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– Ma chère Favier, l’interrompit Nita, pourquoi êtes-vous descendue? vous vous êtes donné une peine inutile. Mlle de Malevoy est ma meilleure amie, et mon tuteur sera très content de la voir. Remontez, s’il vous plaît.

Rose de Malevoy hésitait encore.

– Dœs she speak english? demanda-t-elle tout à coup à voix basse en désignant la dame de compagnie d’une rapide œillade.

– Not at all! even a single word! répondit Nita en riant. Viens! Le comte va nous rejoindre rue des Mathurins-Saint-Jacques, et nous te remettrons chez toi en revenant.

Rose se tourna vers sa femme de chambre et lui dit:

– Rentrez à la maison, Julie, et prévenez mon frère que je suis avec la princesse d’Eppstein – qui n’est pas accompagnée par Mme la comtesse.

– Et mille amitiés de ma part pour mon cher notaire, ajouta Nita gaiement.

Nita fit asseoir Rose auprès d’elle, et la grosse dame de compagnie prit place sur le devant, roide, silencieuse et grave. Le magnifique attelage, impatient et battant du pied sur place, reprit sa course vers Saint-Sulpice. Les badauds allèrent à leurs affaires.

Soit dit sans manquer au respect que nous devons à Mlle Nita de Clare ou plutôt à Mme la princesse d’Eppstein, car elle était damée par son titre d’Altesse gros comme le bras, Rose et elle formaient bien la plus délicieuse paire de jolies filles qu’on puisse voir. Mlle de Malevoy avait vingt ans; elle était brune avec de grands yeux d’un bleu sombre, un peu trop pâle de teint et aussi un peu trop élancée de taille, mais l’harmonie charmante de ses traits en rachetait la pâleur et l’on ne pouvait qu’admirer la grâce enchantée de cette frêle taille. Rose possédait au degré suprême cette qualité peu définie qui s’appelle la «distinction». Comme chaque couche sociale se fait une idée particulière de la distinction, nous dirons que celle de Rose était la bonne.

Mais Nita avait mieux que cela, en vérité. Quoi qu’on puisse croire, la distinction est une qualité subalterne, et le mot lui-même l’indique énergiquement, désignant comme il le fait ce don vague qui marque un visage au milieu de la foule. Entendîtes-vous jamais dire qu’une reine est distinguée? Certes, ce serait un non-sens.

Nita n’était pas, ne pouvait pas être de la foule. Bien entendu, nous faisons abstraction ici de sa naissance, de sa fortune, nous la débarrassons de cette guirlande de titres qui se nouait pompeusement autour de son nom. Nous la prenons telle que Dieu l’avait créée et telle que son éducation l’avait faite. Nita était belle admirablement, d’une beauté franche, riante et hardie. Quelque nuage avait pu passer sur la joyeuse splendeur de cette jeunesse; quelque deuil, et sa sombre toilette le disait encore, avait pu éteindre pour un instant le noble feu de ce regard, mais la peine ne pouvait courber longtemps ce front véritablement royal. Elle devait se redresser dans sa force et dans son bonheur; elle devait régner partout où la femme gagne les batailles de l’amour et de la vie.

Nous la vîmes enfant, autrefois, dans le cloître glacé, où la mère Françoise d’Assise expiait les gloires du passé vaincu. Elle était alors étrange plutôt que belle avec ses yeux trop grands qui envahissaient la maigreur de ses traits. L’âge avait changé tout cela. L’heure de la floraison éclatait, magnifique et presque imprévue. Chaque jour apportait en elle un charme, un parfum, un épanouissement. Elle éblouissait ceux qui l’aimaient et ceux qui la détestaient.

