surveillait la Range-Rover qui cahotait.

— Cela dépend, fit-il. Je ne pense pas que ce soit quelque chose de très sophistiqué, sinon, nous serions déjà morts. Ce doit être une télécommande de jouet ou de porte de garage. Avec une portée de quelques dizaines de mètres …

La Range-Rover devait se trouver à cent mètres. Rarement, Malko avait joué une telle partie de roulette russe … La benne jaune roulait à fond. « Johnny » tira machinalement sur ses bottillons verts couverts de boue. Il ne s’était pas rasé et la barbe naissante donnait à ses traits un aspect malsain. Son gros œil de batracien demeurait rivé au rétroviseur. La distance ne diminuait pas entre les deux véhicules. Ils arrivèrent aux premières maisons de Hadeth.

— C’est encore loin ? demanda Malko.

— En ligne droite, non, expliqua le Palestinien. Mais il y a un gros barrage, nous allons effectuer un détour.

Ils ne pouvaient pas s’offrir le luxe d’un arrêt, avec la Range-Rover derrière eux. La roue avant droite de la benne plongea dans un trou boueux, projetant le cœur de Malko dans sa gorge. Le sang battait à ses tempes, à chaque seconde, il se posait la même question obsédante : quel effet cela faisait-il d’être désintégré vivant ?

La benne se mit en travers et faillit emboutir un pilier, seul vestige d’un immeuble. Le « vlouf-vlouf » d’un hélicoptère domina soudain le bruit du moteur, puis le bruit diminua.

« Johnny » s’agitait nerveusement sur la banquette. Il sembla à Malko que la Range-Rover gagnait inexorablement du terrain.

— Ici, prenez la ruelle à gauche, dit le Palestinien.

Malko braqua et la benne passa de justesse. C’était une voie étroite courant entre des maisons encore habitées. À travers l’ouverture béante creusée par un obus, on apercevait toute une famille en train de déjeuner, et qui jeta un coup d’œil étonné à la grosse benne jaune.

— À gauche, encore ! ordonna « Johnny ».

Virage à angle droit. Malko donna un brusque coup de volant, avant d’avoir achevé sa manœuvre. Il venait d’apercevoir au bout de la ruelle, des hommes armés dont l’un porteur d’un redoutable RPG 7 … « Johnny » jura, perdant pour la première fois son sang-froid.

— Je ne sais pas où ça mène !

Ils n’avaient perdu que quelques précieuses secondes. Malko essuya son front couvert de sueur. Ils surent très vite où la rue conduisait, au virage suivant : un véritable barrage fait de blocs de béton, de terre et de rails rendait tout passage infranchissable. Le pare-chocs de la benne vint s’enfoncer dans la terre molle.

Malko se retourna.

La Range-Rover fonçait vers eux. Ils étaient piégés.

* * *

Malko n’eut pas le temps d’arrêter « Johnny ». Le Palestinien avait déjà sauté à terre et courait vers la Range-Rover, glissant dans la boue, comme une monstrueuse grenouille. Malko descendit à son tour. Si la benne explosait, cela ne changerait pas grand-chose. « Johnny » avait déjà parcouru cinquante mètres. Il s’accroupit, épaula son Kalachnikov et tira la moitié de son chargeur …

Le pare-brise de la Range-Rover s’étoila, puis devint opaque, la voiture zigzagua, continuant quand même à avancer, sans qu’on sache si son conducteur était toujours vivant.

Le Kalachnikov tira encore trois fois, puis, comme au ralenti, Malko vit le pare-chocs de la Range-Rover heurter de plein fouet « Johnny » et le projeter à terre. Il lui sembla qu’une des roues passait sur le Palestinien. Tétanisé, Malko s’immobilisa, tous ses muscles bandés, tandis que la Range-Rover basculait, effectuait un tonneau et s’écrasait sur un monceau de plaques de béton.

Malko courut jusqu’à « Johnny ». Le Palestinien, allongé sur le dos, était livide, les yeux ouverts. Une mousse rosâtre perlait aux commissures de ses lèvres. Lorsque Malko voulut lui toucher la poitrine, il poussa un cri étouffé :

— J’ai mal, oh, j’ai mal.

