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– Hélène, combien de temps faudra-t-il encore avant que je puisse aller au sommet de ces collines? Que peut-il bien y avoir de l’autre côté? Est-ce la mer?

– Non, Miss Cathy; ce sont encore des collines, toutes pareilles à celles-ci.

– Et à quoi ressemblent ces rochers dorés quand on est à leur pied? demanda-t-elle une fois.

La chute abrupte des rochers de Penistone attirait particulièrement son attention, surtout quand le soleil couchant brillait sur eux et sur les sommets environnants, et que tout le reste du paysage était dans l’ombre. Je lui expliquai que c’étaient de simples masses de pierre, dont les interstices contenaient à peine assez de terre pour nourrir un arbre rabougri.

– Et pourquoi sont-ils encore clairs si longtemps après qu’il fait sombre ici?

– Parce qu’ils sont à une bien plus grande altitude que nous. Vous ne pourriez pas y grimper, tant ils sont hauts et escarpés. En hiver la gelée apparaît toujours là avant d’arriver à nous; et au cœur de l’été j’ai trouvé de la neige dans ce trou noir, sur la face nord-est.

– Oh! vous y avez été! s’écria-t-elle joyeusement. Je pourrai donc y aller aussi, quand je serai une femme. Papa y a-t-il été, Hélène?

– Papa vous dirait, Miss, me hâtai-je de répondre, que ces rochers ne valent guère la peine d’une visite. Les landes, où vous vous promenez avec lui, sont beaucoup plus belles; et le parc de Thrushcross Grange est le plus bel endroit du monde.

– Mais je connais le parc, et je ne connais pas ces rochers, murmura-t-elle en se parlant à soi-même. Et j’aimerais tant à regarder tout autour de moi du sommet de la plus haute pointe! Mon petit poney Minny m’y mènera un jour.

Une des servantes ayant parlé devant elle de la grotte des Fées, elle eut la tête toute bouleversée du désir de mettre à exécution ce projet. Elle ne cessait d’en importuner Mr Linton, si bien qu’il promit qu’elle ferait cette excursion quand elle serait plus âgée. Mais Miss Catherine mesurait son âge par mois; et la question: «Maintenant, suis-je assez âgée pour aller aux rochers de Penistone?» revenait constamment sur ses lèvres. Dans un de ses lacets, la route qui y conduisait passait tout près de Hurle-Vent. Edgar n’avait pas le courage d’aller par là, de sorte qu’elle recevait toujours la réponse: «Pas encore, ma chérie, pas encore».

Je vous ai dit que Mrs Heathcliff avait vécu un peu plus de douze ans après avoir quitté son mari. On était d’une constitution délicate dans sa famille; ni elle ni Edgar n’avaient cette santé robuste qu’on rencontre en général dans ces parages-ci. Je ne sais pas exactement ce que fut sa dernière maladie. Je conjecture qu’ils moururent tous deux de la même manière, d’une sorte de fièvre, lente à son début, mais incurable, et minant rapidement leur existence vers la fin. Elle écrivit à son frère pour l’informer de l’issue probable du mal dont elle souffrait depuis quatre mois et le supplier de venir la voir, si cela lui était possible; car elle avait bien des choses à régler, elle désirait lui faire ses adieux et laisser Linton en sûreté entre ses mains. Son espoir était que Linton pourrait rester avec lui comme il était resté avec elle; son père, elle aimait à s’en persuader, ne tenait pas à assumer le fardeau de son entretien et de son éducation. Mon maître n’hésita pas un moment à satisfaire à cette requête. Quelle que fût, en temps ordinaire, sa répugnance à quitter sa maison, il se hâta de répondre à cet appel. Il recommanda Catherine à ma vigilance toute spéciale pendant la durée de son absence, avec des ordres réitérés pour qu’elle ne dépassât point les portes du parc, même sous mon escorte: il ne lui venait pas à l’esprit qu’elle pût sortir sans être accompagnée.

Il fut absent trois semaines. Pendant un ou deux jours, la jeune personne confiée à ma garde resta assise dans un coin de la bibliothèque, trop triste pour lire ou pour jouer. Dans cet état de tranquillité, elle ne me causa guère de soucis. Mais ensuite vint une période de lassitude impatiente et turbulente. Comme j’étais trop occupée et désormais trop âgée pour courir par monts et par vaux afin de l’amuser, je m’avisai d’une méthode qui lui permît de se distraire elle-même. Je pris l’habitude de l’envoyer faire le tour de la propriété tantôt à pied, tantôt sur son poney; et, à son retour, je me prêtais complaisamment au récit de toutes ses aventures réelles ou imaginaires.

Nous étions au début de l’été. Elle prit un tel goût à ces excursions solitaires qu’il lui arrivait souvent de rester dehors depuis le déjeuner jusqu’à l’heure du thé; puis elle passait les soirées à raconter ses histoires fantaisistes. Je ne craignais pas qu’elle franchît les limites imposées, parce que les portes étaient ordinairement fermées; en outre, je pensais qu’elle ne se serait guère risquée seule à l’extérieur, même si elles eussent été grandes ouvertes. Malheureusement l’événement prouva que ma confiance était mal placée. Un matin, à huit heures, Catherine vint me trouver et me dit que, ce jour-là, elle était un marchand arabe qui allait traverser le désert avec sa caravane, et qu’il fallait que je lui donnasse abondance de provisions pour elle et ses bêtes: un cheval et trois chameaux, ces derniers représentés par un grand chien courant et deux chiens d’arrêt. Je rassemblai une bonne quantité de friandises que je plaçai dans un panier attaché à l’un des côtés de la selle. Elle sauta à cheval, gaie comme un pinson, protégée du soleil de juillet par son chapeau à grands bords et un voile de gaze, et partit au trot avec un rire joyeux, se moquant de mes prudents conseils de ne pas galoper et de rentrer de bonne heure. La vilaine petite créature ne parut pas à l’heure du thé. Un des voyageurs, le chien courant, qui était vieux et aimait ses aises, revint; mais ni Catherine, ni le poney, ni les deux chiens d’arrêt n’apparaissaient d’aucun côté. Je dépêchai des émissaires sur ce sentier-ci, puis sur celui-là, et enfin je partis moi-même au hasard à sa recherche. Un paysan travaillait à une clôture autour d’une plantation sur les confins de la propriété. Je lui demandai s’il avait vu notre jeune maîtresse.

– Je l’ai vue ce matin, répondit-il. Elle m’a prié de lui couper une baguette de noisetier, puis elle a fait sauter son Galloway [15] par-dessus la haie qui est là-bas, à l’endroit le plus bas, et elle a disparu au galop.

Vous pouvez imaginer mon état d’esprit quand j’appris ces nouvelles. L’idée me vint aussitôt qu’elle devait être partie pour les rochers de Penistone. «Que va-t-il lui arriver?» m’écriai-je en passant à travers une brèche que l’homme était en train de réparer. Je gagnai directement la grande route et marchai aussi vite que pour gagner un pari, mille sur mille. Un tournant du chemin m’amena en vue des Hauts; mais je ne découvrais Catherine ni de près ni de loin. Les rochers se trouvent à un mille et demi au delà de la maison de Mr Heathcliff, qui est elle-même à quatre milles de la Grange, de sorte que je commençais à craindre d’être surprise par la nuit avant d’y parvenir. «Et si elle a glissé en essayant d’y grimper?» pensais-je; «si elle s’est tuée, ou brisé quelque membre?» Mon anxiété était vraiment pénible; et j’éprouvai d’abord un soulagement délicieux quand j’aperçus, en passant rapidement près de la ferme, Charlie, le plus vif des chiens d’arrêt, couché sous une fenêtre, la tête enflée et une oreille en sang. J’ouvris la barrière, courus à la porte et frappai violemment. Une femme, que je connaissais et qui habitait autrefois Gimmerton, répondit; elle servait à Hurle-Vent depuis la mort de Mr Earnshaw.