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Pendant qu’ils m’examinaient, Cathy est arrivée; elle avait entendu ces dernières paroles et elle s’est mise à rire. Edgar Linton, après lui avoir lancé un regard inquisiteur, a repris suffisamment ses esprits pour la reconnaître. Ils nous voient à l’église, vous savez, et nous ne les rencontrons d’ailleurs que là. «C’est Miss Earnshaw», disait-il tout bas à sa mère, et regardez comme Skulker l’a mordue… comme son pied saigne!»

«Miss Earnshaw? quelle bêtise!» s’est écriée la dame. «Miss Earnshaw battant le pays avec un bohémien! Et pourtant c’est vrai, l’enfant est en deuil… sûrement c’est elle… et elle est peut-être estropiée pour la vie!»

«Quelle coupable négligence de la part de son frère!» a gémi Mr Linton, me quittant pour se tourner vers Catherine. «J’ai entendu dire par Shielders» (c’était le pasteur, monsieur) «qu’il la laisse croître dans l’impiété la plus complète. Mais qui est l’autre? Où a-t-elle ramassé ce compagnon? Oh! oh! c’est certainement cette étrange acquisition que feu mon voisin avait faite lors de son voyage à Liverpool… un petit Lascar, ou quelque rebut de l’Amérique ou de l’Espagne.» «Un méchant garçon, en tout cas», a observé la vieille dame, «et tout à fait déplacé dans une maison honnête. Avez-vous remarqué son langage, Linton? Je suis scandalisée que mes enfants l’aient entendu.» J’ai recommencé à jurer… ne vous fâchez pas, Nelly… et Robert a reçu l’ordre de me mettre dehors. J’ai refusé de m’en aller sans Cathy; il m’a traîné dans le jardin, m’a forcé de prendre la lanterne, m’a assuré que Mr Earnshaw serait informé de ma conduite et, m’enjoignant de me mettre en route sur-le-champ, a refermé la porte. Les rideaux étaient encore relevés dans un coin et j’ai repris mon poste d’observation; car, si Cathy avait désiré repartir, et qu’ils n’eussent pas voulu la laisser sortir, j’avais l’intention de briser leurs grandes vitres en un million de morceaux. Elle était tranquillement assise sur le sofa. Mrs Linton lui a enlevé le manteau gris de la laitière que nous avions emprunté pour notre excursion, en secouant la tête et en lui adressant des remontrances, je suppose: Cathy était une jeune fille de bonne naissance, et ils faisaient une distinction entre les manières de nous traiter, elle ou moi. Puis la femme de chambre a apporté une cuvette d’eau chaude et lui a lavé les pieds; Mr Linton lui a préparé un grand verre de negus [8], Isabelle lui a vidé une assiette de gâteaux sur les genoux, pendant qu’Edgar, bouche bée, la regardait de loin. Ensuite, ils ont séché et peigné ses beaux cheveux, lui ont donné une paire d’énormes pantoufles et l’ont poussée près du feu. Je l’ai laissée, aussi gaie qu’elle pouvait l’être, en train de partager ses gâteaux au petit chien et à Skulker dont elle pinçait le nez pendant qu’il mangeait; sa vue faisait luire dans les ternes yeux bleus des Linton une étincelle de vie, vague reflet de sa figure enchanteresse. Je voyais qu’ils étaient remplis d’une admiration stupide: elle est si démesurément supérieure à eux… à n’importe qui sur terre, n’est-ce pas, Nelly?

– Cette histoire-là aura plus de suites que vous ne croyez, répondis-je en bordant son lit et en éteignant la lumière. Vous êtes incorrigible, Heathcliff, et Mr Hindley sera obligé d’en venir à des mesures extrêmes, vous verrez.

Mes paroles se trouvèrent plus vraies que je ne le désirais. Cette malencontreuse aventure rendit Earnshaw furieux. Puis Mr Linton, pour arranger les choses, nous rendit visite le lendemain et fit au jeune maître une telle leçon sur sa façon de diriger sa famille que ce dernier se décida à s’occuper sérieusement de ce qui se passait chez lui. Heathcliff ne fut pas fouetté, mais il fut averti qu’au premier mot qu’il adresserait à Miss Catherine il serait infailliblement chassé. De son côté, Mrs Earnshaw entreprit de discipliner un peu sa belle-sœur, quand celle-ci rentra à la maison. Elle usa d’adresse et non de force: par la force elle ne serait arrivée à rien.

CHAPITRE VII

Cathy resta à Thrushcross Grange cinq semaines, jusqu’à Noël. Durant ce laps de temps, sa cheville se guérit complètement et ses manières s’améliorèrent beaucoup. Ma maîtresse lui rendit de fréquentes visites pendant cette période et commença l’application de son plan de réforme en essayant d’éveiller chez elle l’amour-propre par des vêtements élégants et des flatteries qu’elle accepta volontiers. Si bien qu’au lieu d’une petite sauvageonne entrant nu-tête, en coup de vent, dans la maison et se précipitant pour nous étouffer sous ses embrassements, nous vîmes descendre d’un joli poney noir une personne très digne, avec des boucles brunes qui pendaient sous un chapeau de castor à plumes, et un long vêtement de drap qu’elle était obligée de relever avec les deux mains pour pouvoir marcher. Hindley l’enleva de cheval en s’écriant d’un air ravi:

– Mais Cathy, te voilà une vraie beauté! C’est à peine si je t’aurais reconnue: tu as l’air d’une dame maintenant. Isabelle Linton ne soutiendrait pas la comparaison avec elle, n’est-ce pas, Frances?

– Isabelle n’a pas les mêmes avantages naturels, répondit Mrs Earnshaw; mais il faut que Cathy fasse attention et ne reprenne pas ici ses manières de sauvage. Hélène, aidez Miss Catherine à se dévêtir… ne bougez pas, ma chère, vous allez déranger vos boucles… laissez-moi vous retirer votre chapeau.

Je la débarrassai de son habit de cheval, sous lequel apparurent une belle robe de soie écossaise et un pantalon blanc tombant sur des souliers reluisants. Quand les chiens arrivèrent en bondissant pour lui faire fête, ses yeux étincelèrent de joie, mais elle osa à peine les toucher, de crainte qu’ils ne missent leurs pattes sur ses magnifiques atours. Elle me donna un baiser discret: j’étais couverte de farine, car j’étais après à faire un gâteau de Noël, et ce n’était pas le moment de me serrer dans ses bras; puis elle chercha autour d’elle Heathcliff. Mr et Mrs Earnshaw attendaient avec anxiété leur rencontre, qui, pensaient-ils, leur permettrait d’apprécier dans une certaine mesure si leur espoir d’arriver à séparer les deux amis était fondé.