Le pare-chocs, lui avait défoncé la cage thoracique, et, une côte avait dû percer la plèvre et les poumons. Il respirait à peine, par petits coups, la bouche grande ouverte, une main comprimant sa poitrine.

— Reculez, murmura-t-il. Essayez de franchir le barrage, ensuite c’est tout droit jusqu’à la voie de chemin de fer. Puis, à droite. Vous reconnaîtrez …

Il eut un hoquet et ferma les yeux. Malko sentit qu’il était en train de mourir. Il ne pouvait rien pour lui, et les coups de feu risquaient d’avoir alerté des miliciens. Il courut jusqu’à la benne. Plus tard, on ferait les comptes … En montant, il remarqua sur le plancher une languette de métal pivotante. Il réalisa immédiatement qu’il s’agissait d’un dispositif destiné à bloquer l’accélérateur. Ceux qui l’avaient « préparée » avaient tout prévu. Il remonta, repartit en marche arrière, évitant de peu le corps de « Johnny » qui ne donnait plus signe de vie.

Dans les débris de la Range-Rover, il aperçut un homme effondré sur son volant, ruisselant de sang. « Johnny » lui avait sauvé la vie. Il essaya de ne plus y penser. Posant le 357 Magnum sur ses genoux, il acheva sa marche arrière, puis accéléra dans la ruelle étroite. Vingt mètres plus loin, un milicien armé lui fit signe de stopper sur une petite place.

Malko ralentit, pour lui donner confiance. Puis, parvenu à quelques mètres, il écrasa l’accélérateur. Le milicien évita d’être heurté d’un bond de côté. Au passage, Malko aperçut plusieurs hommes stupéfaits, entendit des cris. Quelques secondes plus tard, une tête barbue surgissait à la portière opposée. Il saisit le 357 et tira.

La tête disparut sans qu’il sache s’il avait fait mouche. Dans le rétroviseur, il vit ses poursuivants s’essouffler, courir vers une Land-Rover. Ils risquaient d’arriver trop tard. Concentré sur sa conduite, il oublia le danger. Le chemin semblait interminable. Enfin, il vit les rails courant vers le sud, depuis longtemps désaffectés. Il emprunta le sentier qui les suivait. Là aussi, tout avait été nivelé par les bombes et les obus, sauf quelques cabanes. Il n’avait plus qu’une hantise : ne pas retrouver le garage d’où partaient les ULM.

Le sentier continuait et l’angoisse se transforma en rage. Il avait été trop loin !

Presque aussitôt, il aperçut le minaret de la mosquée détruite qui lui servait de point de repère. La base d’Abu Nasra était sur sa droite à moins de cinq cents mètres. Il inspecta le ciel : les engins n’étaient pas encore partis. D’ailleurs, s’ils étaient bien renseignés, les Fous de Baalbek savaient que le rendez-vous entre le président Gemayel et l’ambassadeur des États-Unis était à neuf heures. Sa Seiko-Quartz indiquait huit heures. De Hadeth à Baabda, il y avait à peine cinq minutes de vol … Sur sa gauche, il distingua le terre-plein et la clôture de barbelés surmontant le remblai et les vieux autobus qui protégeaient la base terroriste. Il n’y avait plus qu’à le suivre pour trouver la chicane menant au point stratégique. En souhaitant que les barrages ne s’avèrent pas infranchissables …

* * *

Abu Nasra contemplait ses hommes en train de repousser lentement la porte blindée protégeant le hangar des trois ULM. Le chef de mission se trouvait dans un état d’excitation indescriptible. Toute la nuit, il s’était tourné et retourné dans son lit de camp installé à côté des ULM, craignant une aggravation du mauvais temps, une complication ou même un contre-ordre de Damas. Avec les Syriens, on ne savait jamais … Le ciel était à peu près dégagé, la pluie venait de cesser et le téléphone était demeuré muet. D’ailleurs, ce silence commençait à l’inquiéter. Il aurait dû être averti du départ de la benne piégée. L’explosion au passage du musée, juste en face du PC des Français à une heure de pointe, allait semer le désordre. Elle était programmée pour huit heures trente.