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— On va voir, dit-il. On va voir…

On n’aura pas le temps de voir. L’Antiterrorisme débarque. Camille sourit, c’est un soulagement. Ils viennent prendre en charge Jean et Rosie, séparément. Camille serre la main de son collègue, le commandant Pelletier, un grand type à la tête rectangulaire, avec une moustache du siècle dernier, poivre et sel.

— Bon courage…

Doudouche fait la gueule. Camille se montre attentionné mais rien n’y fait, c’est toujours ainsi, quand il rentre tard, elle fait comme s’il n’était pas là. Camille est épuisé. Il s’allonge tout habillé sur le canapé et s’endort. Mais vers cinq heures du matin, parfaitement réveillé, il est de nouveau assis sur le canapé, Doudouche sur les genoux, il crayonne (il n’arrête pas, partout, des croquis, des esquisses, ça l’aide à penser). C’est le visage de Rosie et à côté, celui de Jean. Il dessine pour comprendre. Dans son travail, il y a les faits et ce que les faits produisent sur lui. Ce n’est pas qu’il ait une confiance aveugle en lui-même, il serait plutôt du genre à se laisser envahir par le doute, mais ses impressions, ses résistances, il les écoute, il ne peut pas faire autrement. Il regarde de nouveau le portrait de la mère et du fils, s’interroge sur leurs relations. Il le sait, il le sent, cette histoire n’est pas aussi simple qu’elle y paraît. Rosie tue la petite amie de son fils, Jean prépare une vague de terrorisme pour la libérer… Mis bout à bout, rien que ces deux morceaux, ça ne colle pas. Disproportionnés.

Alors il décroche son téléphone :

— Louis ? Je te dérange, tu dormais…

ÉPISODE 7

21 mai — 05 h 55

Verhœven n’écoute pas, il regarde, posée sur son bureau, la photo de la tête de la jeune fille, Carole. Sur les clichés, ses cheveux blonds font un drapé presque parfait, d’une rare cruauté, à cause de la flaque de sang qui scintille sous les éclairages vifs. Ce sont des cheveux d’enfant. La blondeur, chez les jeunes filles mortes, c’est pire que tout. Et là, on voit sa nuque, déchirante. « Déchirant », ce n’est pas un mot pour flic, Camille s’ébroue.

— … après son arrestation, achève Louis.

Camille hoche la tête mais il n’a pas écouté, il n’est pas là. Louis, qui le connaît bien, fronce légèrement les sourcils. Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas. On reprend tout depuis le début, on met en parallèle les éléments du dossier de Rosie et l’itinéraire de Jean. Malgré qu’ils ne soient plus sur cette enquête, Louis lance des demandes d’information pour combler les vides, se connecte un peu partout, procède à des vérifications, il avance, il avance même très bien, Camille en profite pour dormir un peu mais à huit heures du matin, il est réveillé par le juge, il y a du nouveau. Camille doit redescendre dans l’arène. Jean refuse de parler au commandant Pelletier, plus un mot, il veut Verhœven et personne d’autre, et le juge exige que Camille se remue rapidement parce que tout ce que Jean a accepté de dire concerne la prochaine bombe.

— Elle est programmée pour quinze heures, dit le juge. Il dit qu’il l’a placée dans une école.

08 h 30

On a tiré du lit des fonctionnaires, des techniciens, des ingénieurs, on leur a envoyé des véhicules, des motards pour ouvrir la route, on a rouvert des bureaux, activé des systèmes informatiques, on a mobilisé toutes les données disponibles. Sans risque d’erreur, aucune école dans laquelle ou près de laquelle des tranchées de travaux ont été pratiquées au cours des huit derniers mois. Si on prend en compte toutes les possibilités de cacher un obus, à commencer par les égouts et les innombrables chambres télécom placées sous les trottoirs où on stocke des compteurs, des disjoncteurs, des transformateurs et où convergent toutes sortes de câbles, la prochaine bombe devient une aiguille dans une meule de foin.

— Ton école, Jean, on ne la trouve pas…, dit Camille.

Jean regarde la pendule murale.

— C’est une question de temps, répond-il. Vous allez la trouver, je vous assure.

Même si Camille a repris l’enquête et les interrogatoires, officiellement, l’Antiterrorisme reste en charge de l’enquête. Assis le dos au mur, Pelletier affiche une mine sceptique, les bras croisés. Sa moustache semble avoir blanchi en quelques heures. Quant à Jean, on ne sait pas à quels traitements il a eu droit avec les spécialistes des interrogatoires mais il est très éprouvé. Camille sent qu’il n’a pas trop envie d’en savoir plus sur les méthodes de travail de ses confrères. À voir les bras croisés de Pelletier d’un côté, le regard buté de Jean de l’autre, on comprend que le dialogue n’a pas été très fécond.

— Une école, dit Camille, ça peut être tout. Privée, communale, et même un lycée, une école de commerce, la faculté…

— Maternelle, dit enfin Jean.

Camille se retient à son bureau, tout danse autour de lui.

— Où ça, espèce d’enfoiré ? hurle-t-il. Quelle école ?

Jean montre ses paumes : je ne dirai rien de plus. Camille cherche l’âge des gamins en maternelle, deux ans, trois, quatre ? Lui n’a pas eu d’enfant. Une école maternelle… C’est dingue. Il y en a plus de quatre-vingts à Paris. Quand il tente d’imaginer les victimes, Camille en a des nausées. Comment peut-on faire une chose pareille ? Jean regarde fixement le plancher. Visiblement, rien ne compte que lui, sa mère, sa demande, le monde entier peut crever, la mort de cent mômes ne lui semble pas disproportionnée face à un billet pour l’Australie… Camille a envie de le tuer. Il pourrait aussi essayer de le convaincre, mais c’est sans espoir. Buté, fermé. Il a tenté de l’impressionner, de jouer sur la peur, la pitié, la compassion, sur la complicité, rien n’a servi à rien.

— Et ça ne servira à rien jusqu’au bout, dit Camille à Louis devant la machine à café. Il a une théorie binaire, tout d’un bloc. Sa position est forte parce qu’elle est rudimentaire, totalement imperméable à la nuance. Pour lui, c’est oui ou non.

Le juge a exigé la confrontation entre Jean et sa mère, à laquelle Camille se refuse depuis le début mais avant tout, faire évacuer toutes les écoles maternelles de Paris. Le ministre a donné son accord immédiatement et à regret mais qu’est-ce qu’on peut faire d’autre…

ÉPISODE 8

09 h 00

Joseph, le gardien, ouvre les grilles du square Montpeyroux. Il regarde toujours sa montre à cet instant-là. Revanche invisible sur sa destinée de fonctionnaire municipal, il tire une satisfaction incompréhensible à ouvrir tous les jours avec une ou deux minutes de retard. La grille a été forcée et impossible d’obtenir que les services techniques se déplacent, Joseph rédige des bons de commandes, des demandes de travaux, rien n’y fait. Alors, le soir, il se contente de tirer la grille, de la maintenir fermée avec un morceau de carton. Personne ne s’en est aperçu. Ce serait quand même mieux de la réparer, si les dealers s’aperçoivent de ça et, la nuit venue, envahissent le jardin, les riverains vont se manifester et la municipalité va se remuer, je peux vous le dire.

Le temps qu’il fasse son premier tour d’inspection, il y a déjà du monde sur les bancs. Il jette un œil sur un fourré, depuis quelques semaines, il voit bien que quelqu’un se faufile, il y a une petite trouée, il est allé voir, rien, pas de seringue, c’est sa hantise, ça, les seringues, à cause des enfants.