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«La comédie qui se jouait était destinée à donner le change aux juges, mais cette comédie trompait Thérèse bien plus complètement que les juges eux-mêmes, parce qu’on ne l’avait point mise dans le secret. C’était une simple fille des champs, malgré tout, et le haut rang qu’elle avait occupé un instant ne pouvait lui avoir enseigné le monde, car le château de la Nau-Fabas était une solitude. Cet homme qu’elle avait soigné blessé, cet hôte ingrat, ce frère dénaturé qui revenait tout-puissant de Paris, non point pour secourir son frère malheureux, mais pour le dépouiller après l’avoir accablé, lui fit horreur et l’épouvanta.

«Elle n’eut plus qu’une pensée: cacher son fils. La vie de son fils opposait un dernier obstacle aux ambitions de cet homme, pauvre faible obstacle, facile à briser. Il fallait fuir, puisque la résistance était désormais impossible. À tout prix il fallait fuir.

«Thérèse quitta Grenoble, ce jour-là même.

«L’audience, cependant, continuait. Sur l’observation du président, tendant à établir que l’incident était entièrement étranger à la cause et en dehors de la compétence de la cour prévôtale qui pouvait connaître seulement du fait de trahison, Guillaume fit valoir la volonté du roi et plaida avec une rare énergie son intérêt personnel et de famille, son intérêt d’honneur. Il ne voulait pas, dit-il, que le noble nom de Clare, synonyme de loyauté en France comme en Angleterre, historique dix fois, cité à chaque page des annales de la fidélité, fût porté sur l’échafaud avec cette tache de trahison.

«- Les Clare, ajouta-t-il, meurent pour le roi, ils l’ont prouvé depuis deux siècles, que le roi ait nom Stuart ou Bourbon: ils ne meurent jamais contre le roi. La révolution triompherait à bon droit, si elle pouvait inscrire dans son martyrologue un fils de Stuart dont le sang ferait un contrepoids impie au sang royal du premier Charles.

«Que cet homme soit puni, termina-t-il enfin, il m’importe peu, je ne le connais pas, mais qu’on me laisse au moins le loisir de mettre mon écusson à l’abri d’une tache funeste. Il ne serait pas bon que l’Europe pût dire: un soldat de l’armée de Condé, un compagnon d’exil de Louis XVIII, un général français, un pair de France, a demandé huit jours de la vie d’un coupable pour sauvegarder son propre honneur, et cette grâce lui a été refusée! Dans l’espace de huit jours, je m’engage à prouver que le général bonapartiste, assis au banc des accusés, n’a aucun droit à mon nom de Clare, aucun droit à mon titre de duc, et je mets la cour au défi d’affirmer que, parmi les papiers de cet homme, une seule pièce ait été trouvée qui établisse son prétendu état civil. Mon frère aîné, le duc de Clare, est mort, je suis son unique héritier; dans huit jours, à cette même place, je m’engage à produire son acte de décès…

«Ma sœur, c’était un temps troublé profondément, où le cours des choses allait sans doute au vent de la faveur et de la passion. Il faut constater cela pour expliquer les hardiesses presque insensées de cette allégation, dans le pays même où le général Raymond de Clare possédait d’immenses domaines, et à quelques lieues seulement de sa résidence bien connue. Mais les juges composant la cour étaient étrangers à la contrée et il est des jours où la politique est friande de scandales. L’échafaud qui se dresse après les guerres civiles ne déshonore pas: c’est un calvaire. Ce qui déshonore, c’est le vol et l’imposture: l’idée de trouver, sous l’uniforme d’un général de division la peau d’un effronté coquin, était faite pour séduire.

«Guillaume de Clare ne demandait, après tout, qu’une semaine.

«La cour s’ajourna.

«C’en était assez pour la réussite du plan.

«Dans la nuit du surlendemain, Raymond de Clare s’évada des prisons de Grenoble, par les soins du duc Guillaume, son frère.

