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– L’écusson qui est sculpté sur un tombeau, là-bas, au cimetière du Montparnasse!

Comayrol cessa de rire et le sang lui vint aux joues. Jaffret s’agitait comme s’il eût été assis sur des épingles.

– Diable! diable! grommela Comayrol, vous êtes un fort ténor, Monsieur le duc! Voyons, vayadioux! dites-vous vrai en ce moment-ci, ou répétons-nous déjà notre comédie?

– Je ne sais pas quelle comédie vous prétendez jouer, Messieurs, répliqua Roland plus froid que jamais; moi, je vais droit mon chemin et je dis comme je pense.

– Diable! diable! répéta Comayrol. C’est de la haute voltige, cela, Monsieur le duc! je prends du ventre, moi, et je m’essouffle vite. Peut-on fumer ici?

Il atteignait en même temps son porte-cigares.

– Quand je le permets, répondit Roland doucement.

– Et le permettez-vous?

– Non; ce n’est pas la peine: nous avons presque fini.

Ceci fut prononcé d’un tel ton que le prudent Jaffret fit un mouvement pour se lever; mais Comayrol le retint d’un geste impérieux et dit en repoussant son porte-cigares dans la poche de son habit:

– Bien! très bien! vayadioux! voilà qui est mené! moi, je croyais que nous avions à peine commencé! Copain Jaffret, tenez-vous tranquille; je vous engage ma parole solennelle que M. Cœur ne vous mordra pas; avez-vous vos notes?

– Oui, répondit Jaffret timidement. J’ai toujours tout ce qu’il faut.

– Voulez-vous expliquer en deux temps à notre jeune ami les motifs de l’intérêt que nous lui témoignons? Non! vous préférez me charger de ce soin? Parfaitement. Donnez le petit papier…

«Mon cher Monsieur Cœur, s’interrompit-il en prenant un pli des mains de Jaffret, voici un galant homme qui n’est pas hardi avec les personnes qu’il voit pour la première fois. Mais ce n’est pas une poule mouillée, soyez certain de cela! il vous mènerait en cour d’assises sans sourciller ni se fâcher.

– Oh! Monsieur Comayrol! fit l’ami des oiseaux avec reproche.

– C’est son caractère! acheva l’ancien premier clerc. Avec le temps, d’ailleurs, il se familiarise, et je vous le donne pour un chrétien de grand talent. Mais parlons peu et parlons bien, puisque vous êtes pressé. Mon collègue et moi nous appartenons à une catégorie: tous deux dans les affaires depuis notre tendre adolescence, présentement capitalistes et assez gros bonnets, mais gardant un pied à l’étrier, concevez-vous? ce n’est pas la police, fi donc! ah! mais du tout, c’est mieux… et ne vous gênez pas si vous avez besoin d’un bon renseignement, nous voilà!

– Je n’ai besoin de rien, l’interrompit Roland.

– Savoir! Nous autres, nous avons besoin de tout. Voilà donc qu’un jour, où la pluie l’empêchait de se promener, notre ami et collègue Jaffret eut la curiosité d’apprendre un petit bout de votre histoire.

– Moi, s’écria Jaffret. Par exemple!

– Il n’aime pas à être mis en avant, reprit Comayrol. Ce fut peut-être moi, ou un autre; il importe peu; nous sommes comme cela beaucoup d’amis et collègues. Je me disais: quel abominable coup a-t-il donc fait, ce bel amoureux dans un moment d’erreur ou d’ivresse, pour en être réduit à mener paître ce troupeau de chenapans mal peignés, les rapins de l’atelier Cœur d’Acier?

Roland le regarda fixement: Comayrol rougit et reprit en essayant de railler:

– Peste! il y a des balles dans vos pistolets, Monsieur le duc! Mettons que je n’ai rien dit. Tous vos rapins sont des amours. Des goûts et des couleurs, il ne faut jamais disputer… Je me demandais donc cela, et un matin que j’avais le temps, j’allai au marché acheter de la science, ce n’est pas la police, parole d’honneur! Je rapportai un plein panier de science et pour pas cher! toute votre histoire, depuis l’homme déguisé en femme qu’on trouva étendu sous un réverbère, ici près, rue de la Sorbonne, jusqu’à la petite tombe sans nom du cimetière Montparnasse, en passant sur le beau muscadin qui suit, au bois, l’équipage des dames de Clare.

