— Isabella ?
— C'est une femme méchante et mesquine qui d'une manière générale n'aime pas les autres. En ce moment on dirait que sa haine se porte sur toi en particulier. Elle répand des rumeurs selon lesquelles tu serais un escroc qui aurait persuadé Henrik de l'embaucher et qui l'a excité au point qu'il en a fait un infarctus.
— Et quelqu'un est prêt à gober ça ?
— Il y a toujours des gens qui sont prêts à croire les mauvaises langues.
— J'essaie de trouver ce qui est arrivé à sa fille — et elle me hait. S'il s'agissait de ma fille, je crois que j'aurais réagi autrement.
VERS 14 HEURES, LE TÉLÉPHONE portable de Mikael sonna.
— Bonjour, je m'appelle Conny Torsson, je travaille à Hedestads-Kuriren. Est-ce que tu aurais le temps de répondre à quelques questions ? On nous a rancardés que tu habites ici au Village.
— Dans ce cas la machine à rancarder ne fonctionne pas très vite. J'habite ici depuis le 1 janvier.
— Je l'ignorais. Qu'est-ce que tu fais à Hedeby ?
— J'écris. Et je prends une sorte d'année sabbatique.
— Tu travailles sur quoi ?
— Désolé. Tu le sauras quand ça sera publié.
— Tu viens juste d'être libéré de prison...
— Oui ?
— Quelle est ton opinion sur les journalistes qui falsifient des données ?
— Les journalistes qui falsifient des données sont des imbéciles.
— Alors tu veux dire que tu es un imbécile ?
— Pourquoi je voudrais dire ça ? Je n'ai jamais falsifié de données.
— Mais tu as été condamné pour diffamation.
— Et ?
Le reporter Conny Torsson hésita si longtemps que Mikael fut obligé de lui donner un coup de main.
— J'ai été condamné pour diffamation, pas pour avoir falsifié des données.
— Mais tu as publié ces données.
— Si tu appelles pour discuter de ma condamnation, je n'ai pas de commentaires à faire.
— J'aimerais passer t'interviewer.
— Désolé, mais je n'ai rien à dire à ce sujet.
— Alors tu ne veux pas discuter du procès ?
— Tu as parfaitement compris, répondit Mikael, mettant un point final à la conversation. Il réfléchit un long moment avant de retourner à son ordinateur.
LISBETH SALANDER SUIVIT les instructions qu'on lui avait données et engagea sa Kawasaki sur le pont. Elle s'arrêta à la première petite maison à gauche. C'était le bled ici. Mais tant que son commanditaire payait, elle était prête à aller au pôle Nord. Et puis ça avait été le pied de rouler longtemps plein pot sur l'E4. Elle gara la bécane et défit la courroie qui maintenait en place son sac de voyage.
Mikael Blomkvist ouvrit la porte et lui fit un signe de la main. Il sortit et inspecta sa moto avec une stupéfaction non dissimulée.
— Cool. Tu fais de la moto.
Lisbeth Salander ne dit rien, mais l'observa attentivement lorsqu'il toucha le guidon et tâta la poignée des gaz. Elle n'aimait pas qu'on tripote ses affaires. Puis elle vit son sourire, un sourire de gamin, ce qu'elle considéra comme une circonstance atténuante. D'habitude, les gens intéressés par les motos n'avaient que du mépris pour sa petite cylindrée.
— J'avais une bécane quand j'avais dix-neuf ans, dit-il en se tournant vers elle. Merci d'être venue. Entre, je vais te montrer la maison.
Mikael avait emprunté un lit de camp à Nilsson de l'autre côté de la route et l'avait installé dans la pièce de travail. Méfiante, Lisbeth Salander fit un tour dans la maison, mais sembla se détendre après avoir constaté qu'il n'y avait pas de piège perfide. Mikael indiqua la salle de bains.
— Si tu veux prendre une douche et te rafraîchir.
— Il faut que je me change. J'ai pas l'intention de me balader en combinaison de cuir.
— Tu te prépares, je m'occupe du dîner pendant ce temps-là.
Mikael fit des côtes d'agneau sauce au vin et mit la table dehors tandis que Lisbeth prenait une douche et se changeait. Elle sortit pieds nus, vêtue d'un débardeur noir et d'une courte jupe en jean. Le repas sentait bon et elle avala deux grosses portions. Mikael lorgna en douce son tatouage dans le dos.
— CINQ PLUS TROIS, dit Lisbeth Salander. Cinq cas de la liste de ta chère Harriet et trois cas qui selon moi auraient dû y figurer.
— Raconte.
— Ça ne fait que onze jours que je travaille dessus et je n'ai pas eu le temps de sortir toutes les enquêtes de police. Dans certains cas, elles ont été transférées aux archives nationales, et dans certains elles sont encore conservées dans le district concerné. J'ai fait trois déplacements d'une journée dans différents districts, je n'ai pas eu le temps de faire plus. Mais les cinq sont identifiées.
Lisbeth Salander plaça une pile de papiers impressionnante sur la table, un peu plus de cinq cents page A4. Elle répartit rapidement le matériel en différents tas.
— On va les faire par ordre chronologique. Elle donna une liste à Mikael.
1949 — Rebecka Jacobsson, Hedestad (30112)
1954 — Mari Holmberg, Kalmar (32018)
1957 — Rakel Lunde, Landskrona (32027)
1960 — (Magda) Lovisa Sjöberg, Karlstad (32016)
1960 — Liv Gustavsson, Stockholm (32016)
1962 — Lea Persson, Uddevalla (31208)
1964 — Sara Witt, Ronneby (32109)
1966 — Lena Andersson, Uppsala (30112)
— Le premier cas dans cette série semble être Rebecka Jacobsson, 1949, dont tu connais déjà les détails. Le cas suivant que j'ai trouvé est Mari Holmberg, une prostituée de trente-deux ans de Kalmar qui a été tuée à son domicile en octobre 1954. On ne sait pas exactement quand elle a été tuée puisqu'elle n'a été découverte qu'après un certain temps. Probablement neuf, dix jours.
— Et comment est-ce que tu fais le lien entre elle et la liste de Harriet ?
— Elle était ligotée et son corps couvert de blessures terribles mais la cause du décès était l'asphyxie. L'assassin avait enfoncé une serviette hygiénique dans sa gorge.
Mikael garda le silence avant d'ouvrir la Bible à l'endroit indiqué, le vingtième chapitre du Lévitique, verset 18.
« L'homme qui couche avec une femme pendant ses règles et découvre sa nudité : il a mis à nu la source de son sang, elle-même a découvert la source de son sang, aussi tous deux seront retranchés du milieu de leur peuple. »
Lisbeth hocha la tête.
— Harriet Vanger a fait le même lien. Bon. Le suivant.
— Mai 1957, Rakel Lunde, quarante-cinq ans. Elle était femme de ménage et elle passait pour une sorte d'originale dans la région. Elle était diseuse de bonne aventure, elle avait pour hobby de tirer les cartes, de lire dans la main et des choses comme ça. Rakel habitait à côté de Landskrona dans une maison assez isolée, où elle a été tuée au petit matin. On l'a retrouvée nue et attachée à un séchoir à linge, dehors dans sa cour, la bouche scotchée. Cause du décès : on avait projeté sur elle une lourde pierre, à plusieurs reprises. Elle avait de nombreuses contusions et fractures.