Выбрать главу

Abu Nasra regardait la benne à ordures jaune foncer sur les ULM, le cerveau paralysé, ne pensant même plus au risque qu’il courait. Les coups de feu, les cris ne l’atteignaient plus. Comme un automate, son Kalachnikov à bout de bras, il se mit en route vers son adversaire. Comme si la seule force de sa volonté avait pu le stopper. Son cerveau lui disait qu’il allait mourir, mais l’information n’était pas transmise au centre qui gouverne la peur.

Et puis, il vit le conducteur de la benne sauter en marche et l’engin continuer à foncer sur lui, comme un gros coléoptère maladroit.

Alors seulement, il leva son Kalachnikov et se mit à vider son chargeur, essayant d’arrêter le monstre. Il tirait encore quand le lourd pare-chocs le heurta à la taille, lui écrasant le bassin. Projeté à terre, il ne vit pas l’essieu avant lui fracasser le crâne.

Malko ressentit un choc violent à l’épaule et à la tête, roula sur lui-même, aperçut la masse jaune de la benne foncer vers le hangar. Presque du même élan, il bascula dans l’énorme excavation rectangulaire pleine d’eau croupie qui ressemblait à une fosse commune. Des rafales firent jaillir la boue autour de lui, puis il tomba au fond dans une gadoue jaunâtre pour s’apercevoir qu’il avait perdu son 357 Magnum dans la chute !

À chaque seconde, il s’attendait à voir surgir des miliciens venant l’achever à bout portant.

Il se redressa, chercha à remonter le long de la paroi. Il avait franchi deux mètres quand l’explosion se produisit. Un fracas de fin du monde, qui lui sembla durer une éternité. Les tympans écrasés par la brusque surpression, il hurla. Le souffle ne le frappa que faiblement, mais une nuée de débris commença à retomber autour de lui. Quelque chose de lourd fit un « splash » terrifiant dans la boue, continuant à brûler : la tourelle d’un des chars, avec encore plusieurs moitiés de corps humains à l’intérieur … Il lui semblait que le bruit ne s’arrêtait pas mais c’était seulement dans ses oreilles. En réalité, il régnait un silence de mort.

Comme un animal, il grimpa le long de la paroi jaunâtre, respirant difficilement l’atmosphère chargée de poussière et l’odeur âcre de l’explosif. D’abord, il ne reconnut pas le paysage. Le hangar avait disparu, rasé par le souffle, le M113 brûlait, renversé sur le côté ; un des chars aussi et le second, éventré, n’avait plus de tourelle. Deux boules de feu se consumaient avec une fumée noire, ce qui restait des ULM. Il vit un bras détaché, tenant encore une arme, des corps étendus partout, des morceaux de chair innommables, une tête qui avait roulé sur le ciment. Un nuage de fumée blanchâtre flottait au-dessus de l’explosion. La carcasse de la benne jaune avait été projetée à plus de cent mètres, par-dessus le hangar.

Aucun signe de vie.

Malko fit quelques pas, trouva un Kalachnikov par terre et le ramassa. Les sirènes de plusieurs ambulances commençaient à couiner dans le lointain. À Beyrouth, on réagissait vite aux explosions.

Il se dirigea vers le fond du terrain, statue de boue jaune, titubante, sourde, sonnée, ne réalisant pas encore l’ampleur de la déflagration. Une pensée de l’Écriture lui passa par la tête : Qui frappe par l’épée périra par l’épée … Des Fous de Baalbek, il ne restait plus que des morceaux de chairs déchiquetées. Il avait vengé Neyla, John Guillermin, le colonel Jack et tous les autres.

L’énorme trou où il avait basculé l’avait protégé du souffle et des débris, mais l’explosion l’avait quand même choqué. Il se retourna en escaladant le mur de terre : un énorme champignon de fumée blanchâtre montait vers le ciel, surplombant des incendies rougeoyants. Combien pouvait-il y avoir de morts. Dix ? Vingt ? Plus ?

De la base terroriste, il ne restait rien que des cadavres et des ferrailles tordues. Il aperçut des silhouettes surgissant de la fumée, brandissant des armes : des miliciens de Amal qui accouraient. Des balles sifflèrent, trop loin pour être dangereuses. Il chercha à s’orienter, l’estomac retourné par l’angoisse. Soudain, un très faible bruit de moteur lui fit lever la tête. Il aperçut le troisième ULM qui après s’être éloigné vers l’ouest, virait, se dirigeant vers Baabda !

Hurlant de rage, il se mit à courir comme un fou vers le sud, là où se trouvaient les Marines. Le troisième appareil qui avait échappé à la destruction, suffisait à remplir l’objectif des Fous de Baalbek.

* * *

Robert Carver, debout sur le toit de la villa voisine de la résidence de l’ambassadeur examinait le quartier chiite à la jumelle, sans rien voir de suspect. Il avait fait placer des sentinelles autour mais personne ne lui avait encore signalé la benne jaune. Pas de nouvelles non plus de Malko. Trois walkies-talkies posés près de lui, le reliaient aux principaux postes américains. Six hélicoptères des Marines, des « gun-ships » se tenaient prêts à intervenir. À côté de lui, une batterie de quatre mitrailleuses lourdes renforçaient le dispositif existant. Il consulta sa montre. Huit heures dix. Ils avaient encore le temps. Soudain, un brouhaha de voix, venant du chemin en pente conduisant à la résidence de l’ambassadeur le fit s’approcher du rebord de la terrasse. Il aperçut trois soldats libanais en train de lutter avec un civil. Par sa radio, il appela un des Marines de garde devant la résidence et lui demanda d’aller voir. Quelques instants plus tard, la voix d’un sergent le renseigna :

— C’est un marchand ambulant qui vient presque tous les jours …

— Pourquoi l’ont-ils arrêté ?

— Ils disent qu’il a un drôle d’accent. Il n’a pas de papiers et parle comme un Iranien.

— Qu’on le fouille.

Du rebord de la terrasse, il assista à l’opération. L’homme se débattait furieusement. Les soldats le mirent pratiquement la tête en bas afin de pouvoir le fouiller sous toutes les coutures … Quelque chose tomba de son pantalon et il poussa un hurlement inhumain. Le sergent des Marines l’avait déjà ramassé. Sa voix éclata dans le récepteur :

— Sir, on dirait un petit émetteur radio …

Robert Carver n’eut pas le temps de faire de commentaires. Le prisonnier avait réussi à se dégager. Comme un fou, il fonça vers un M113 voisin, l’escalada, balaya d’une manchette le servant de la mitrailleuse et s’en empara. Le lourd « pom-pom-pom » de la 12,7 fit trembler les cyprès. Le sergent des Marines tomba, ainsi que deux soldats libanais. D’autres accoururent, tirant de toutes leurs armes sur le M113. Le civil, déchiqueté par les balles, rebondit sur le blindage et, de là, sur le sol boueux. Le chef de la CIA dégringolait déjà les escaliers. Il arriva à temps pour voir à travers le T-shirt déchiré du mort, un portrait de Khomeiny tatoué sur toute la largeur de sa poitrine !

L’Américain ramassa l’objet tombé de la main du sergent. C’était un petit « bip », comme ceux dont on se sert pour ouvrir les portes de garage à distance. Assez puissant pour déclencher une charge explosive. Première preuve que l’information de Malko était bonne. Si l’homme était là, c’est que l’attaque n’allait pas tarder … Il remonta à toute vitesse vers son PC, sur le toit de la villa. Le Palais présidentiel se trouvait à moins d’un kilomètre. Donc Amin Gemayel ne l’avait pas encore quitté. Il fallait retarder le rendez-vous, quitte à perdre la face. Il avait, certes, confiance en Malko, mais ne se sentait pas le courage de jouer à la roulette russe avec la vie du Président libanais et celle de son ambassadeur. Tant pis pour la face.