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Valentine était toujours immobile comme une belle statue couchée.

Le docteur se rapprocha d’elle, mais au lieu de lui donner le médicament qu’il avait administré jusqu’ici, il tira de sa poche un flacon et versa quelques gouttes de son contenu dans une petite cuiller.

D’un geste familier à ceux de sa profession, deux de ses doigts pesèrent sur les joues de la malade, dont la bouche s’entrouvit.

Ses dents, plus blanches que l’ivoire, étaient serrées; une légère pression opérée sur les narines leur fit faire un mouvement dont le docteur profita pour passer le bout de la cuiller.

Cela fait, il remit toutes choses en place et attendit.

Le colonel l’imita.

Il s’était assis de nouveau, mais plus près du lit, et son œil placide regardait la charmante malade, tandis que ses pouces tournaient.

Après trois ou quatre minutes écoulées, le docteur se pencha jusque sur le visage de Valentine; il déboucha de nouveau son flacon et le lui fit respirer.

– Voilà! dit-il en se relevant.

Presque au même instant, un soupir faible passa entre les lèvres de la jeune fille, puis la couverture monta et redescendit parce que son sein commençait à battre.

Le docteur regarda le colonel.

– Est-il nécessaire que vous restiez ici? demanda ce dernier.

– Je vous l’ai dit, répliqua Samuel, une émotion nouvelle pourrait déterminer un nouvel accident. Je puis attendre dans une pièce voisine.

Le colonel lui montra la porte, mais il ne le laissa pas sortir sans ajouter:

– À dix heures, rue Thérèse, soyez exact. Ce sera curieux, très curieux.

La porte s’ouvrit et se referma.

Le colonel était seul avec Mlle de Villanove, qui reprenait lentement ses sens. Il rapprocha son fauteuil du chevet et s’établit en homme qui veut avoir toutes ses aises.

Les yeux de la jeune fille s’ouvrirent, mais ils semblaient privés de la faculté de voir.

– Au théâtre, pensa le colonel, dans de bonnes occasions comme celle-ci, elles disent généralement: «Où suis-je? Que s’est-il passé?» et autres faridondaines. Je voudrais abréger les préliminaires. Voyons!

Il eut une petite toux sèche qui fixa sur lui les regards de Mlle de Villanove; elle fit aussitôt un effort pour se dresser sur son séant, mais elle ne put.

– Comment vous trouvez-vous, ma bonne chérie? demanda le colonel du ton le plus affectueux.

Valentine jeta ses yeux égarés tout autour de la chambre.

– Oui, oui, prononça doucement le bonhomme, il n’y a pas à dire, c’est une mauvaise affaire.

– Là! murmura Valentine, dont le doigt convulsif se tendit, c’est là!

Elle montrait l’endroit où naguère Maurice s’était tenu debout les bras croisés sur sa poitrine.

– C’est là, en effet, répéta le colonel, c’est là qu’il a dit: «Fleurette!» et que vous avez répondu: «Maurice!» en ajoutant d’autres paroles également imprudentes dans votre situation.

Valentine se couvrit le visage de ses mains.

– Malheureusement, reprit le colonel, il y avait des témoins. Mais vos amis sont riches, ma belle petite, et avec de l’argent on étouffe bien des cancans.

– Je n’ai rien à cacher! s’écria Mlle de Villanove, qui montra son visage fier et presque provocant.

– Certes, certes, on dit ces choses-là dans le premier moment, mais en fin de compte…

Valentine l’interrompit et demanda:

– Monsieur, êtes-vous chargé de m’interroger? Ce ne sera pas long: je l’aime et je l’aimerai toujours.

– Pour ce qui me regarde, répliqua le colonel très doucement, il ne me déplaît pas de vous entendre parler ainsi; c’est du cœur, de la générosité; je ne déteste pas ces défauts-là. Mais, voyez-vous bonne petite, le cœur, la générosité, la folie même, ne servent à rien quand il s’agit d’un homme placé dans la position de ce pauvre diable.

– Il est innocent! s’écria impétueusement Valentine.

– Pourquoi vous fâcher, mon ange? repartit le colonel; moi je ne demande pas mieux qu’il soit innocent, c’est un joli jeune homme, mais voilà! les apparences lui tournent diantrement le dos: un gaillard, pauvre comme Job, car on n’a pas trouvé tout à fait la monnaie d’un louis dans sa poche, amoureux d’une jeune personne qui passe à tort ou à raison pour être millionnaire, un homme assassiné, non pas le premier venu, mais un receleur ou un voleur qui avait en sa possession les diamants de la fameuse Carlotta Bernetti: joli coup de filet! je ne sais plus combien de centaines de mille francs! Flagrant délit avec cela, ou quelque chose qui y ressemble comme deux gouttes d’eau, car on a suivi le meurtrier à la trace, on l’a arrêté sans l’avoir perdu de vue et n’ayant pas encore eu le temps de laver ses habits ni ses mains, où il y avait du sang.

La tête de Valentine retomba sur l’oreiller.

– Ça va être encore une cause célèbre, poursuivit le colonel; il en pleut et je crois…

Il s’arrêta et glissa entre ses paupières demi-closes un regard vers Valentine.

– Oui, continua-t-il, ce sera le côté vraiment romanesque de ce procès. Je crois que notre ami, M. d’Arx, sera chargé de l’instruction.

Valentine était redevenue aussi pâle qu’avant de reprendre ses sens.

– En thèse générale, poursuivit le colonel, paisible comme si de rien n’eût été, je n’aime pas les mariages forcés; j’en ai eu dans ma famille un bien funeste exemple: ma fille, qui était pourtant une digne créature, pesa un peu sur notre pauvre chère Fanchette, ma petite-fille, lors de son union avec son cousin le comte Corona… Certes, avec la marquise, nous n’avons rien à craindre de semblable, et d’ailleurs comment comparer Remy d’Arx à un mauvais sujet comme mon neveu Corona; Remy d’Arx est la perle des hommes, et je ne sais point de dévouements dont il ne soit capable.

Il s’arrêta de nouveau. Valentine était immobile, et muette, et froide comme une statue.

– Mon Dieu, poursuivit encore le vieillard, j’ai vu en ma vie des aventures plus extraordinaires. Il y a bien des orages menaçants qui n’éclatent pas. Il faut que je retourne auprès de la marquise, presque aussi bouleversée, presque aussi malheureuse que vous, ma pauvre enfant. Je n’ai pas besoin de vous dire quel coup terrible elle a reçu, mais en vous quittant, je voudrais vous laisser dans une situation d’esprit plus calme.

Il se leva et prit la main de Mlle de Villanove, qui eut à ce contact un sourd frémissement.

– Il y a une chose certaine et consolante pour vous, dit-il avec un accent de bienveillante onction, c’est que vous êtes entourée de bons cœurs, de cœurs dévoués. À votre âge, on se met parfois dans l’esprit des idées de révolte. Réfléchissez, pensez à ceux qui vous aiment, à ceux que votre malheur réduirait au désespoir.

Il s’inclina sur le front de Valentine, qu’il baisa. C’était un front de marbre. La jeune fille ne fit pas un mouvement, ne prononça pas une parole. En gagnant la porte à pas lents, le colonel se disait: