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Au premier moment, on put croire que la présence de Mlle de Villanove ne modifierait point la situation, du moins en ce qui concernait Remy d’Arx.

Aux yeux de ce petit monde dont il était le favori, son seul défaut était un tantinet de sauvagerie. On crut s’apercevoir qu’il devenait un peu plus sauvage, mais ce fut tout.

Le jour où l’une de ces demoiselles découvrit que Valentine, pour employer la locution si prudente et si expressive du bon monde, avait «remarqué» M. Remy d’Arx, la grande nouvelle fut naturellement publiée dans tous les petits coins, et il y eut bien des sourires moqueurs échangés en tapinois, car la froideur de Remy était chose notoire. On aurait pu même aller plus loin: ses visites à l’hôtel devenaient de plus en plus rares, et c’est à peine si, dans ces occasions, il adressait à Mlle de Villanove les paroles exigées par la simple politesse.

Mais si clairvoyantes que soient généralement ces demoiselles, quand il s’agit d’intrigues mignonnes et de petits romans à la douzaine, elles sont sujettes à se tromper aux manifestations inconnues de cette chose si rare: un grand, un puissant amour.

IV Le colonel

Elles riaient auprès du piano, où l’on babillait sur n’importe quoi. Autour du foyer, la conversation languissait un peu parce qu’on attendait la table de whist. Çà et là, dans le reste du salon, les groupes ressassaient la chronique du jour.

Dans la serre, où l’on voyait paraître et disparaître de rares promeneurs, l’entretien de Remy d’Arx et de la comtesse Corona allait s’animant de plus en plus.

Le jeune juge d’instruction était très pâle et parlait avec une chaleur contenue; la belle comtesse s’arrêtait parfois pour l’écouter, tantôt riant aux éclats, tantôt émue et comme stupéfaite.

Soit par hasard, soit à dessein, Valentine, dont les doigts blancs se jouaient avec distraction sur les touches du piano, s’était placée de manière à ne rien perdre de ce qui se passait derrière les châssis de la serre.

Ces demoiselles, de leur côté, ne perdait rien de ce qui se passait sur les traits charmants de Valentine.

On pouvait dire ce qu’on voulait, les paroles ne signifiaient rien, puisque l’intérêt de la comédie était ailleurs: Valentine ne relevait-elle pas malgré elle ses grands yeux qu’elle eût voulu tenir baissés? une rougeur fugitive ne montait-elle pas tout à coup à sa joue? et n’avait-on pas surpris le froncement de ses sourcils délicats?

Marie de Tresme, un blond amour, conclut une discussion musicale en disant:

– C’est égal, moi, j’aime mieux Schubert. Le Roi des Aulnes, voyez-vous, c’est un délice.

Elle ajouta du bout des lèvres:

– Mais comme M. Remy d’Arx a de l’esprit ce soir avec la comtesse!

Valentine ferma le piano et tourna le dos à la serre.

On entendit la voix un peu cassée de Mme la marquise qui disait:

– Alors, nous avons encore une cause célèbre ce mois-ci?

– Un succès colossal, repartit Mme de Tresme, la mère de cette blonde Marie; on ne parle plus ni de Rachel, ni de Duprez, ni de Mario, ni de Grisi, tout est aux Habits Noirs!

Un gros homme, assis auprès de la marquise, ajouta:

– Nous nous en occupons aussi à Saumur.

– Et qu’est-ce que c’est donc que ces Habits Noirs? demanda d’un ton indolent M. de Saint-Louis de l’autre côté de la cheminée.

Ce fut à ce moment que le valet annonça M. le baron de la Perrière, qui fit son entrée rondement et en homme suffisamment appris.

– Voici la vingtième fois pour le moins que j’entends faire cette question aujourd’hui, dit-il, après avoir salué la marquise; les Parisiens en deviendront fous, et jamais, depuis la girafe, on ne vit une vogue pareille!

Il y eut des groupes qui se rapprochèrent et le gracieux conciliabule réuni auprès du piano se mit à écouter.

– J’ai peine à croire, reprit le gros homme, qui était un cousin de la marquise, habitant la province et s’occupant d’améliorations agricoles, j’ai peine à croire que ces Habits Noirs aient l’importance de la bande Châtelain et surtout des Escarpes dont la Gazette des Tribunaux nous a raconté les méfaits à Saumur.

– Vous avez l’air très fort, à Saumur, monsieur de Champion, dit M. de la Perrière, qui lui offrit la main en souriant, sur la Gazette des Tribunaux.

– La Bourse va bien, répondit le gros homme, mes bitumes ont monté de trois francs. C’est bon signe pour la paix de l’Europe.

Puis, prenant tout à coup cet accent oratoire, qui se gagne dans la pratique des comices agricoles, il ajouta:

– La Gazette des Tribunaux, monsieur le baron, répond à un besoin de notre époque. Je cherchais depuis longtemps pour ma fille un organe qui ne parlât ni politique, ni religion, ni morale, ni surtout littérature, car c’est la ruine des familles. La Gazette des Tribunaux remplit admirablement ces diverses conditions.

– Elle a évidemment été fondée pour le délassement des demoiselles, murmura M. de la Perrière en gardant son grand sérieux.

– Avant de m’abonner, continua le cousin de Saumur, j’ai fait prendre des renseignements par mon notaire, car j’avais été la victime de plusieurs publicistes qui avaient mis la clef sous la porte après avoir encaissé mon argent.

– On dit, interrompit encore M. de la Perrière, que les Habits Noirs avaient un journal officiel!

– La Gazette des Tribunaux, repartit très ingénument le gros homme, ne fait pas mention de cette circonstance. Les renseignements fournis furent excellents, j’eus la preuve que l’entreprise était dans une situation florissante, et depuis dix-huit mois nous recevons cette feuille véritablement intéressante dont Mlle de Champion nous lit les articles après le dîner.

– Ce doit être une jeune personne instruite, fit observer Mme de Tresme avec son bienveillant sourire.

Le cousin de Saumur la regarda d’un air un peu inquiet.

– Il est bien entendu, madame, ajouta-t-il en baissant la voix, que je marque au crayon, pour n’être point lus, les articles spécialement faits pour notre sexe, tels que les affaires d’infanticides et les attentats à la pudeur.

Le groupe du piano ne bougea pas plus que si l’on eût parlé latin. La marquise eut une quinte de toux et Mme de Tresme joua de l’éventail.

– Vous autres, Parisiens, s’écria M. de Champion pendant qu’un rire discret faisait à bas bruit le tour des salles, vous aimez mieux lire des romans, toujours inutiles quand ils ne sont pas dangereux, ou dévorer les attaques incendiaires que les plumes de l’opposition dirigent contre le gouvernement. Chacun son goût! À Saumur, nous respectons les mœurs et nous savons apprécier les bienfaits de l’ordre public.

– Je suis entièrement de l’avis de M. de Champion, dit le fils méconnu de Louis XVI, à qui la marquise offrait une carte pour le whist. La province est le dernier espoir de notre civilisation malade.

La marquise revint au cousin de Saumur et lui dit tout bas en lui présentant le jeu de cartes: