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– Mon cher garçon, disait-il, hier, quand j’ai entendu le surveillant murmurer à mon oreille ces bienheureux mots: Il fera jour demain, je me suis dit tout de suite: Lecoq est mort; on a dû couper la branche. Est-ce le bon colonel qui a fait cela?

– Le colonel est fin comme l’ambre, répondit Gioja.

Ce Lecoq tournait au tyran.

– Comment l’a-t-on supprimé? Annibal répondit:

– Mme la comtesse avait envoyé des cèpes de la forêt d’Andaine: ils se sont trouvés vénéneux.

– Cette chère Marguerite! s’écria Nicolas en riant. J’avais déjà songé aux champignons là-bas: Lecoq les aimait… Mais allons-nous faire dix lieues dans Paris, vicomte?

Les stores du fiacre étaient baissés. Annibal répliqua:

– On ne saurait prendre trop de précautions.

La voiture s’arrêta presque aussitôt après.

La portière fut ouverte par Cocotte qui était là en sentinelle et qui dit:

– Rabattez votre chapeau, relevez vos collets: il ne faut pas échouer au port.

Le beau Nicolas était prudent par nature. Il sortit du fiacre, tout occupé à cacher son visage et sans regarder ni à droite ni à gauche.

On le poussa dans une allée noire et humide qui avait vaguement odeur de cabaret.

Au bout de l’allée était un escalier tournant.

– Où diable suis-je ici? demanda-t-il.

– Rue Mauconseil, chez l’abbé, lui fut-il répondu.

– L’abbé est bien mal logé. Montons.

On monta trois étages, une porte fut poussée et le faux prince se trouva dans une chambre de forme octogone, très petite, où il y avait cinq hommes et un large trou pratiqué dans le mur.

Sur les cinq hommes, trois étaient armés de couteaux.

Les deux autres avaient des cravates noires sur la figure.

À la vue du prince, ceux qui étaient armés de couteaux reculèrent terrifiés et Coyatier dit:

– M. Nicolas! un Habit-Noir!

D’un mouvement pareil, le prince avait voulu faire aussi un pas en arrière, mais la porte par où il venait d’entrer s’était refermée. L’un des deux hommes masqués dit:

– Il fait nuit! Coupez la branche!

–  Lecoq! balbutia le prince terrifié.

– Bonhomme, répondit le terrible Toulonnais-l’Amitié, c’est toi qui avais inventé le tour. Tu aurais parlé demain à l’audience, nous t’épargnons la cour d’assises. Allons, marche!

Quand onze heures sonnèrent à l’horloge du Palais, la chambre n° 9 était en ordre et sa boiserie intacte ne présentait aucun indice révélateur.

Longtemps après, en l’année 1843, le baron Labre d’Arcis et sa femme, Suavita de Champmas, reçurent une lettre de faire-part, datée de Saint-Pétersbourg, qui leur annonçait le mariage de Mlle Ysole Soûlas avec le prince Woronslow, aide de camp de S.M. l’empereur de toutes les Russies.

Cinq ans après encore, quelques mois avant la révolution de 1848, Paul et Suavita firent un voyage à La Ferté-Macé pour visiter la tombe du général comte de Champmas, mort l’automne précédent.

Il y avait une sœur de charité accoudée sur le marbre.

Elle serra Suavita sur sa poitrine, tendit la main à Paul et s’éloigna sans prononcer une seule parole.

C’était Ysole, toujours belle, mais morne, jusque dans le repentir.

Suavita fut distraite en priant pour son père.

Mais, le soir, Paul la mena par la main sur la pelouse du château de Champmas où trois beaux enfants blonds accoururent vers eux en secouant leurs chevelures bouclées.

Et pendant que la jeune mère, car Suavita n’avait pas encore vingt-six ans, s’enivrait de baisers et de caresses, Paul lui dit avec le beau sourire des heureux:

– Que Dieu lui donne la paix comme il m’a donné le bonheur!