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Je commençai à me défendre, jugeant trop dur d’être blâmée pour l’entêtement pervers d’une autre.

– Je savais que la nature de Mrs Linton était obstinée et impérieuse, m’écriai-je, mais je ne savais pas que vous vouliez encourager son caractère violent. Je ne savais pas que, pour lui faire plaisir, je devais fermer les yeux quand Mr Heathcliff venait. J’ai rempli le devoir d’une fidèle servante en vous avertissant, et voilà ce qu’une fidèle servante reçoit comme gages! Soit, cela m’apprendra à me méfier la prochaine fois. La prochaine fois, vous pourrez vous procurer vos informations vous-même!

– La prochaine fois que vous me ferez des contes, vous quitterez mon service, Hélène Dean.

– Vous préféreriez n’en rien savoir, sans doute, Mr Linton? Vous autorisez Heathcliff à venir faire la cour à Miss et à profiter de chaque occasion que peuvent offrir vos absences pour empoisonner contre vous l’esprit de ma maîtresse?

Si troublée que fût Catherine, sa pensée était assez alerte pour saisir notre conversation.

– Ah! Nelly m’a trahie! s’écria-t-elle avec passion. Nelly est mon ennemie cachée. Sorcière que vous êtes! Ainsi vous cherchez des flèches de fées pour nous blesser! Lâchez-moi, je vais l’en faire repentir! Je lui ferai hurler sa rétractation.

Une rage de folle brillait dans ses yeux. Elle se débattait désespérément pour se dégager des bras de Linton. Je n’avais pas envie d’attendre la suite et, me décidant à aller chercher l’aide d’un médecin sous ma propre responsabilité, je quittai la chambre.

En passant dans le jardin pour gagner la route, à un endroit où un crochet d’attache est fixé dans le mur, je vis quelque chose de blanc qui s’agitait d’une façon irrégulière, évidemment sous une influence autre que celle du vent. Malgré ma hâte, je m’arrêtai pour examiner ce que c’était, afin de ne pas laisser par la suite se former dans mon imagination la conviction que j’avais passé à côté d’une créature de l’autre monde. Grandes furent ma surprise et ma perplexité en découvrant, au toucher plus qu’à la vue, la chienne épagneul de Miss Isabelle, Fanny, suspendue par un mouchoir et sur le point d’étouffer. Je rendis bien vite la liberté à la pauvre bête et la déposai dans le jardin. Je l’avais vue suivre en haut sa maîtresse quand celle-ci était allée se coucher; je me demandais comment elle pouvait être ressortie et se trouver là, et quelle était la personne mal intentionnée qui lui avait infligé ce traitement. Tandis que je défaisais le nœud qui entourait le crochet, il me sembla entendre à plusieurs reprises le bruit des sabots d’un cheval galopant à quelque distance. Mais j’avais tant de sujets de réflexions qu’à peine accordai-je une pensée à cet incident, encore qu’en cet endroit, à deux heures du matin, ce son fût étrange.

Mr Kenneth, par bonheur, sortait précisément de chez lui pour aller voir un malade dans le village quand j’arrivai dans la rue; le rapport que je lui fis de la maladie de Catherine le décida à revenir avec moi sur-le-champ. C’était un homme franc et rude. Il ne fit pas scrupule d’exprimer ses doutes de la voir survivre à cette seconde attaque, si elle ne se montrait pas plus docile à ses instructions qu’elle ne l’avait été jusqu’à présent.

– Nelly Dean, dit-il, je ne puis m’empêcher de penser qu’il y a là une cause qui m’échappe. Que s’est-il passé à la Grange? De singulières rumeurs ont couru par ici. Une fille forte et courageuse comme Catherine ne tombe pas malade à propos de rien; non, cela n’arrive pas à des personnes comme elle. Il faut quelque chose de sérieux pour déterminer, dans ces organisations-là, des fièvres ou d’autres manifestations semblables. Comment cela a-t-il commencé?

– Le maître vous mettra au courant. Mais vous connaissez le tempérament violent des Earnshaw, et Mrs Linton le possède au plus haut point. Ce que je puis dire, c’est que cela a débuté par une querelle. Elle a été frappée d’une sorte d’attaque au cours d’un accès de colère. C’est ce qu’elle raconte, du moins; car elle s’est enfuie au plus fort de cet accès et s’est enfermée. Ensuite, elle a refusé de manger et maintenant elle est alternativement dans le délire ou dans un demi-rêve. Elle reconnaît les gens qui l’entourent, mais elle a l’esprit plein d’idées étranges et d’illusions.

– Mr Linton va être bien affecté? observa Kenneth sur un ton interrogateur.

– Affecté? Son cœur se briserait s’il arrivait quelque chose! Ne l’alarmez pas plus qu’il n’est nécessaire.

– Bon, je lui avais dit de prendre garde. Il a négligé mes avertissements, il faut bien qu’il en subisse les conséquences. N’a-t-il pas été intime avec Mr Heathcliff depuis quelque temps?

– Heathcliff fait de fréquentes visites à la Grange, mais bien plutôt en s’autorisant de ce que la maîtresse l’a connu lorsqu’il était enfant qu’à cause du goût que pourrait avoir le maître pour sa société. À présent, il est dispensé de prendre la peine de venir, en raison de certaines aspirations présomptueuses qu’il a manifestées à l’égard de Miss Linton. Je ne crois guère qu’on le reçoive encore.

– Et Miss Linton lui a-t-elle tourné le dos? questionna encore le docteur.

– Je ne suis pas dans sa confidence, répliquai-je, peu désireuse de continuer sur ce terrain.

– Non, c’est une personne renfermée, remarqua-t-il en secouant la tête. Elle ne prend conseil que d’elle-même. Mais c’est une vraie petite écervelée. Je tiens de bonne source que la nuit dernière (et c’était une jolie nuit)! Heathcliff et elle se sont promenés dans la plantation derrière votre maison pendant plus de deux heures; il la pressait de ne pas rentrer, mais de monter sur son cheval et de s’enfuir avec lui. Mon informateur rapporte qu’elle n’a pu se débarrasser de lui qu’en s’engageant sur l’honneur à être prête lors de leur prochaine rencontre. Quand doit avoir lieu cette rencontre, c’est ce qu’on n’a pu entendre; mais engagez vivement Mr Linton à ouvrir l’œil.

Ces nouvelles me fournissaient un autre sujet d’alarmes. Je devançai Kenneth et courus pendant la plus grande partie de mon trajet de retour. La petite chienne aboyait toujours dans le jardin. Je perdis une minute pour lui ouvrir la barrière mais, au lieu de se diriger vers la porte de la maison, elle se mit à courir çà et là, reniflant l’herbe, et elle se serait échappée sur la route si je ne l’eusse saisie et emportée avec moi. Quand je fus montée dans la chambre d’Isabelle, mes soupçons se confirmèrent: elle était vide. Si j’étais venue quelques heures plus tôt, la nouvelle de la maladie de Mrs Linton aurait pu prévenir sa démarche inconsidérée. Mais que faire maintenant? Il n’y avait possibilité de les rattraper qu’en se mettant sur-le-champ à leur poursuite. Ce n’est pas moi, pourtant, qui pouvais courir après eux, et je n’osais pas réveiller et mettre en émoi toute la maison; bien moins encore révéler cette fuite à mon maître, absorbé qu’il était dans son présent malheur et sans courage de reste pour ce nouveau chagrin. Je ne vis rien d’autre à faire que de me taire et de laisser les choses suivre leur cours. Kenneth étant arrivé, j’allai l’annoncer avec une contenance mal assurée. Catherine dormait d’un sommeil troublé; son mari avait réussi à apaiser son accès de frénésie; il était penché sur l’oreiller, épiant toutes les nuances et tous les changements de la pénible expression de ses traits.

Le docteur, après avoir examiné le cas, lui exprima l’espoir d’une issue favorable, si nous pouvions maintenir autour d’elle un calme parfait et constant. À moi, il révéla que le danger qui menaçait n’était pas tant la mort que l’aliénation mentale permanente.