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Jean n’a pas répondu.

Camille répète sa théorie face au préfet.

Il ajoute que contrairement à ses suppositions, Jean ne s’est pas trompé dans le réglage de la seconde bombe.

— Tu as volontairement programmé l’explosion en pleine nuit, a-t-il poursuivi (à ce moment, Jean faisait un peu comme avec sa mère, il regardait nulle part, le mur, le vide). Tu as fait très fort, Jean : une bombe dans une école maternelle, c’est la panique assurée, mais dans une école maternelle de nuit, c’est un risque quasi inexistant. Tu nous joues le coup de la surprise, du maladroit qui se prend les pieds dans les horaires mais pas du tout… C’est intentionnel. Et même très réussi.

Le préfet a écouté mais il n’y croit guère. Devant la hiérarchie au complet (on est maintenant dans le cabinet du ministre), Camille récapitule et il complète. La bombe de la rue Eugène-Bastier n’a pas été découverte par hasard.

— Là, Jean, je reconnais, on a eu du mal à trouver. Il fallait vraiment fouiller loin mais on a réussi.

Comme toi. Le planning des visites techniques des chambres télécom était accessible sur le net. En posant ton obus à cet endroit, tu étais certain qu’il serait découvert avant l’explosion.

Jean n’a pas répondu, difficile de savoir ce qu’il pense. Les officiels non plus, on ne sait pas ce qu’ils pensent.

— Marsan a programmé ses obus de manière à ne faire aucune victime, dit Camille. Trois bombes. La première nous traumatise, la seconde nous impressionne, la troisième nous catastrophe… Et c’est assez bien vu parce que nous dansons sur un volcan, avec ce type. Il y a encore cinq bombes enterrées. On est sûr qu’elles vont toutes exploser dans la semaine à venir, je fais le pari qu’il a prévu de ne pas faire de victimes mais personne ne peut être certain que la chance va nous accompagner encore longtemps. Nous sommes dépendants des manipulations de Marsan. C’est un amateur. Et s’il a fait une seule erreur, nous la payerons cash. Au prix fort.

— Vous proposez quoi ? demande un type en costume, Camille ne sait même pas de qui il s’agit.

— De les libérer, lui et sa mère, en échange des bombes restantes. Je ne pense pas qu’ils vont aller bien loin…

Les libérer. L’opposition est palpable. Pas bien loin, ça veut dire quoi ?

— Marsan va faire des dégâts considérables, conclut Camille. Quelqu’un sait peut-être comment on va expliquer à la presse et au public la troisième explosion, puis la quatrième, la cinquième, et la suivante mais il va falloir se creuser parce que ça ne va pas être facile.

Ils sont neuf fonctionnaires qui se regardent, sceptiques, on voit mal où ça conduit et ce qu’il a en tête, le petit flic. C’est le moment qu’attend Camille pour planter la dernière banderille.

— Je viens de m’entretenir avec Marsan. Ma théorie semble juste.

— Semble…? demande le chef de cabinet.

— Pardon. Elle est juste.

Jean n’a rien dit, pas de commentaire, il est resté impassible. Mais à cet instant de la discussion, il a levé les yeux vers Camille :

— Pour les premières bombes, vous avez raison, dit Jean. Mais pas pour la dernière…

Les fonctionnaires froncent les sourcils. Ils attendent la chute. Camille raconte la fin de l’entretien.

— Vous comprenez, a expliqué Marsan, si ma dernière bombe doit exploser, c’est que j’aurai raté mon coup avec les précédentes. C’est que mon truc n’aura pas marché du tout. Je n’aurai plus rien à perdre.

Alors, pour la dernière bombe, j’ai programmé quelque chose… de vraiment meurtrier.

Jean a regardé fixement Camille.

— Dévastateur. Je vous assure, Commandant, vous devriez me croire.

ÉPISODE 13

19 h 45

Jean n’a rien voulu entendre. Dès le début il a eu à faire à Camille, il estime qu’avec lui les choses ont plutôt bien marché, même pour la fin, ce sera Camille et personne d’autre.