XIV Frère et sœur

Léon de Malevoy reprit:

– Toutes ces choses sont relatées ici dans le récit de la mère Françoise d’Assise, écrit, partie de sa propre main, partie de la mienne, sous sa dictée.

«Lady Stuart était du voyage triste qui suivit l’évasion préparée par Guillaume. Ce fut elle qui accompagna Raymond à son château de la Nau-Fabas, où ils croyaient retrouver la jeune duchesse Thérèse et le petit Roland.

«Raymond regrettait ce qu’il avait fait; lady Stuart partageait son avis. C’étaient deux nobles cœurs et dignes de s’entendre: pour l’un ni pour l’autre, cependant, la droite intention de Guillaume ne soulevait aucun doute.

«Ils arrivèrent au château de la Nau-Fabas avant le jour. La blessure de Raymond s’était rouverte en chemin. Les gens du château n’avaient vu ni la jeune duchesse Thérèse ni l’héritier, comme on appelait le petit Roland dans les domaines. De vagues rapports ayant donné à penser que la mère et le fils avaient passé la frontière de Savoie, Raymond voulut continuer son voyage. Il était très faible et il perdait beaucoup de sang.

«À trois jours de là, dans un petit hameau savoyard, non loin de Chambéry, les deux frères eurent leur dernière entrevue, à laquelle assista lady Stuart. Raymond était mourant et avait reçu déjà les secours de la religion. Il embrassa Guillaume, qui pleura en lui rendant son baiser. Il confia à Guillaume la tutelle de sa jeune femme et de son enfant; en outre il l’institua, en cas de malheur, son légataire universel.

«Le lendemain, Raymond, duc de Clare, rendit son âme à Dieu. C’était le vingt-quatrième jour de juillet en l’année 1816. Son acte de décès fut dressé en due forme et joint au dépôt que Guillaume possédait déjà.

«Lady Stuart aimait le duc Raymond comme un fils. La communauté de foi politique l’avait toujours rapprochée de Guillaume; mais, au fond du cœur, Raymond était son préféré. Elle resta violemment frappée et toutes les recherches pour découvrir la retraite de la jeune duchesse et de son fils ayant été inutiles, lady Stuart se retira au couvent de Bon-Secours, au commencement de 1817, sous le nom de sœur Françoise d’Assise.

«Il semblait que Thérèse eût tout d’un coup disparu de la surface terrestre, avec son fils, sans laisser de trace. Ce qui va suivre est purement conjectural et résulte de renseignements recueillis à droite et à gauche, indépendamment de ce que la mère Françoise d’Assise et feu M. le duc pouvaient savoir eux-mêmes.

«Les noms inscrits sur ces papiers, s’interrompit Léon Malevoy en rapprochant de lui les différents petits dossiers qui, naguère, étaient sous la même enveloppe, indiquent les personnes interrogées. Aucune, parmi ces personnes, ne savait rien de certain.

«Les probabilités sont que Thérèse, duchesse de Clare, trompée par l’apparente trahison de son beau-frère et lui attribuant peut-être tout le malheur de son mari, quitta la France, poursuivie par une terreur qui ne devait jamais se guérir. À ses yeux, c’était l’ambition, c’était aussi la cupidité qui avaient guidé Guillaume de Clare. Selon son raisonnement, et quelle mère, abusée comme elle l’était, n’eût fait un raisonnement pareil? l’homme qui avait tué son propre frère ne devait pas reculer devant le meurtre de son neveu. Dès le premier moment sa préoccupation unique fut de fuir le plus loin possible et de cacher son fils à tous les yeux. Elle traversa la Savoie, puis la Suisse, puis une grande partie de l’Allemagne, poursuivie sans cesse par l’image fratricide de Guillaume.

«Elle dut vivre du travail de ses mains dans la retraite inconnue qu’elle s’était choisie. Elle avait emporté quelques bijoux; mais, par une contradiction qui est dans le cœur de toutes les mères, elle gardait chèrement cette ressource suprême, pour combattre, au jour où son fils, devenu homme, pourrait revendiquer ses droits.