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Après le feu d’artifice, ce fut le bal. L’orchestre Vacherie, abondamment abreuvé, fit tout à coup entendre un infernal tapage, et des danses sans nom soulevèrent en nuages épais la poussière du hangar.

Roland était rentré dans son pavillon, où il faisait tout uniment ses malles. On sonna à la porte de la rue des Mathurins-Saint-Jacques. Roland ordonna d’ouvrir. L’instant d’après, M. Baruque et Militaire étaient introduits, tenant, selon le programme exact posé par Rudaupoil, un pauvre diable par les oreilles.

Ils étaient fort échauffés tous deux, et serraient plus fort qu’il ne fallait, car le pauvre diable se débattait en gémissant.

– Voilà l’animal, dit M. Baruque, tout vivant!

– Et ça n’a pas été sans peine! ajouta Gondrequin. Il tape dur! Aussitôt qu’ils eurent lâché prise, sur l’ordre de Roland, Similor, car c’était lui, sans son chapeau gris, sans sa jaquette jaune, bondit sur ses pieds, prit du champ et frotta ses deux mains contre la poussière du sol avant de tomber en garde, selon les principes les plus purs de la boxe française.

En face de lui, comme si chacun de ses mouvements eût été répercuté par un miroir, un autre personnage, qui venait de passer le seuil sans bruit, frottait aussi ses mains dans la poudre et se préparait silencieusement au combat. Seulement, sur le dos de ce dernier, un appendice se montrait en saillie, et quand l’homme se releva pour retrousser ses manches, l’appendice se mit à crier haut et fort.

L’homme dit avec douceur:

– Tu as raison, Saladin, les enfants n’en ont pas, vu leur âge. Je vais te coller contre le mur.

Ce qu’il fit, en y mettant les précautions de la mère la plus tendre. Après quoi, il ajouta en s’adressant à Roland:

– Voyez-vous, Monsieur Cœur, il est sevré d’aujourd’hui et ça l’agite un petit peu. Maintenant, tu peux y aller, Amédée, je suis prêt à défendre l’amitié contre n’importe quoi, quand ce serait des gendarmes!

Mais Similor avait remis ses mains dans ses poches sur un simple mot de Roland qui avait dit:

– Vous serez payé, mon camarade.

– Mes braves amis, reprit le jeune peintre en s’adressant à M. Baruque et à Militaire, vous avez outrepassé mes intentions de beaucoup…

– Quand on veut avoir ces bêtes-là, Monsieur Cœur, interrompit Rudaupoil, il faut les prendre par la peau comme des chiens.

– Viens vitrier de gâcheur, s’écria Similor, qui savait prendre, quand il le fallait, des poses de gentilhomme, au jour que vous voudrez et à n’importe quel outil que vous choisirez, depuis le chausson, qu’est dans la nature, jusqu’au sabre de cavalerie, dont j’ai tous les brevets, ainsi que de la canne et de la danse des salons, je vous ferais votre affaire. Mais du moment que M. Cœur y met de la politesse et une rétribution, ça change tout… et si on veut que j’envoie celui-là voir ailleurs si j’y suis, je ne m’y oppose pas!

Échalot courba la tête devant ce comble de l’ingratitude.

– Toujours le même, Amédée! murmura-t-il. Pour son dévouement, on n’a que de mauvaises raisons avec toi!

– Celui-là peut-il nous servir pour ce que vous savez? demanda Roland à M. Baruque.

– Non, répondit Rudaupoil, il est honnête et imbécile. Échalot avait tout supporté, mais ceci passait les bornes.

– Honnête vous-même, dites donc! répliqua-t-il avec indignation. Qu’on a eu, sans me flatter, une carrière un peu plus agitée que la vôtre et tenu une agence qu’était rivale de M. Lecoq… ça vous fait éternuer, ce nom-là? Dieu vous bénisse! Savez-vous s’il fera jour demain? à midi ou à minuit? En mangez-vous seulement? Vous me faites de la peine, ancien croûton de purée!