— Ce que j’ai obtenu de mieux, Jean, c’est que tu nous livres l’adresse des bombes juste après le décollage. Rien de plus. On ne peut pas attendre que tu sois arrivé en Australie. C’est ça ou rien. Et si ça ne te convient pas, ce ne sera plus de mon ressort, tu devras parler avec quelqu’un d’autre.

Jean a longuement réfléchi, puis :

— O.K., mais trois heures après le décollage.

Les techniciens ont assuré Camille que l’équipe qui montera dans l’avion pourra le serrer sans problème dès réception du feu vert. Une heure de plus a été nécessaire pour faire mine de discuter avec Jean de nombreux détails qui n’ont en fait aucune importance, dans le seul but de crédibiliser un accord qui est un marché de dupes à tiroirs. Jean envoie son message via le commandant de bord, avec les adresses des bombes, on vérifie… et on le serre aussitôt. C’en est décourageant de simplicité. C’est la version qu’on a donnée à Camille qui sait pertinemment que ça ne se passera comme on le lui dit. Évidemment que les spécialistes de l’intervention ne vont pas s’embarrasser de détails, que Jean arrêté pendant son survol d’un espace aérien étranger, c’est compliqué et qu’en fait de départ pour l’Australie, Jean va se faire discrètement garrotter à son prochain passage aux toilettes, voilà la vérité. Ça ou un équivalent, dans tous les cas, ça ne sera pas beau à voir : furtif et efficace, mortel en quelques secondes, pour Rosie aussi.

Autour de Jean, tout le monde pense, « quel con, ce type ». Les amateurs font toujours ce genre d’impression aux experts. Ils passent pour des glands. On verra, se dit Camille.

Pour le moment, Verhœven organise, planifie, négocie et comme la cellule de crise est composée de plusieurs institutions, c’est encore lui qui reçoit les conseils des collègues, les instructions de la hiérarchie.

Jean a vaguement inspecté les deux valises, les vêtements de Rosie et les siens qu’on est allé chercher chez lui, il sait qu’on y a dissimulé des dispositifs pour le suivre à la trace.

— Ça n’a pas d’importance, a-t-il décrété.

Les billets de banque lui font plus d’effet. La négociation a abouti à un million et demi. Une valise pleine de pognon en grosses coupures a de quoi émouvoir même les plus blasés. On a donné les passeports à Jean, il a lu les noms de famille. Il devient Pierre Mouton, Rosie s’appelle Françoise Lemercier, il n’aime pas ça du tout, Jean, il le dit, « Mouton » il trouve ça ridicule. Mais c’est à prendre ou à laisser. Il prend.

Camille trouve aussi que baptiser Mouton un type qu’on envoie à l’abattoir, c’est assez nul. Jean regarde les billets d’avion. On l’autorise à vérifier sur le net l’existence du vol et les réservations. Il semble soulagé.

Enfin, Rosie arrive. Son visage est clair, comme reposé, c’est sans doute qu’elle est maintenant avec son Jean. Lui, la regarde à peine, les sourcils froncés, concentré sur sa tâche, soucieux de ne rien laisser au hasard. Rosie se laisse guider, emporter. Elle regarde les flics comme des élèves qui ont encore beaucoup à apprendre. On explique à Jean comment faire passer le message au commandant de bord.

— Tu le prépares dès le décollage, rappelle Camille. Détaillé, on veut les lieux précis. Tes bombes sont bien toutes à Paris ?

— Toutes, confirme Jean.

— Intra-muros ? O.K. Décollage pour Sydney : 23 h 35. Tout est bien clair ?

Jean fait signe que c’est clair.

En fait, c’est pathétique.

Il a beau être un poseur de bombes et jouer avec la vie de centaines d’inconnus, ce jeune homme, agent secret de pacotille, qui agit comme il a vu faire dans des séries B, qui va mourir dans quelques heures, vous fait une drôle d’impression, c’est sa naïveté sans doute. On fait ce qu’il faut faire mais on se sent mal, parce que, depuis qu’il a baissé ses exigences, c’est devenu trop facile. Voir un homme condamné tresser lui-même sa propre corde sans le savoir, on préférerait être ailleurs. Camille, lui, reste ouvert à tous les bouleversements. Il a même parié avec Louis.