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C’est le siècle. Les ruelles infectes se réveillent un matin en boulevards. Tout est heur, rien n’est malheur. On rit, et à bon droit, des fâcheux qui se souviennent. En conscience, reprocherez-vous au boulevard, plein d’air et de soleil, les fétides odeurs de la ruelle démolie?

La Bourse refait à ces beaux joueurs une virginité, non point la Bourse banale que chacun stigmatise du nom de tripot à ses heures de spleen, mais la grande Bourse du monde, la vraie Bourse, où Dieu invalide est maintenant simple coulissier et lit les livres de M. Renan avec des conserves vertes.

C’est le siècle. Marguerite Sadoulas, comtesse du Bréhut de Clare, n’était une exception qu’en ce point assez rare: elle ressemblait comme deux gouttes d’eau à une comtesse qui n’eût point été manufacturée.

Car il y a une punition sur ces fils et ces filles du hasard. Cela est certain, et le siècle tout-puissant n’y peut rien. Ils gardent l’étiquette au dos. L’univers ricane en les adorant.

Marguerite ne gardait rien. C’était une comtesse parfaite. Savez-vous pourquoi? C’est bien simple. Elle n’avait point cette maladie que M. de Talleyrand regardait comme la plus désespérée de toutes les infirmités et qui perd uniformément les parvenus, quel que soit leur sexe, quelle que soit leur fortune: le zèle.

Ils veulent trop faire. Ils entendent en eux-mêmes une voix qui est leur conscience et qui leur crie: Gros-Jean, tu n’es pas assez duc. Et ils sont trop ducs, ce qui est ne plus être duc.

Ils se démènent, les malheureux vainqueurs, ils s’efforcent, ils se noient à force de tourmenter l’eau qui les porterait s’ils demeuraient tranquilles. Le zèle les pique comme un remords. Ils courent quand il suffirait de marcher, et leur haleine essoufflée les trahit. J’en sais un qui, semblable à Midas, y compris les oreilles, voulait que chez lui tout fût d’or. J’en sais une qui, fille de Vénus et d’un lapin, enrichie par ses œuvres que nul n’oserait éditer, anoblie par Mercure, voulait un vicomte dans ses écuries! Un vrai vicomte pour palefrenier!

Elle l’eut. Il la bat.

Quand Mme la comtesse du Bréhut de Clare fut introduite dans le cabinet de maître Malevoy, Léon se tenait assis à la place où nous l’avons vu, près de son bureau. Rose s’était éloignée de quelques pas et restait debout. Tous les deux étaient très émus.

Rien de semblable n’existait chez Mme la comtesse; au moment où elle franchit le seuil, sans empressement ni hésitation, elle présentait l’image du calme le plus parfait.

Léon se leva pour la recevoir. Rose demeura immobile.

Mme la comtesse avait peu vieilli dans le sens vulgaire du mot. On aurait pu dire même, en la voyant ainsi aux lumières, que le temps avait passé sur la remarquable beauté de ses traits, sans y laisser aucune injure. C’était toujours la belle Marguerite, mais elle était belle autrement, et il y avait un très grand changement dans l’ensemble de sa personne.

Un changement qui mentait d’une façon absolue aux promesses trop riches de son premier âge.

En voyant la jeune fille autrefois, vous auriez craint pour l’opulence précoce de cette taille, la cruelle abondance de biens, écueil et terreur de la seconde jeunesse. On dit que l’embonpoint préserve la beauté, qu’il l’enduit, qu’il l’émaille, que sais-je? on dit mille choses, on plaide, c’est une preuve de procès. La cause de l’embonpoint n’est pas encore gagnée chez nous comme en Turquie. S’il garde le teint, il enfouit le regard, il alourdit, il charge, il opprime, et sur toutes choses il date. L’effort que supporte le corset d’une femme proclame son âge mieux que ces extraits indiscrets cueillis par les jalouses dans le jardin de la mairie.

Cette charmante et spirituelle dame qui est connue dans Paris pour lever ainsi les preuves irréfragables de l’antiquité de ses rivales aurait eu double peine avec Marguerite. Marguerite était née on ne savait où; le travail du malheureux qui cherche une adresse de porte en porte dans la longue rue Saint-Honoré n’est rien auprès de cette autre tâche qui consisterait à compulser tous les registres de toutes les mairies de France. Encore, Marguerite était-elle née en France? Il y avait une goutte de sang d’Espagne dans sa chaude carnation. D’Espagne ou d’Italie. Cherchez avec cela!

L’embonpoint menaçant n’était pas venu. La maigreur restait à distance, ennemie non moins redoutable. Cependant, Marguerite, contre toute attente, penchait plus vers la maigreur que vers l’embonpoint. Elle n’était plus la reine de théâtre; elle était comtesse, purement et simplement.

Est-ce à dire que les reines et les comtesses aient des poids divers? Au théâtre, oui. Une reine de théâtre doit peser tant de kilogrammes, ou mourir.

Mais, avez-vous observé cela? Moi, j’en suis sûr, et je prépare un mémoire à l’Académie. Il y a moins de femmes grasses au faubourg Saint-Germain qu’au faubourg Saint-Honoré, moins au faubourg Saint-Honoré qu’à la Chaussée-d ’Antin, moins à la Chaussée-d ’Antin que dans ces lieux divers et peu connus, où se retirent les victorieuses de la confection et de la mercerie. J’ai les chiffres. C’est énorme. Il existe un écart de cinquante pour cent entre la rue Saint-Denis et la rue de Varennes.

Quoique la rue de Varennes consomme une quantité quadruple de matières sucrées propres à favoriser l’embonpoint.

Marguerite, et voilà ce que nous voulions établir, gardait ce milieu qui est précisément la jeunesse; elle était jeune très sincèrement, malgré sa toilette qui appartenait, non point à son âge apparent, mais à son âge exact. Nous dirons cet âge avec franchise: à notre estime, Marguerite devait avoir trente-cinq ans, au bas mot. Peut-être davantage.

Vous lui eussiez donné dix bonnes années de moins au premier regard. Par-derrière, quand elle arpentait de son pied léger les allées ombreuses du jardin de l’hôtel de Clare, elle n’avait pas plus de vingt ans.

Revenons à sa toilette, qui était rigoureusement simple: une robe de moire noire, un manteau et un chapeau de velours noir, le tout sans garnitures.

C’était jeune. À la rigueur, Rose aurait pu porter cela; mais une femme de cinquante ans aussi.

Mme la comtesse fit quelques pas dans la chambre, réussissant, tant elle était maîtresse d’elle-même, à rendre insignifiant et banal le beau sourire de ses lèvres.

– Monsieur de Malevoy, dit-elle, après avoir salué Rose gracieusement, je suppose que vous m’attendiez.

– Oui, Madame, répondit Léon, qui s’inclina et avança un siège.

– Dois-je me retirer? demanda Rose à voix basse.

– Mais pourquoi donc? répliqua Marguerite avant que Léon pût répondre. Notre chère Nita vous envoie tous ses compliments, mon enfant. Vous êtes deux bonnes amies et je suis ici pour les affaires de la princesse d’Eppstein.

Elle s’assit. Le regard de Léon se tourna vers sa sœur et sembla contredire la décision de Mme la comtesse.