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– Dieu le veuille! fit étourdiment la jeune femme.

Il y eut un silence, et Julie, toute repentante, ajouta:

– Mon André, tu sais si je suis heureuse avec toi!

– Je le sais, chérie; du moins, je le crois… et, si je ne le croyais pas, que deviendrais-je? Mais tu as du sang de grande dame dans les veines, et je t’en aime mieux pour cela… Ces toilettes que tu regardes t’iraient si bien! Il semble qu’elles sont à toi, ma femme, et que les autres te les ont volées.

Julie l’appela fou, mais elle lui donna son front à baiser.

La lumière suspendue que la brise nocturne balançait, éclairait par-derrière des masses de sa riche chevelure et brillantait le duvet de son profil perdu. André Maynotte était à l’une de ces heures où l’extase trouve ouvertes toutes les portes du cœur, et Julie à l’un de ces moments où la beauté même, embellie, rayonne d’étranges éblouissements. André regardait ses yeux, pleins de lueurs mystérieuses; il lui semblait qu’on pouvait boire sur ses lèvres des ivresses parfumées; les tièdes haleines de cette nuit d’été lui donnaient des frissons profonds où l’angoisse inexplicable se mêlait à d’indicibles voluptés. Julie, veloutant sa voix sonore et douce, demanda pour la seconde fois:

– André, qu’as-tu donc à me dire?

– Tu es heureuse, répondit celui-ci, tu m’aimes, mais tu n’es pas dans ta sphère. Quand je pense à toi, je te vois toujours exilée. Les femmes de notre pays interrogent souvent la destinée…Julie se mit dans l’ombre pour cacher sa rougeur.

– Enfant chérie, poursuivit André, si le présent te plaisait, chercherais-tu l’inconnu à venir?

– Ne peut-on demander aux cartes autre chose que la fortune? murmura la jeune femme.

– Quoi donc?

– Quand je te voyais passer, là-bas, dans la campagne de Sartène, j’arrachais les feuillettes des marguerites, une à une, et je disais: «M’aime-t-il un peu? beaucoup…?»

André lui ferma la bouche dans un baiser.

– Passionnément, acheva-t-il d’un accent presque austère. Vous n’avez pas besoin des cartes pour savoir cela, Julie, ni des fleurs.

– C’est vrai, s’écria-t-elle en jetant ses deux bras autour de son cou. J’ai essayé de mentir. Tu m’as dit vous, et je suis punie. Non, ce n’était pas pour savoir comme tu m’aimes que j’ai fait les cartes. Il y a des jours où j’ai peur. Sommes-nous assez loin de ceux qui te haïssent?

Puis secouant sa tête charmante et de cet accent résolu qui dit la vérité:

– Mais non, poursuivit-elle, ce n’était pas cela, André… ou du moins, c’était pour autre chose encore: c’était pour savoir si tu monterais un jour à ta vraie place. Est-ce que tu n’es pas trop au-dessous de ton état?

– Et que répondent-elles, les cartes?

Julie hésita, puis, prenant gaillardement son parti, elle répliqua d’un ton de franche gaieté:

– Ce soir, les quatre as sont restés.

– Cela signifie?

– Voiture à quatre roues, monseigneur. Nous roulerons carrosse!

– Et que tu seras adorablement belle là-dedans, chérie, conclut André avec un enthousiasme d’enfant.

«Écoute, poursuivit-il, qui ne risque rien n’a rien. Je suis dix fois plus ambitieux que toi pour toi. Il est temps de commencer la bataille. Si tu veux, nous allons partir pour Paris.

Julie poussa un cri de joie et battit ses deux belles petites mains l’une contre l’autre. Puis la réflexion venant, elle répéta non sans effroi:

– Pour Paris!

Ce nom-là, pour une imagination ardente comme était celle de Julie, a presque autant de menaces que de promesses.

– Il faut beaucoup d’argent pour réussir à Paris, ajouta-t-elle.

– Comptons! dit André qui l’attira contre lui.

Les caresses de sa voix étaient de bon augure et semblaient dire: «Tu vas bien voir que nous possédons un trésor!» Julie était, Dieu merci, tout oreilles.

– Nous avons commencé ici, reprit André Maynotte, avec les trois mille francs qui étaient dans ma ceinture quand nous arrivâmes de Corse. Il est vrai que nous sommes à Caen, et que nos débuts ont été plus que modestes; mais si on n’a pas besoin, ici, de fonds considérables pour s’établir, les débouchés sont petits et rares; je regarde notre pauvre succès comme un miracle. À Paris seulement, dans notre patrie, on peut arriver à la fortune.

Julie approuva d’un signe de tête.

– L’armurier Cotin, poursuivit André, m’a offert hier douze mille francs de nos marchandises et de mon achalandage.

Julie eut un mouvement de joyeuse surprise.

– Il en donnera quinze, ajouta André Maynotte, mais ce n’est pas tout. M. Bancelle, le banquier, va m’acheter le brassard.

– Lui! si économe!…

– C’est un ricochet de sa manie. Ce soir, après m’avoir parlé de sa caisse pendant deux heures, et comme j’allais me retirer, il m’a dit: «Tenez-vous beaucoup à vendre comme cela des brassards?» Je ne devinais pas où allait sa question; il s’est expliqué, ajoutant: «Bon engin pour les voleurs, cela, monsieur Maynotte! Vous comprenez bien qu’avec un homme qui vend des brassards, on n’est pas en sûreté dans une ville!» Et comme je ne saisissais pas encore: «Parbleu! a-t-il repris, avec vos brassards, il n’y a pas d’ingénieux système qui tienne! Que peut ma mécanique? Étreindre le bras d’un larron. Eh bien! si le larron a un brassard, il retirera son bras tout doucement et s’en ira avec mes écus, laissant son coquin de fourreau entre les griffes de mon système…»

Julie éclata de rire bruyamment, et sa gaieté, comme il arrive aux heures de surexcitation, dura plus longtemps qu’il n’était à propos.

– C’est pourtant vrai, dit-elle, que le brassard vaut une clef pour ouvrir la caisse de M. Bancelle!

– Je me suis engagé sur parole à ne plus vendre de brassards, continua André, moyennant quoi il m’achètera le nôtre au prix de mille écus. Je le lui porterai dès demain matin, car il a grande hâte de jouer lui-même au voleur avec sa mécanique.

– Cela fait dix-huit mille francs, supputa Julie.

André sortit de sa poche un portefeuille qu’il ouvrit et qui contenait quatorze billets de cinq cents francs.

Au moment où Julie se penchait pour les regarder, la nuit se fit subitement et un gros rire éclata derrière eux. C’était le père Bertrand, l’éteigneur de réverbères, qui leur jouait ce tour. Voyant de loin deux amoureux sur un banc à cette heure indue, le bonhomme s’était approché à pas de loup: un gai luron qui aimait plaisanter avec les bourgeois.

– Part à trois! dit-il, si on casse la tirelire de M. Bancelle. Comment se fâcher? Et à quoi bon? Le brave père Bertrand eut un verre de cidre, versé par la blanche main de Julie Maynotte; et tout le monde alla se mettre au lit.

Vingt-cinq mille francs! Paris! La voiture promise par les quatre as! Notre Julie eut de beaux rêves.

Elle dormait à deux heures du matin; et Caen tout entier faisait de même, y compris les cinquante dons Juans. Mais André veillait: le sommeil appelé ne voulait pas venir. André se tournait, se retournait entre ses draps brûlants. Il avait le cœur serré. Il souffrait.