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Il y a des misères. La Davot ne sortait jamais, surtout à ces heures. Comment demandait-elle le cordon quand elle sortait? De quelle façon saluait-elle la sœur tourière? Et les êtres? Un pas fait dans une mauvaise direction pouvait tout perdre.

Quant à la tournure, à la voix, à l’accent, Roland avait fait des études. La Davot venait des frontières de Belgique: un balayeur d’atelier comme l’était notre Roland, a la science infuse de toutes les singeries.

Ce souvenir de la frontière belge lui donna justement un idée; il jeta le châle sur sa tête comme une énorme marmotte, et, ma fois, sans plus réfléchir, il se dirigea vers la porte du parloir qu’il ouvrit au petit bonheur.

Il fut étonné du calme que lui donna ce commencement d’exécution. Les vaillants n’hésitent jamais qu’en deçà du Rubicon. Dès que le pied a touché l’eau, le sang-froid vient. Roland referma la porte tout doucement et mit la clef dans sa poche.

Il se trouva dans un froid vestibule, éclairé par un quinquet collé à la muraille. Dans la direction où, selon lui, devait être la sortie extérieure, il entendit des murmures chuchotants et touffus, comme si tout un conciliabule de discrets bavardages était là quelque part entre lui et la liberté.

C’était assurément de quoi faire reculer le plus hardi des hommes; mais Roland marcha droit au péril. À l’issue du vestibule s’ouvrait une petite cour où était la conciergerie, où un véritable rassemblement de sœurs converses prolongeait la veillée.

On causait là dru comme grêle et la prodigieuse absence de la mère Françoise d’Assise faisait l’objet de l’entretien. Depuis une heure ou deux que cet entretien durait, toutes les suppositions humainement imaginables avaient été mises sur le tapis. On en était à se demander si M. le duc n’était point par hasard l’assassin du malheureux jeune homme.

La tourière aperçut un corps étranger qui faisait ombre à l’entrée de sa loge, et reconnut le châle neuf de la Davot.

– En voilà une à qui on en a donné! murmura-t-elle.

– Celle-là doit en savoir long! fut-il répondu.

– Est-ce qu’il y a quelque chose, Madame Davot? reprit la tourière à haute voix.

– Je veux jeter un coup de pied jusque chez nous, répliqua Roland sous sa marmotte en imitant avec une admirable précision l’accent nasal et traînant de la garde, rien qu’une minute, vous comprenez, pour montrer toutes ces affaires-là à mon homme un petit peu.

– Et le blessé reste seul?

– Non point, par exemple! Y pensez-vous! sœur Sainte-Lucie est avec lui.

Sœur Sainte-Lucie était une des deux braves religieuses qui, de leur autorité, avaient installé Roland dans le parloir, la nuit du mardi gras.

Roland resta tout pantelant après avoir fait ce mensonge, car il craignait que sœur Sainte-Lucie ne fût là dans quelque coin pour lui lancer un écrasant démenti.

La chance fut en sa faveur. Sœur Sainte-Lucie n’aimait point bavarder et reposait dans sa cellule.

– Une jolie manière de porter les châles, Madame Davot! dit la tourière.

– C’est notre mode, de l’autre côté de Valenciennes, reprit Roland, et les fluxions me cherchent, savez-vous?

La tourière tira le cordon en grommelant:

– La mère n’est pas encore rentrée, Madame Davot. Vous avez peut-être bien une commission à faire pour elle? Je ne vous demande rien, non!… Mais si vous n’étiez pas une protégée, je saurais ce que j’aurais à vous dire.

Elle se tourna vers le cénacle et ajouta:

– Quand on refuse quelque chose à celle-là, c’est toujours une histoire!

Roland était déjà dans la rue.

– Comme elle paraît grande, ce soir! dit une sœur converse.

– Et maigre, dit une autre.

– Mais, à la fin des fins, pourquoi la mère Françoise d’Assise a-t-elle été en ville? demandèrent à la fois une demi-douzaine de voix.

Et la discussion reprit plus attachante que jamais.

Roland était appuyé au mur extérieur du couvent et tenait sa poitrine à deux mains. Ce premier danger surmonté le laissait sans force. Il se sentait près de défaillir.

La rue Notre-Dame-des-Champs, heureusement, est une des plus désertes de ce quartier solitaire. Personne ne passait. Roland put se traîner à quatre pattes jusqu’à l’angle de la rue de Vaugirard. Là, il s’assit dans l’enfoncement d’une porte et reprit haleine. C’était l’émotion qui l’étouffait bien plus que la fatigue.

Pendant qu’il se reposait, l’équipage à quatre chevaux de M. le duc de Clare passa et entra au grand trot dans la rue Notre-Dame-des-Champs. Ce fut pour Roland le signal du départ; la fraude allait être découverte et il fallait s’éloigner à tout prix.

Il se leva et marcha bien plus facilement qu’il ne l’eût espéré. Il descendit la rue de Vaugirard jusqu’à la rue Cassette qu’il prit, et, une fois là, il se reposa encore. Désormais, il se regardait comme sauvé.

Onze heures sonnaient quand il reprit sa course. Il avait bien rencontré, le long de la rue de Vaugirard, quelques symptômes de mi-carême. Dans la rue Cassette, austère boyau, tout était silence. Il suivait péniblement le trottoir désert lorsqu’un grand bruit sortit d’une porte cochère. C’était la porte du n° 3; Roland la reconnut, et une sensation d’angoisse lui traversa le cœur: c’était pour venir là que, la dernière fois, il avait quitté sa mère.

Une joyeuse bande de masques s’élança au-dehors en tumulte: toute la Tour de Nesle, hommes et femmes, escortant triomphalement un gros Buridan aux trois quarts ivre, dont la vue arrêta Roland comme un choc.

Le souvenir de ce visage rude et fruste comme les saints de bois d’une église de village, reproduisit en lui le froid du couteau, pénétrant dans sa poitrine. Sa blessure eut un élancement. Il chancela et s’accota au mur.

Il avait reconnu son assassin.

La bande joyeuse s’éloignait, chantant et criant:

– Joulou est comte! Pleurons le père de Joulou! Joulou hérite! Joulou nous recevra tous dans son château de Bretagne! Vive Joulou! le roi des brutes!

Et comme les clameurs continuaient au lointain, le nom de Marguerite Sadoulas frappa les oreilles de Roland.

Il fut longtemps à se relever cette fois, et sa pensée resta vacillante dans son cerveau. La fièvre revenue l’énervait. Minuit approchait quand il arriva devant la maison de sa mère.

Ici, c’était le quartier des écoles, et les folies de la mi-carême allaient bon train.

La porte se trouvait être grande ouverte; on laissa Roland monter sans l’interroger. Il compta quatre étages, et Dieu sait si cette ascension fut une torture! Sa poitrine le brûlait; chaque marche à franchir lui coûtait un mortel effort. Quand il fut sur le carré du quatrième étage, un sentiment irrésistible le poussa vers le seuil de l’appartement de sa mère.

Il se crut fou. Derrière cette pauvre porte où l’on souffrait silencieusement et saintement, il y avait un bruit de bombance: des cliquetis de verres et de fourchettes, des éclats de voix, des rires et des chansons.