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XXII La corbeille

Quinze jours s’étaient à peine écoulés et c’était déjà la veille du mariage.

Les choses vont vite et bien quand on a dans sa manche un ami comme le colonel Bozzo; il avait fait sa principale affaire de cette union qui rapprochait sa nièce chérie et le mieux aimé de ses amis, celui qu’il appelait volontiers son fils d’adoption: M. Remy d’Arx.

Tous les délais avaient été abrégés, toutes les dispenses obtenues à la mairie comme à l’église, et ce bon colonel était venu aujourd’hui à l’hôtel, dès le matin, échanger des congratulations avec Mme la marquise d’Ornans, tout heureuse d’un résultat si prompt et si complet.

Il y avait matinée chez la marquise; la fameuse corbeille était exposée sur une manière d’autel dans le salon d’été, et tout à l’entour on avait étendu les robes de la mariée, les cachemires et les dentelles.

C’était riche et charmant; la marquise avait fait des folies, le colonel s’était piqué d’émulation, et M. de Saint-Louis, brochant sur le tout, avait envoyé des cadeaux dignes d’un prince.

Les amis de la maison s’extasiaient à l’envi et admiraient tout haut ce gracieux étalage, mais tout bas ils se dédommageaient en distribuant des coups de dents à tout ce qui se pouvait mordre.

La marquise n’entendait que les compliments et disait de temps en temps au colonel, qui n’avait cédé à personne l’honneur d’être son cavalier:

– Ah! bon ami, comme vous avez mené tout cela!

– Uranie, répondait le vieillard, exhumant pour la circonstance ce nom de baptême qui avait été poétique autrefois, le bonheur de nos deux chers enfants sera ma récompense.

– C’est stylé, disait M. de Champion (de Saumur), c’est artiste, c’est cossu, mais nous avons à Saumur des trousseaux qui valent celui-là.

La voix authentique de maître Constance-Isidore Souëf, notaire rédacteur du contrat, se faisait entendre à l’autre bout du salon.

Il savait par cœur les chiffres stipulés et additionnait pour qui voulait l’entendre:

– Du côté de Mme la marquise, la maison de la rue de Richelieu, qui vaut annuellement 35 000 francs nets et quittes d’impôts; les cinq fermes de Picardie, qu’on peut évaluer à 1000 louis en bloc, et l’hôtel de la rue de Varennes où demeurera le jeune ménage; côté du colonel Bozzo-Corona, la terre de Normandie qui, au train de poste que courent les biens ruraux, vaudra un demi-million avant une couple d’années, plus une inscription de rentes 5% au capital de 400 000 francs; du côté de M. de Saint-Louis, sa plantation de l’Ile-de-France qu’on ne peut pas évaluer à moins de 5000 piastres de revenu, la piastre équivalant à peu près à notre écu de cinq francs; tout cela nous donne, avec la fortune personnel de l’époux, un petit total qui dépasse gaillardement deux cent mille livres de rentes!

– C’est fort joli pour entrer en ménage, déclara Mme de Tresme, non sans une légère pointe d’amertume.

– Sans compter les espérances, dit en passant M. le baron de la Perrière, qui venait d’entrer et qui se dirigeait vers le colonel.

– Voilà un amour! s’écria Marie de Tresme en contemplation devant une parure de pierres mêlées.

Elle ajouta en se penchant à l’oreille d’une autre petite demoiselle:

– Mettra-t-elle cela pour sortir le soir en fiacre?

L’autre petite demoiselle ricana et répondit:

– Tu es une méchante! elle n’aura plus besoin de sortir en fiacre puisque son brigand sait entrer par les fenêtres.

Au-dessus de ces murmures, les paroles élogieuses éclataient dans tous les coins du salon:

– Charmant! délicieux! exquis!

– Idéal! trouva même monsieur Ernest, l’échappé du collège, qui avait fait de grand progrès depuis deux semaines.

– Comme elle sera jolie avec cela!

– Elle qui porte si merveilleusement la toilette!

M. le baron de la Perrière, après avoir présenté son respect à la marquise, glissa rapidement à l’oreille du coloneclass="underline"

– Il y a eu un petit incendie à l’hôtel Meurice, justement dans la chambre de lord Francis Godwin, et cette nuit on a profité du moment où le général Conrad soupait au Café anglais pour entrer chez lui et forcer son secrétaire. Il n’y a plus qu’un seul exemplaire du mémoire de Remy d’Arx.

– Baron, vous ne nous dites pas votre avis sur la corbeille? répliqua le vieillard en comprimant un mouvement de triomphe.

– Délicieuse, adorable, inouïe de richesse et de bon goût! s’écria aussitôt M. de la Perrière.

Mme de Tresme disait au cousin de Saumur:

– Moi, d’abord, je ne crois pas à tous ces bruits-là.

– Des cancans! répondit M. de Champion, des bêtises! nous avons à Saumur des gens qui passent leur vie à fabriquer des bourdes pareilles. Je ne dis pas qu’il n’y ait absolument rien, car enfin le lieutenant l’a appelée Fleurette, et ce n’était pas une erreur, puisqu’elle a répondu: Maurice!

– Quelque hasard… fit Mme de Tresme.

– Évidemment, et puis vous savez, cette chère Valentine a eu une enfance…

– Oui, oui… et une jeunesse…

– Voilà! en bonne conscience, on ne peut pas la juger comme on jugerait Mlle de Tresme ou Mlle de Champion. Avez-vous remarqué comme M. Remy d’Arx est changé?

– Il a vieilli de dix ans en quinze jours, tout uniment.

– Oh! le bijou de robe! s’écria Marie. Que fera-t-elle de tout cela! Et de loin on entendit, comme un écho persistant, la voix de maître Constance-Isidore Souëf qui répétait la fin de sa chanson:

– … Un total qui dépasse, haut la main, 200 000 livres de rentes!

L’entretien de Mme de Tresme et du cousin de Saumur était devenu confidentiel.

– Moi, chuchotait M. de Champion, je vous répète ce qu’on m’a dit, la Gazette des Tribunaux n’en parle pas: il y a eu scandale au Palais. La chose était, en vérité, plus claire que le jour, et c’était presque un cas de flagrant délit.

– Puisqu’on avait suivi le malfaiteur, repartit Mme de Tresme, depuis la maison de la rue de l’Oratoire jusqu’ici! C’est une bien singulière affaire!

Quelques habitués de l’hôtel s’étaient rapprochés d’eux et un groupe intime se formait.

– Est-ce que cela est bien vrai? demanda un des joueurs de whist de la marquise, est-ce que l’ordonnance de non-lieu est rendue?

– Si bel et si bien, répondit M. de Champion, qu’à l’heure présente le lieutenant Pagès se promène en toute liberté dans Paris.

– C’est impossible! fit-on à la ronde.

Mme de Tresme appela du doigt monsieur Ernest et ajouta en manière d’explication:

– Ce petit bonhomme a un frère au parquet, et nous allons avoir des détails.

Elle s’interrompit pour crier à sa fille, qui s’approchait curieusement avec quelques compagnes:

– Regardez, mesdemoiselles, admirez, c’est de votre âge, nous n’avons pas besoin de vous.