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– Là! fit-il, c’était donc la mer à boire!

Ce dernier mot n’était pas encore prononcé, qu’un grincement se fit entendre derrière la porte n° 9. Depuis quelques secondes, le bruit du martèlement avait cessé.

Pistolet se laissa choir sur les fagots sans respect pour le cadavre tiède de sa victime, et demeura immobile.

La porte n° 9 s’ouvrit, et Pistolet vit quelque chose de singulier.

Il faisait jour encore à l’intérieur de la chambre. La porte qui s’ouvrait en dehors montra son revers. Elle était doublée d’un matelas.

– Pour qu’on n’entende pas les coups de pioche, pensa Pistolet. Pas bête!

Un homme de taille herculéenne, que la lumière prenait à rebours, se montra sur le seuil. Il écouta et regarda. Puis il sortit et promena un morceau de craie sur les planches de la porte.

– Il met son nom, pensa Pistolet. On va voir.

Ce fut tout. L’homme rentra et poussa le verrou de la porte en dedans, mais pour rentrer, il avait mis en lumière son profil perdu, et Pistolet murmura d’un ton de surprise profonde, où il y avait bien quelque frayeur:

– M. Coyatier! le marchef!

«Mais voyons voir l’étiquette qu’il a collée sur sa boutique! ajouta-t-il.

Une allumette chimique grinça et fit feu. Pistolet l’approcha toute flambante de la porte du n° 9 et put lire ce nom: Gautron.

Ce nom était tracé avec de la craie jaune.

II Un coin du vieux Paris

Clampin, dit Pistolet, souffla sur son allumette chimique et se mit à réfléchir.

– Ça doit être crânement bon pour M. Badoît, cette histoire-là, pensa-t-il.

Le bruit sourd avait repris; Pistolet savait maintenant pourquoi les chocs répétés de la pioche ou du marteau semblaient si lointains: il y avait le matelas.

Pistolet pensa encore:

– Il ne faut pas plaisanter avec le marchef. Il a une manière pour tuer le monde comme moi pour les chats, sans les faire miauler; mais qu’est-ce qu’il peut fabriquer à coups de pic? La maison tremble. C’est drôle qu’on ne l’entend pas ici dessous dans les cabinets de société. Après ça, on entend peut-être; quand ils montent, une machine, ceux-là, c’est bien ajusté! On aura mis des amis dans les cabinets.

Il avait attaché son petit crochet de chiffonnier à un lambeau de bretelle qui retenait son pantalon sous sa blouse; c’était un engin de chasse qui ne coûtait point de port d’armes.

Pistolet, cependant, restait songeur.

– Quant à me passer de Bobino, ce soir, et de Mèche, mon Albanaise, bernique! dit-il en prenant sous les fagots le cadavre de l’infortuné matou. J’ai mes vingt sous assurés sur la planche. Il tâta le corps du délit en connaisseur et ajouta:

– Vingt-cinq sous! c’est un monument que ce bijou-là… et tendre! Au Lapin-Blanc ils le feront sauter pour les milords. Et il sera toujours bien temps de dire la chose à M. Badoît demain matin: la chose de M. Coyatier et du nom qu’il a marqué sur la porte matelassée. C’est un nom… Voyons! Ah! la mémoire!… Goudron… Gautron! Du diable si je suis capable de garder ça jusqu’à demain. Me faudrait un portefeuille avec crayon. Je m’en collerais un, s’ils ne coûtaient pas quarante centimes, sans boire ni manger, ni rien payer à Mèche.

Ces vêtements du gamin de Paris, qui semblent si élémentaires, ont toujours un nombre suffisant de poches. Dans ces poches, il y a toutes sortes de choses dont la vente ne produirait pas de quoi prendre l’omnibus. Pistolet fouilla ses poches pour trouver un lambeau de papier; par hasard, le papier manquait, Pistolet chercha sur le carré; pas le moindre chiffon.

– J’avais pourtant mis la main sur une miette de charbon qui aurait fait un joli crayon, grommela-t-il; tiens, je suis bête, la carte de M. Paul s’ennuie là, depuis le temps; je vais la mener au spectacle.

De son pas furtif, qui ne produisait aucun bruit, il s’approcha de la porte du milieu et enleva la carte de Paul Labre, au dos de laquelle il écrivit à tâtons ce nom de Gautron.

Tranquille désormais au sujet des tours que pourrait lui jouer sa mémoire, il dissimula le matou mort sous sa blouse et descendit l’escalier.

L’heure du plaisir avait sonné. Pistolet, libéré de son bureau, allait dans la rue tête haute et nez au vent.

Quand il eut vendu minet au cours du jour à l’industriel honorable qui devait en faire une gibelotte, Pistolet acheta pour deux sous de pain et deux sous de couenne cuite à la poêle qu’il mangea en gagnant le théâtre du Luxembourg. Sans appartenir à la jeunesse dorée, il avait quelque réputation au contrôle comme effronté claqueur.

– Ma femme est-elle au paradis? demanda-t-iclass="underline" Mlle Mèche, s’entend?

Sa femme était au paradis. Il y monta. Pendant toute la soirée, il étonna la haute galerie par son faste, payant tour à tour de la bière à deux sous, de l’orgeat amidonné, des pommes, de la galette et des noisettes.

Il avait pourtant dans sa poche de quoi sauver la vie d’un homme qui allait mourir, ce chevalier déguenillé de Mlle Mèche. Mais il n’était pas encore rangé et ne songeait qu’au plaisir.

Après son départ, le palier où le meurtre avait eu lieu était resté désert. Chez Mme Soûlas, on dînait bien paisiblement; tout se taisait dans la mansarde de Paul Labre; le bruit produit par le travail mystérieux qui se faisait dans la chambre n° 9 s’entendait seul et plus distinctement.

Dans la nuit presque complète du carré, un rayon vif se dessina tout à coup en éventail, éclairant à la fois les deux recoins et la cage de l’escalier tournant.

C’était la porte du milieu qui s’ouvrait.

Paul Labre se montra debout sur le seuil. Il écouta.

Le martèlement sourd prit fin aussitôt.

Il paraît que, malgré le matelas, disposé pour amortir le son, celui ou ceux qui travaillaient dans la chambre n° 9 gardaient un moyen de savoir ce qui se passait au-dehors.

Un instant, la haute stature et la tête harmonieuse de Paul se découpèrent en silhouette sur la baie cintrée d’une fenêtre qui s’ouvrait au fond de sa chambre, juste en face de l’entrée. On ne pouvait distinguer ses traits parce que la lumière le frappait en plein dos et mettait son visage à contre-jour, mais l’élégance flexible de sa taille et la pureté de ses profils laissaient deviner un homme très jeune et très beau.

Manifestement, c’était le bruit du marteau qui l’avait appelé, car le silence parut l’étonner au plus haut point.

Manifestement aussi, le bruit l’avait arraché à quelque occupation exigeant du calme. Un poète a cette pose inquiète, quand un son importun vient tout à coup troubler son recueillement.

Mais Paul Labre n’était pas un poète.

Il jeta d’abord un regard du côté de la chambre tranquille où les hôtes de Mme Soûlas prenaient leur ordinaire; ensuite, son œil interrogea la porte du n° 9 qui restait dans l’ombre, et où le nom tracé à la craie n’apparaissait point.

Il murmura en se touchant le front:

– On n’est plus soi-même, à ces heures. Je me croyais fort, mais j’ai la fièvre, c’est certain, puisque j’entends des bruits qui n’existent pas.

Il prêta l’oreille encore, attentivement, et ajouta:

– Rien! J’aurais juré qu’il y avait là des maçons en train d’abattre un pan de muraille. Ma tête déménage.