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– Elles ne disent pas quand!

André rentra vers la brune. Les promeneurs devenaient plus rares au-dehors. Le commissaire de police venait de partir pour le cirque, laissant sa femme avec Eliacin Schwartz. Eliacin était l’Alsacien qui avait pris les devants sur notre J.-B. Schwartz. Sans Eliacin, notre J.-B. Schwartz eût été accepté peut-être dans les bureaux du commissaire de police. Aussi, plus tard, J.-B. Schwartz, devenu millionnaire – car il devint millionnaire et plutôt dix fois qu’une – fit une position à cet Eliacin, auteur indirect de sa fortune. La meilleure chance est souvent de perdre les petites parties.

Eliacin avait les cheveux, les cils et les sourcils d’un blond incolore, la peau rose, les épaules larges, les dents saines, les yeux à fleur de tête: c’était un fort Alsacien. Il faisait bien son ouvrage au bureau, et disait à la commissaire que Julie n’avait que la beauté du diable. On était assez content de lui…

En bas, dans l’arrière-boutique, ce fut un souper d’amoureux. Il y avait de l’enfant chez cet André, malgré la mâle expression de son visage. Il était heureux avec folie parfois; et quand il regardait sa femme, son adoré trésor, il avait peur de rêver.

Notez qu’il n’ignorait rien, quoiqu’il fit semblant de ne pas savoir. Il connaissait la cachette du jeu de cartes. Et quand passaient, sous les arbres du cours, les belles robes bouillonnées, les crêpes de Chine, les chapeaux de paille d’Italie, il sentait battre dans sa propre poitrine le petit cœur de la fille d’Ève. Oh! il aimait bien, et son cœur à lui était d’un homme! Mais Julie ne songeait plus à tout cela. Quand les yeux de son André se miraient dans les siens, elle ne savait qu’être heureuse et défier la félicité des reines. Je le répète, c’étaient deux amoureux. L’enfant jouait parmi leurs baisers, riante et douce créature qui était entre eux deux comme le sourire même de leur bonheur.

On causait de tout excepté d’amour, car les joies du ménage ne ressemblent point aux autres, et c’est le tort qu’elles ont peut-être. La jeune femme demanda:

– Pourquoi es-tu resté si longtemps chez M. Bancelle?

– Sa caisse! répondit André. Toujours sa caisse! Il en perdra l’esprit!

– Que veut-il faire à sa caisse?

– Façonner les clous, ciseler les boutons, dorer les moulures, bronzer les méplats, changer le meuble en bijou. Il est fou.

Un léger bruit se fit dans le magasin. Ils écoutèrent tous deux, mais sans se déranger. Bien que la soirée fût déjà fort avancée, on entendait encore les promeneurs de la place.

– Est-ce que ça pourrait vraiment prendre un voleur? demanda encore Julie.

– Je crois bien! c’est un piège à loup! M. Bancelle m’a montré le mécanisme en détail. Quand le système est armé, un collet mécanique sort au-dessus de la serrure, au premier tour de clef, de manière à saisir le bras du voleur. Les ressorts sont d’une telle puissance, et la chose joue à merveille. De telle sorte que si M. Bancelle, un jour qu’il sera pressé, oublie de désarmer la machine…

– Y a-t-il beaucoup d’argent dans la caisse? interrompit la jeune femme curieusement.

– Toute son échéance du 31 et le prix de son château de la côte! plus de quatre cent mille francs!

Un soupir passa entre les fraîches lèvres de Julie. André poursuivit:

– M. Bancelle le chante à tout le monde. On dirait qu’il a envie de tenter un voleur pour faire l’épreuve de sa caisse. Nous étions trois chez lui, ce soir; il nous a montré ses billets de banque et nous a dit: «Cela se garde tout seul; mon garçon de caisse m’a quitté, je ne songe même pas à le remplacer. Personne ne couche ici, personne.»

Il a répété deux fois le mot.

– Plus de quatre cent mille francs! murmura la belle Maynotte. Voilà des enfants qui seront riches!

Un nuage vint au front d’André.

– Ah çà! s’écria-t-il en se levant brusquement: il y a quelqu’un au magasin!

Une vibration métallique, tôt étouffée, avait sonné dans le silence qui succédait aux dernières paroles de Julie. André s’élança dans le magasin, suivi par sa femme qui portait un flambeau. Le magasin était vide et rien n’y semblait dérangé.

– Quelque ferraille qui se sera décrochée… commença Julie, ou… Tiens! le chat du commissaire!

Un matou passa, fuyant entre les jambes d’André qui se mit à rire en le poursuivant jusque sur la place.

Sur la place, il n’y avait plus de promeneurs. André n’aperçut qu’un seul passant qui, lentement, se perdait sous les arbres. C’était un rustaud en pantalon de cotonnade bleue, blouse grise et bonnet de laine rousse.

– Couche le petit, dit-il. Il faut que je te parle.

Julie se hâta, curieuse. Quand elle eut baisé l’enfant dans son berceau, elle revint, et André jeta un châle sur ses épaules, disant:

– Nous serons mieux dehors par la chaleur qu’il fait.

Il y avait dans ces paroles une certaine gravité qui intriguait la jeune femme.

Au moment où André donnait un tour de clef à sa porte avant de s’éloigner, le commissaire de police arriva devant la maison, revenant du cirque Franconi. Sa dernière entrevue avec J.-B. Schwartz l’avait mis d’humeur détestable. Il dit à sa femme qui se déshabillait pour se mettre au lit:

– Ces petites gens d’en bas ont de drôles de manières. Je les ai rencontrés qui vont courir le guilledou.

À quoi le commissaire répondit en style familier:

– Ça fait une vie d’arlequin! On ne sait d’où ça tombe. À ta place, moi, je les surveillerais.

Ils allaient tous les deux, André et Julie, les bras entrelacés, contents d’être seuls, sans crainte ni défiance; ils allaient lentement, échangeant des paroles émues; ils causaient de l’avenir que l’homme propose sans cesse et dont Dieu dispose toujours.

IV Pot au lait

Ce fut Julie, la curieuse, qui rompit le silence. Un rien met la puce à l’oreille de ces chères ambitieuses: le temps de draper un châle ou de passer un fichu, les voilà parties pour le pays des rêves et en train déjà de bâtir le dernier étage d’un château en Espagne.

– Qu’as-tu donc à me dire, André? demanda-t-elle.

– Bien peu de chose, chérie, répondit le jeune ciseleur, sinon que je suis en disposition d’esprit singulière. Et cela dure déjà depuis plusieurs jours. En travaillant, je songe. La nuit, je ne peux pas dormir.

– C’est comme moi, murmura Julie.

– Oui, comme toi… et c’est toi peut-être qui as commencé. Julie ne répliqua point.

– Nos cœurs sont si près l’un de l’autre, poursuivit André, qu’il y a entre eux contagion de pensée. Je ne crois pas que tu puisses former un désir sans que j’aie le besoin de le satisfaire…

– Voilà qui est bien grave, dit Julie en se forçant à rire. Ai-je péché? Alors gronde vite!

Ils arrivaient au bout de la place des Acacias. Il y avait un banc de bois, derrière lequel un réverbère pendait à deux arbres. André s’arrêta et s’assit, faisant avec son bras arrondi un dossier à la taille de Julie.

– Je ne gronde pas, reprit-il en baissant la voix et plus affectueusement. Est-ce toi? est-ce moi? qu’importe! Il se peut que nos deux pensées naissent ensemble. Ce qui est certain, c’est que nous sommes agités tous deux, et qu’il y a pour nous quelque chose dans l’air comme si notre condition allait changer…