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Sa poitrine défaillait, sa tête était en feu; il s’appuya des deux mains contre la table en balbutiant:

– L’arme… l’arme invisible! je n’aurai pas le temps! je suis blessé à mort!

– Jésus! dit Victoire, la femme de chambre, qui sortait du cabinet,

voilà M. d’Arx qui se trouve mal; je vais vous préparer un verre d’eau sucrée.

– Ici! dit le juge en l’appelant d’un geste impérieux.

– Je ne suis pourtant pas un chien, gronda la camériste.

Mais elle s’approcha et Remy lui donna la lettre de Valentine en ajoutant:

– Lisez-moi cela sur-le-champ!

Elle obéit, car la figure bouleversée du juge lui faisait peur.

– On va lire, dit-elle; Dieu merci! j’ai reçu de l’éducation et les pattes de mouches ne m’embarrassent pas.

Elle lut:

«Voici quinze jours que je vous ai remis ma confession; non seulement vous n’y avez pas répondu, mais encore vous semblez m’éviter…»

– L’éviter! répéta Remy en un gémissement.

– C’est vrai, ça, dit Victoire, tous les jours, plutôt deux fois qu’une, mademoiselle me demandait: «Est-ce que M. d’Arx n’est pas venu?»

Elle continua de lire:

«… Ceux qui ont aidé sans doute à précipiter le dénouement ont bien travaillé pendant ces deux semaines: nous voici à la veille de ce mariage.

«Monsieur d’Arx, nous avions fait ensemble un marché; pour votre part, vous avez rempli votre engagement; moi, ce que j’ai promis est au-dessus de mes forces. La mort seule, à mes yeux, peut et doit éteindre une dette de cette sorte.

«Ne pouvant vous payer, je meurs.

«Adieu!»

– Il y a cela! dit le juge qui haletait, en arrachant la lettre des mains de Victoire.

Et sans attendre la réponse, il la saisit par les épaules et cria comme si quelqu’un d’autre eût pu l’entendre:

– Écoutez! ne la laissez pas se tuer! je suis vaincu! je le sais bien; je demande grâce! Ne frappez plus ou bien ne frappez que moi! Je me rends! vous êtes les plus forts; je me rends à votre merci!

– Le voilà fou! pensa Victoire. Elle ajouta tout haut:

– Monsieur d’Arx, ne faites pas un malheur sur moi; je vous jure bien que je ne suis pour rien dans tout cela!

Remy fit un effort suprême pour ressaisir sa pensée et demanda:

– Y a-t-il longtemps qu’elle est sortie?

– Un quart d’heure.

– Où est-elle?

En prononçant ces derniers mots, il jeta sa bourse sur la table.

– Pour ça, répondit Victoire, je peux vous le dire, puisque je l’ai conduite jusqu’au fiacre. Sans moi, je l’aurais bien défiée de descendre l’escalier; elle ne se tenait pas, quoi! et comme elle parlait tout bas, j’ai été obligée de répéter l’adresse pour le cocher: rue d’Anjou-Saint-Honoré, n° 28.

– Ah! fit Remy, dont la voix ne tremblait plus.

Il s’était redressé; il ajouta avec un calme extraordinaire:

– Chez lui! chez Maurice Pagès!

Il sortit.

Derrière lui, le colonel Bozzo, sortant on ne sait d’où et alerté comme le chat qui guette une souris, descendit l’escalier sans être vu.

Sous la porte cochère, il se rencontra avec M. Lecoq, qui lui dit en montrant une voiture stationnant de l’autre côté de la chaussée:

– Ces messieurs sont là et ils vous attendent.

C’était une pauvre chambre au troisième étage d’une vieille maison de la rue d’Anjou.

La fenêtre donnait sur de grands jardins où le soleil d’automne jouait tristement dans les feuillages déjà flétris.

Ils étaient là tous deux, Maurice et Valentine, assis l’un près de l’autre et se tenant par la main.

Valentine avait jeté son mantelet sur un meuble; elle avait la tête nue, ses cheveux dénoués ruisselaient en boucles abondantes.

Elle était belle jusqu’au ravissement.

Maurice la contemplait en extase.

Leurs lèvres se joignirent en un long et silencieux baiser.

– Je voudrais prier, murmura Valentine, car je sens que je ne suis pas condamnée. Nous avons tant souffert, Dieu nous pardonnera!

Il y avait à côté d’eux sur la table un verre plein d’une liqueur brillante et dorée comme le vin des îles espagnoles. Ce verre était seul, aucun flacon ne l’accompagnait. Maurice et Valentine évitaient de regarder ce verre. Valentine s’agenouilla.

Maurice resta debout; il était pâle, mais ferme. Ce qui se passait ici avait été résolu froidement et de longue main. Quand Valentine eut achevé sa courte prière, elle dit:

– Il faut nous hâter, car on pourrait venir.

Elle jeta ses deux bras autour du cou de Maurice, et il y eut un dernier baiser qui souriait encore, mais qui était navrant comme un adieu.

Puis tous les deux à la fois tendirent leurs mains vers la coupe.

Ni l’un ni l’autre ne la prit; un bruit soudain et violent se faisait entendre derrière la porte, qu’on essayait d’ouvrir du dehors.

La porte résista, elle était fermée à clef, mais elle battait contre le chambranle, parce que la serrure usée ne tenait plus.

Un choc irrésistible fit sauter le pêne hors de la gâche.

Remy d’Arx, semblable à un spectre, se montra sur le seuil.

Sa course et l’effort qu’il venait de faire avaient mis le comble à son épuisement; il était si effrayant à voir que Valentine entoura Maurice de ses bras et lui dit:

– Ne te défends pas, nous lui appartenons.

Remy traversa toute la chambre sans parler. En marchant, il se soutenait aux meubles comme ceux que l’ivresse va terrasser. Arrivé auprès de la table, il demeura un instant immobile. Son regard se détournait de Valentine; il dit à Maurice:

– Je vous pardonne, tâchez d’être heureux.

Puis il saisit le verre et l’avala d’un trait.

Et il tomba foudroyé, non point, certes, par l’effet du poison quel qu’il fût, mais parce qu’il n’avait plus rien à faire ici-bas et qu’en une heure il avait dépensé toute sa vie.

C’est à peine si Maurice, aidé par Valentine, eut le temps de le relever pour le transporter dans le lit.

Quand ils se retournèrent, la chambre était pleine de gens de police amenés par Lecoq et le colonel Bozzo-Corona.

Le Dr Samuel, qui les accompagnait aussi, s’empara tout d’abord du verre et le flaira.

Son geste et l’expression de sa physionomie criaient le résultat de son examen.

– Nous sommes arrivés trop tard, dit le colonel en un gémissement, mon malheureux ami n’est plus.

Puis, s’adressant au commissaire et montrant au doigt les deux jeunes gens atterrés:

– Je suis presque centenaire, poursuivit-il, mais dans ma vie trop longue je ne me souviens pas d’avoir subi jamais une si cruelle épreuve; Je me regardais comme le père de cette jeune fille et sa mère d’adoption est ma meilleure amie, mais, dût mon pauvre vieux cœur se briser, j’accomplirai un suprême devoir. Le lieutenant Pagès et Valentine de Villanove s’aimaient, Remy d’Arx devait épouser demain Valentine de Villanove, elle s’est enfuie de l’hôtel d’Ornans pour rejoindre son amant, et dans la retraite qu’ils ont choisie, nous trouvons Remy d’Arx assassiné!