Jaffret se frotta les mains, un peu. Roland avait baissé les yeux. Mais dès que l’ex-roi Comayrol eut cessé de parler, Roland releva les yeux et bâilla à grande bouche.

– Est-ce tout? demanda-t-il avec ennui.

– Vous ne le croyez pas, cher Monsieur, répondit Comayrol; mais, avant de poursuivre, permettez-moi d’établir en deux mots notre propre situation, à nous deux mon copain Jaffret, car, en conscience, nous avons l’air de tomber de la lune. Il y a dans Paris une jeune princesse qui possède une fortune immense, laquelle fortune ne lui appartient pas. Voilà que vous devenez attentif; cela me fait plaisir pour vous et pour nous. Il y a dans Paris un jeune homme, pauvre comme Job, et à qui ses parents ont oublié de laisser un nom…

– Passez, dit Roland.

– Volontiers: je voulais ajouter seulement que le jeune homme adore la jeune princesse; pas un mot de plus. Il y a dans Paris une maison… de commerce, si vous voulez, qui a eu… par héritage, je suppose, les titres établissant sur une autre tête la propriété des immenses biens que possède la jeune princesse. J’espère que vous comprenez?

– Assez bien. Vous n’avez pas l’autre tête sous la main, Messieurs?

Le bon Jaffret regarda Roland avec des yeux en coulisse.

– Heu! heu! fit le roi Comayrol, une tête… ça se trouve. Mais enfin, n’importe, vous nous allez!…

– La conclusion, s’il vous plaît?

– Permettez! Tout cela s’engrène comme une mécanique, et il ne nous faut pas plus de deux minutes désormais. Je reviens à la boîte aux renseignements. Il est bon, il est nécessaire que vous nous répondiez en pleine connaissance de cause, car nous nous avançons un petit peu ici, hein, Jaffret?

– Beaucoup, dit ce dernier. Nous nous avançons énormément!

– Et ceux qui ne seraient pas avec nous, poursuivit l’ancien premier clerc d’un ton de menace sérieuse et contenue, seraient contre nous. C’est clair, cela, hein, Jaffret?

– Que Dieu me garde, murmura l’ami des oiseaux, de faire jamais du mal à une mouche!

– À une mouche, repartit Comayrol, je ne dis pas… Il y a un vieux conte ainsi fait: sur mille passants, prenez le premier venu et coulez-lui à l’oreille: je sais tout! Il vous donnera sa bourse, sa montre et son mouchoir de poche pour n’être pas conduit au poste. Nous avons mieux que cela. Ce fut la nuit de la mi-carême, en 1832, à quatre ou cinq heures du matin, qu’on vous releva sous votre réverbère, Monsieur Cœur, ici près, sous les fenêtres du bon Jaffret…

– Vers les six heures, rectifia Roland.

– Cette même nuit, un meurtre fut commis rue Notre-Dame-des-Champs.

La figure du jeune peintre s’anima malgré lui et vivement.

– Sur la personne d’un pauvre garçon, poursuivit Comayrol en soulignant chacun de ses mots, qui, en vérité, n’avait pas de chance. On l’avait déjà poignardé, trois semaines auparavant, boulevard du Montparnasse, la nuit du mardi-gras au mercredi des Cendres.

– Ah! fit Roland, moitié raillant, moitié saisi, et la seconde fois, il en mourut, je suppose?

– D’aplomb! Ce soir-là, j’entends le soir du mardi-gras, un jeune homme était venu à l’étude Deban, notaire, rue Cassette. Et il y avait un des clercs qui savait que M. Deban avait promis, le pauvre diable, de livrer, pour vingt mille francs, des titres à lui confiés. Il est tombé bien bas, depuis lors, le pauvre Deban. Ce n’était pas du tout un homme capable. Les titres valaient à peu près quatre cent mille livres de rentes. Un joli denier, hein, Jaffret?