Il se dirigea d’un air fier vers le coin où il avait déposé l’enfant, et le prit dans ses bras avec le vrai mouvement des nourrices émérites.

– Viens, Saladin, mon canard, poursuivit-il, l’ambition et l’orgueil a dévoré le cœur de l’auteur de tes jours. À revoir la société. Amédée, il est sevré d’aujourd’hui, tout frais, veux-tu le presser sur ton sein en passant?

– À la niche! ordonna Similor durement.

Échalot, révolté, étendit son bras vers lui pour le maudire, mais les grands écrivains l’ont dit: «De tous les sentiments qui honorent l’espèce humaine, le plus admirable est l’amitié.» La main d’Échalot retomba; il lança l’enfant sur son dos et sortit en disant tout bas:

– C’est les passions! Le fond n’en est pas mauvais. Viens, Saladin, nous allons attendre dans la rue. Il est ton père par suite des lois de la nature!

– Comme quoi, s’écria Similor en haussant les épaules, nous en voilà débarrassés! Les vieux domestiques, ça se croit tout permis, et je le traite avec douceur, parce qu’il a été fidèle à ma famille. Mais, pour mes histoires particulières et mes plaisirs dans la société parisienne, il me gêne et me fait honte.

Un geste de Roland l’interrompit tout court. Il mit la main au toupet et se redressa, disant:

– Présent à l’ordre! Je vas vous dévoiler tout ce qu’on voudra. C’est au choix, ayant fait partie du conseil supérieur de la chose avec le colonel, M. Lecoq, le comte Corona et autres, sans jamais manquer à la délicatesse. Qu’est-ce que vous voulez savoir?

M. Baruque échangea quelques mots avec le patron, qui fit un signe d’assentiment.

– Monsieur Similor, dit Baruque, M. Gondrequin et moi nous avions bien dîné, et nous étions gais tout à l’heure, quand on a tutoyé vos oreilles.

Similor répliqua noblement:

– Ça arrive, Monsieur Baruque. J’accepte vos excuses et celles de M. Militaire, comme il convient entre gens d’honneur.

– Vous cherchez à faire des recrues dans notre atelier, Monsieur Similor, reprit Rudaupoil. Je vous ai entendu causer avec les modèles.

– Fine oreille, va! s’écria le séducteur de Mlle Vacherie. Il a surpris mes bagatelles au vis-à-vis d’une jeune artiste! Je ne m’en cache pas: J’aime les femmes, le jeu, le vin, toutes les fleurs de l’existence printanière…

– Alors, l’interrompit Baruque, la mécanique va toujours?

– Fera-t-il jour demain? Sans doute! c’est immortel dans Paris, comme la colonne!

– Et on travaille?

– Pas beaucoup, rapport à l’aventure de M. Lecoq, qu’a mis un froid, et que le comte Corona est en fuite. On se borne à mitonner des affaires d’industrie et de succession.

– Comme l’affaire de Clare? dit Roland.

– Connais pas, repartit franchement Similor.

Roland ferma la bouche à M. Baruque qui allait parler.

– J’entends l’affaire du notaire de la rue Cassette, dit-il.

– Ah! c’est différent! s’écria Similor, les papiers du n° 3! J’en étais! vous savez que ça m’est égal, quand même vous seriez de la police, Monsieur Cœur, et ces Messieurs. J’ai à nourrir Échalot, mon domestique, que jamais je ne l’abandonnerai, malgré ses familiarités, et Saladin, mon fils unique, dû à une dame du grand monde. Faut travailler; il n’y a pas de sot métier; l’espion n’est qu’un vain mot au dix-neuvième siècle, avec les progrès de l’éducation sociale. Pour de l’or, dans ma situation, je consens à trahir tous mes serments les plus sacrés, sans répugnance.