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Je ne sais pourquoi ce regard ne sembla ni indiscret ni coupable.

Le beau jeune homme, pourtant, se retira, inclinant avec respect sa haute taille. Une nuance rosée montait aux joues de Nita; Mlle de Malavoy avait pâli.

Rose s’assit. Nita s’agenouilla de nouveau pour la prière d’adieu. Elle s’accusait d’être distraite; malgré elle, Rose rêvait: on ne voyait plus le beau jeune homme, mais elles savaient toutes deux qu’il était là.

Elles se levèrent et s’embrassèrent encore. Elles s’entraînaient davantage et ne savaient pas pourquoi.

Avant d’éveiller la religieuse pour le départ, Nita murmura:

– J’aurais voulu avoir quelques fleurs pour laisser un bouquet à mon père.

Elles tressaillirent toutes deux. Le jeune homme était près d’elles et tenait des fleurs à la main.

– Acceptez-les, dit-il d’une voix douce qui remuait le cœur. Elles sont à ma mère.

Ce fut Rose qui les prit machinalement, mais Nita dit: «Merci».

Roland s’éloigna aussitôt: elles demeurèrent seules et n’échangèrent plus une parole.

Le bouquet fut déposé sur la tombe, fidèlement, sauf une clochette qui tomba d’une campanule azurée, et que Rose vola.

On éveilla la religieuse, et l’on partit.

Ce fut tout. Est-il, cependant, besoin d’autre chose?

Rose rit beaucoup à la fête de famille. Elle s’étonnait de sa gaieté. En revenant elle pleura et s’irrita contre ces larmes sans motif.

Nita, au contraire, resta triste tout le jour et souffrit de sa solitude.

Elles parlèrent souvent du beau jeune homme: Rose, froidement; Nita, avec moins de réserve. Nita gardait cette vague pensée de l’avoir rencontré quelque part, autrefois.

Rose avait un médaillon qui contenait quelques reliques chéries. La clochette bleue s’y dessécha.

Pendant le séjour de la princesse au couvent, elle obtint quatre fois la permission d’aller voir son père. Chaque fois Rose l’accompagna. Le jardin qui était autour de la petite tombe restait frais, grâce à des soins évidemment journaliers, mais elles n’y virent plus jamais le beau jeune homme.

Son offrande lui fut rendue, cependant, au centuple. Par trois fois, chacune des deux jeunes filles déposa un bouquet sur la table de marbre blanc.

Un soir de la semaine pascale, six mois après avoir quitté le couvent, Mlle de Malevoy, pieuse et cherchant dans ses pratiques de dévotion un remède contre je ne sais quel mal, dont personne n’avait le secret, se trouva tout à coup face à face avec Roland, au sortir du Salut de Saint-Sulpice.

Il était debout près du bénitier. Rose resta interdite, oubliant de faire le signe de la croix. Elle attendait, en vérité, une parole, comme s’il n’eût pas été un étranger pour elle, comme s’il avait eu le droit de lui parler.

Et, par le fait, il y avait un mot sur les lèvres de Roland. Il ne le prononça point; seulement, une muette prière jaillit de son regard.

Quelle était cette prière? question bien souvent ressassée aux heures de solitaire rêverie, question toujours insoluble.

Mais, maintenant, la question avait sa réponse éloquente et claire. Il n’était plus temps de douter. Le tableau parlait là-bas, caressé par son pâle rayon de soleil.

Le tableau disait à Rose: «Tu es aimée, bien-aimée; ton image est là, embellie, adorée. On a fait de toi le bon ange de cette retraite!»

Elle remonta les deux marches du pavillon, et certes, ce n’était point pour éclaircir un doute. Son bonheur l’éblouissait. Pour douter, il eût fallu être aveugle.

Mais la curiosité des jeunes filles est insatiable; cette portion du tableau, cachée par la draperie, l’attirait comme un mystérieux aimant. Elle voulait voir d’abord, tout voir, et puis remettre le voile, car d’autres allaient venir, et elle se sentait le droit de cacher ce secret qui était désormais le sien.

Elle traversa l’atelier d’un pas léger, belle de sa joie profonde, gracieuse comme les bien-aimées. En passant devant Roland toujours endormi, elle pressait le médaillon chéri contre son cœur, et son regard était déjà celui d’une fiancée.

Sa main toucha le rideau qui glissa sans bruit sur sa tringle, découvrant d’un seul coup tout le reste de la toile.

Rose y porta des yeux souriants, mais le sourire se glaça aussitôt sur ses lèvres. Elle chancela et tomba brisée en murmurant:

– Ayez pitié de moi, mon Dieu, c’est elle qu’il aime!

VIII Mystères

Le tableau dont Rose de Malevoy venait de découvrir la seconde moitié représentait deux jeunes filles. Nous avons dit que M. Cœur n’était pas un grand peintre: pourtant il avait produit un chef-d’œuvre.

Ces choses arrivent, soit qu’on manie le pinceau ou le ciseau, soit qu’on se serve de la plume. Chaque homme peut avoir son jour de génie, quand son cœur jaillit tout à coup hors de sa poitrine, son propre cœur.

Il avait reproduit sa rencontre avec les deux jeunes filles, au cimetière Montparnasse.

Roland avait jeté son cœur sur la toile, le rêve de son cœur, du moins la poésie entière de son existence.

C’était bien cette matinée douce et tiède, ce ciel voilé, cette atmosphère où les premières ardeurs de l’année s’épandent comme une languide volupté. Sais-je pourquoi le jardin des morts chantait tout bas une plainte amoureuse? Il y avait là, certes, de grandes mélancolies, mais adoucies par de chères tendresses. Il semblait que ceux qui n’étaient plus, assistaient, derrière cette brume de gaze transparente comme un pieux souvenir, à la fête invisible des fiançailles.

Car l’époux ne se montrait point, et pourtant on le devinait. Cette suave, cette fière enfant dont un trouble divin fleurissait la joue, était éclairée par un regard qu’on ne voyait pas, comme le soleil caché illuminait avec mystère tous les objets d’alentour.

Elle portait le deuil, et le peintre avait vaincu avec un bonheur inouï cette difficulté de marier l’étoffe noire de sa robe à la blanche toilette de sa compagne et aux pâles profils d’un mausolée.

Il faut, dit-on, une scène pour faire un tableau. Je ne crois pas. Ici, il n’y avait point de scène. Un livret d’exposition eût dit tout simplement: «Jeune fille qui s’apprête à déposer un bouquet sur une tombe».

Il n’eût pas même mis «jeunes filles» au pluriel, le livret, car ce délicieux portrait de Rose qui, tout à l’heure, semblait être le tableau tout entier, s’effaçait, dès que la draperie repoussée découvrait l’adoré sourire de Nita. Nita était le tableau, Nita était l’épousée de ces mystiques fiançailles.

Nita laissait tomber sur le bouquet un regard, profond comme un aveu, doux comme un baiser.

Nita… Mais n’avons-nous pas tout dit à l’avance et d’un seul mot? À la vue de Nita, Mlle de Malevoy, tombant du haut de son triomphe, s’était sentie mourir et avait dit:

– C’est elle qu’il aime!

Elle ne se trompait point. Pour lire cela sur la toile, il n’était même pas besoin d’un regard rival et jaloux. Nita ici était le parfum, le rayon, l’âme.

Elle ressortait, belle et réelle, au-devant de sa compagne embellie. La ressemblance tenait du prodige. Pour peindre ainsi de souvenir, il faut vivre avec l’adoré modèle.