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Une angoisse brutale le submergea. Il ignorait ce que la jeune chiite, exécutée sur son ordre, avait pu révéler. L’agent des Américains lui avait échappé mystérieusement et depuis, il avait perdu sa trace. Le commando chargé de le traquer avait été anéanti. Ce n’étaient pas de bons signes …

Il alla vider une bouteille de Pepsi, pour se calmer, mais crut avoir bu de l’acide, tant son estomac contracté refusait du service.

Il vérifia d’un coup d’œil les sentinelles. C’étaient tous des gens venus de Baalbek, soit de Amal Islamique, soit des Iraniens. Ils veillaient, emmitouflés dans leurs parkas comme les équipages des deux chars de protection.

Abu Nasra avait prévu l’éventualité d’une action militaire américaine, la seule possible, compte tenu des conditions politiques, mais avait placé des « sonnettes » partout, avec des jumelles, sur l’avenue de Paris, face à la mer, aux entrées du camp des Marines et même à Baadba, près du PC de la VIIIe Brigade. Il aurait toujours le temps de faire décoller ses ULM. Une fois en vol, à basse altitude, ils étaient pratiquement invisibles et inaudibles.

Ses trois pilotes étaient déjà levés et priaient, prosternés en direction de La Mecque, longuement, le visage transfiguré, le front ceint d’un bandeau rouge. Ils avaient eu droit à une cigarette de haschich. De quoi les déconnecter un peu sans leur faire perdre leurs réflexes. Tous avaient juré de donner leur vie pour l’imam Khomeiny.

Ils allaient être comblés.

Leurs chances de survie dans une mission pareille étaient très voisines de zéro. L’ULM équipé de huit lance-roquettes, devait se poser le premier à côté de la piscine et lâcher sa salve dont les milliers de billes d’acier hacheraient tout ce qui était vivant dans un rayon de cent mètres.

Les deux autres engins arrivaient ensuite pour parfaire le massacre à l’hexogène. Les déclencheurs à minuterie des charges explosives étaient de dix-huit secondes exactement. Ils avaient l’ordre de les activer lorsqu’ils seraient encore à dix mètres du sol, avant de se laisser tomber dans le jardin de la Résidence de l’ambassadeur. Si le choc endommageait la minuterie, un second dispositif de mise à feu, par inertie, ferait le travail. En plus, Abu Nasra avait infiltré, dans les parages de la résidence, un homme à lui avec une double télé-commande réglée sur les deux longueurs d’onde des deux charges explosives.

Le président Gemayel assassiné et l’ambassadeur US en poussière, les Syriens auraient les mains libres. Les Américains seraient assez dégoûtés pour se désengager et les chrétiens, démoralisés, offriraient moins de résistance. L’opposition triompherait, ayant prouvé qu’elle pouvait frapper où et quand elle voulait. Et lui, Abu Nasra, s’implanterait encore plus chez les chiites de la banlieue sud, capitalisant sur l’aura qu’une telle action d’éclat lui apporterait.

Les pilotes se relevèrent. Tous portaient des tenues de vol vertes aux couleurs de l’Islam avec le portrait de Khomeiny cousu sur la poitrine. Abu Nasra s’approcha d’eux et les étreignit longuement, un par un, leur murmurant des paroles d’encouragement. Ils n’en avaient guère besoin. Tous brûlaient de mourir pour l’Islam, d’être enfin des martyrs.

— Frères, c’est l’heure, dit-il.

D’autres Iraniens se levèrent et commencèrent à pousser les trois ULM vers l’extérieur. C’était le moment le plus dangereux, où ils pouvaient être vus par une reconnaissance aérienne. Mais cela ne serait pas long. Au fur et à mesure, on jetait de grandes bâches sur les appareils. Une ultime fois, le technicien vérifia les systèmes de mise à feu et les brancha sur les batteries des appareils. Tout avait été préparé jusqu’au plus minutieux détail.

Le téléphone grelotta. Un milicien répondit puis tendit l’appareil à Abu Nasra.

— C’est la mosquée Hussein.

Abu Nasra entendit la voix hachée d’un homme, faisant un récit incroyable. Des enfants avaient attaqué le garage. On avait cru apercevoir un étranger. La benne à ordures piégée avait disparu !

Le chef de mission raccrocha violemment, muet de fureur. Amal avait toujours affirmé que le quartier de Chiyah était impénétrable aux éléments ennemis. Il se tourna vers les pilotes :

— Préparez-vous à décoller immédiatement !

Mentalement, il passa en revue ce cas non conforme.

Qui avait volé la benne piégée et pourquoi ? La réponse à cette question jaillit dans son cerveau, juste alors qu’une rafale de Kalachnikov éclatait venant de l’entrée du camp retranché.

Les traits convulsés par la rage, il cria aux pilotes :

— Décollez, décollez !

Chapitre XXI

Malko s’engagea dans la dernière chicane, l’estomac contracté. Il bénéficiait de l’effet de surprise, mais pas pour longtemps. La piste de latérite rouge sinuait devant lui, bordée, comme chez les Marines de hauts talus de terre. Il aperçut soudain un mirador de bois sur sa droite, avec un homme muni de jumelles qui se mit à agiter les bras. Cinq mètres plus loin, il tomba sur les premiers rouleaux de barbelés qui auraient arrêté une voiture normale.

Le moteur de la benne ronfla, mais elle passa, entraînant les barbelés dans son sillage. Il restait encore deux « S » à franchir avant la dernière ligne droite menant au hangar des ULM.

Plusieurs miliciens armés surgirent devant lui, épaulant leurs Kalachnikov. Coup de chance, aucun ne possédait de RPG 7. Malko plongea sous son volant au moment où ce qui restait du pare-brise achevait de se volatiliser. Les coups sourds des impacts ébranlèrent la lourde carrosserie. Une balle ricocha sur le volant, le brisant net.

Malko fut obligé de risquer un œil, vit un homme, le visage crispé, le Kalach à la hanche, tirant contre l’avant de la benne à ordures ; il se baissa de nouveau, il y eut un choc et il devina plus qu’il ne vit que l’homme avait été renversé. Encore quelques raclements contre la caisse et il se redressa : le plus dur était passé. Les gardes de la chicane étaient derrière lui. Il entendit des rafales tirées dans son dos, mais les tôles épaisses de la benne le protégeaient. Il ne pensait même plus à la charge mortelle recelée dans ses flancs et qui pouvait exploser sous un impact. Il n’avait plus qu’une idée : les ULM.

Brusquement, il y eut une détonation violente, un nuage de fumée devant lui, il faillit perdre le contrôle de son véhicule : un RPG 7 tiré, il ne savait d’où, venait de le rater.

Son front saignait, sûrement un éclat de verre. Il restait vingt mètres de ce tunnel en plein air, puis c’était l’espace découvert. Il se demanda si les deux chars auraient le temps de réagir. D’un seul coup de canon, ils le réduisaient en bouillie, mais la charge explosive partirait et le but serait atteint. La vision de son château et du visage sensuel d’Alexandra le troubla pendant une fraction de seconde, puis il aperçut le hangar et les trois ULM devant.

L’un d’eux roulait déjà. Il décolla aussitôt, s’élevant d’une dizaine de mètres au-dessus du sol. Des hommes s’affairaient autour des deux autres. Le regard de Malko photographia tout : les miliciens en train de courir, les tourelles des deux chars qui tournaient, l’animation autour des deux autres ULM prêts à décoller. Quarante mètres avant le hangar, Malko se baissa, trouva à tâtons la languette métallique du plancher et la souleva. Puis il appuya le pied à fond sur l’accélérateur et fit pivoter la languette. Lorsqu’il releva le pied, celle-ci maintint l’accélérateur écrasé au plancher et la benne s’élança lourdement en avant. Droit vers les ULM. Il vérifia la course, les roues étaient bien dans la ligne. D’un coup d’épaule, il ouvrit la portière et abaissa l’interrupteur déclenchant la minuterie.