Elle avait une prodigue chevelure, d’un blond obscur et tout plein de mystérieux reflets que la lumière dorait comme une auréole; ses sourcils, plus foncés et dessinés nettement, selon la courbe aquiline, donnaient de l’autorité à ses grands yeux, rieurs et doux, dont le regard semblait noir, quand l’émotion changeait, comme la baguette d’une fée, l’insouciante expression de sa physionomie. Son nez grec ouvrait ses narines délicates et fines comme des feuilles de rose; sa bouche était d’un enfant, quand elle souriait, montrant la gaieté perlée de ses dents; mais, dès qu’elle ne souriait plus, sa bouche, plus fraîche qu’une fleur, rapprochait ses lèvres hautaines, et, sans parler, disait: «Je veux!»

Elle était d’une année plus jeune que Rose; leurs tailles se ressemblaient, quoiqu’il y eût plus de ressort dans celle de Nita. Et quoique Nita fût plus hautement, plus profondément belle, Rose, auprès d’elle, gagnait en charme et en beauté. Elles donnaient à elles deux je ne sais quel accord, juste et plein, qui enchantait l’œil et faisait vibrer le cœur.

Quand elles furent assises, la princesse Nita prit les mains de Rose entre les siennes.

– Moi, je t’aime toujours, dit-elle; moi, je pense toujours à toi. Tu as été mon bon ange pendant un an quand on me mit au Sacré-Cœur après… après…

Elle n’acheva pas, et ses yeux s’emplirent de larmes.

On l’avait mise au Sacré-Cœur après la mort du général duc de Clare.

– Pauvre bon père! murmura-t-elle. Il y a eu vendredi deux ans… et son deuil n’était pas fini que ma vieille tante, la religieuse de Bon-Secours, est partie aussi. C’était la dernière, celle-là: je suis seule.

– Je vous ferai observer, princesse, prononça doucement la dame de compagnie, que vous n’êtes pas seule du tout: Mme la comtesse est pour vous une seconde mère.

– Bien, Favier, répondit Nita avec un mouvement d’impatience. Quand j’attaquerai Mme la comtesse, il sera temps de la défendre, ma bonne.

Puis elle ajouta en se rapprochant de sa compagne:

– Pourquoi m’as-tu abandonnée, Rosette? Je t’ai bien désirée, va!

– Parce que, répondit Mlle de Malevoy après avoir hésité et en anglais, mon frère ne veut pas que j’aille à l’hôtel de Clare.

La dame de compagnie rougit; ses yeux placides eurent une étincelle. Nita tourna vers elle un regard tout brillant de bonté et lui dit:

– Je n’ai pas souvent l’occasion de repasser mes leçons d’anglais. Permettez-vous, ma bonne?

– Mme la comtesse et le vicomte Annibal parlent anglais tous les deux, répliqua la dame de compagnie. En vérité, ce ne sont pas les occasions qui manquent à Madame la princesse pour repasser ses leçons!

Elle croisa son boa sous les brides de son chapeau et prit une attitude résignée. Rose toucha légèrement le coude de son amie. Elles échangèrent une rapide œillade qui contenait beaucoup de paroles: question et réponse.

Le regard de Mlle de Malevoy voulait dire: Tout à l’heure je t’ai demandé si elle comprenait l’anglais: tu m’as répondu: «Non, pas du tout.» Es-tu bien sûre de ne point te tromper?

Le coup d’œil de Nita confirmait pleinement sa première assertion, et répétait: Not at all! Elle reprit vivement et non sans une petite pointe de colère, toujours en anglais:

– M’est-il permis de demander pourquoi Monsieur mon notaire ne veut pas que tu viennes à l’hôtel de Clare?

Rose répondit:

– Il a connu Mme la comtesse, autrefois, dans sa jeunesse.

– Et il t’a dit?… commença Nita. Que t’a-t-il dit?

– Rien, l’interrompit froidement Rose. Il ne veut pas, voilà tout, et il est le maître.

Il y eut un silence. La dame de compagnie avait fermé les yeux. Rose mit ses lèvres tout contre l’oreille de Nita et murmura:

– Écoute… mon frère aurait besoin de te voir sans témoins. Ne me réponds pas et parlons d’autre chose. Tu feras ce que tu voudras; moi, j’ai fait ce que je devais.