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Le nouveau presbytère de Hedeby était une villa moderne tout à fait normale, à quelques minutes de marche de l'église. Mikael frappa à la porte du pasteur Margareta Strandh vers 16 heures et expliqua qu'il venait demander conseil sur une question théologique. Margareta Strandh était une femme brune de l'âge de Mikael, vêtue d'un jean et d'une chemise de flanelle. Elle était pieds nus et avait du vernis rouge sur les ongles des orteils. Il l'avait déjà croisée au café Susanne à quelques reprises et lui avait parlé du pasteur Falk. Mikael fut très gentiment reçu et invité à venir s'asseoir dans son jardin, ainsi qu'à passer tout de suite au tutoiement.

Mikael raconta qu'il avait interrogé Otto Falk et donna ses réponses, en ajoutant qu'il n'en avait pas compris la signification. Margareta Strandh écouta et demanda ensuite à Mikael de répéter mot pour mot ce que Falk avait dit. Elle réfléchit un instant.

— Je suis entrée en fonction ici à Hedeby il y a trois ans seulement et je n'ai jamais rencontré le pasteur Falk. Il avait pris sa retraite plusieurs années auparavant, mais j'ai compris qu'il était assez traditionaliste. Ce qu'il t'a dit signifie à peu près qu'il faut s'en tenir uniquement aux écrits — sola scriptura — et qu'ils sont sufficientia scripturae. Cette dernière expression signifie pour les croyants traditionalistes la reconnaissance de l'Ecriture sainte comme seule source d'autorité. Sola fide signifie « la foi unique » ou « la foi pure ».

— Je vois.

— Tout cela reste pour ainsi dire de l'ordre des dogmes fondateurs. C'est en gros la base de l'Eglise et ça n'a rien d'extraordinaire. Il a simplement dit : Lis la Bible — elle donne suffisamment de connaissance et garantit la foi pure.

Mikael se sentit gêné.

— Maintenant permets-moi de te demander dans quel contexte cet entretien a eu lieu.

— J'ai posé des questions sur quelqu'un qu'il a connu il y a très longtemps et sur qui j'écris.

— Quelqu'un en quête religieuse ?

— Quelque chose dans ce genre.

— D'accord. Je crois que je comprends le rapport. Le pasteur Falk a dit deux autres choses — que Joseph les exclut formellement et qu'ils n'ont jamais été inclus dans le canon. Est-il possible que tu aies mal entendu et qu'il ait dit Josèphe au lieu de Joseph ? En fait ce sont les mêmes noms.

— Ce n'est pas impossible, dit Mikael. J'ai enregistré la conversation si tu veux écouter.

— Non, je ne pense pas que ce soit nécessaire. Ces deux phrases établissent de façon assez claire ce qu'il a voulu dire. Josèphe était un historien juif et la phrase ils n'ont jamais été inclus dans le canon indique probablement qu'ils n'ont jamais fait partie du canon hébraïque.

— Ce qui veut dire ?

Elle rit.

— Le pasteur Falk a affirmé que cette personne avait un engouement pour des sources ésotériques, plus précisément pour les apocryphes. Le mot apokryphos veut dire « caché » et les apocryphes sont donc les livres cachés que certains contestent fortement et que d'autres considèrent comme devant faire partie de l'Ancien Testament. Ce sont les livres de Tobie, Judith, Esther, Baruch, Sirach, les Maccabées et deux ou trois autres.

— Pardonne mon ignorance. J'ai entendu parler des apocryphes mais je ne les ai jamais lus. Qu'est-ce qu'ils ont de particulier ?

— En fait ils n'ont rien de particulier, à part qu'ils ont été écrits un peu plus tard que le reste de l'Ancien Testament. C'est pour cela que les apocryphes ont été rayés de la Bible hébraïque — non pas que les docteurs de la loi se soient méfiés de leur contenu mais simplement parce qu'ils ont été écrits après l'époque où l'œuvre de révélation de Dieu a été terminée. En revanche, les apocryphes figurent dans la vieille traduction grecque de la Bible. Du coup, par exemple, ils ne sont pas controversés dans l'Eglise catholique.

— Je vois.

— En revanche, ils sont particulièrement controversés dans l'Eglise protestante. A l'époque de la Réforme, les théologiens cherchaient à s'approcher au plus près de la vieille Bible hébraïque. Martin Luther a retiré les apocryphes de la Bible de la Réforme, et plus tard Calvin a soutenu que les apocryphes ne devaient en aucun cas servir de base pour des confessions de foi. Ils contiennent donc des affirmations qui contredisent claritas Scripturae — la clarté des Ecritures.

— Autrement dit, des livres censurés.

— Exactement. Les apocryphes soutiennent par exemple qu'on peut pratiquer la magie, que le mensonge est autorisé dans certains cas et ce genre d'affirmations, qui évidemment indignent les exégètes dogmatiques des Ecritures.

— Je vois. Si quelqu'un éprouve un engouement pour la religion, il n'est pas impossible que les apocryphes apparaissent sur sa liste de lecture, au grand dam d'un homme comme le pasteur Falk.

— Tout à fait. On est presque inévitablement confronté aux apocryphes si on s'intéresse à la Bible ou au catholicisme, et il est tout aussi probable que quelqu'un qui s'intéresse à l'ésotérisme d'une manière générale les lise.

— Est-ce que par hasard tu aurais un exemplaire des apocryphes ?

Elle rit une nouvelle fois. Un rire lumineux, amical.

— Bien entendu. Les apocryphes ont été édités par la commission biblique dans les années 1980 dans le cadre d'une étude nationale.

DRAGAN ARMANSKIJ SE DEMANDA ce qui pouvait bien se passer lorsque Lisbeth Salander demanda un entretien privé. Il ferma la porte et lui fit signe de s'asseoir dans le fauteuil des visiteurs. Elle expliqua que le travail pour Mikael Blomkvist était terminé — Dirch Frode allait payer avant la fin du mois — mais qu'elle avait décidé de poursuivre l'investigation. Mikael lui avait offert un salaire mensuel considérablement inférieur.

— En somme, je suis sur une affaire perso, dit Lisbeth Salander. Jusqu'à présent je n'ai jamais accepté de boulot qui ne provenait pas de toi, selon notre accord. Ce que je veux savoir, c'est ce qui va se passer dans notre relation si je prends des boulots de mon côté.

Dragan Armanskij écarta les mains.

— Tu es ton propre patron, tu peux prendre les boulots que tu veux et facturer comme tu veux. Je serai ravi que tu aies tes propres rentrées d'argent. Par contre, ce serait déloyal de ta part de détourner pour ton compte des clients que tu as rencontrés par notre intermédiaire.

— Ça n'entre pas dans mes projets. J'ai accompli le boulot selon le contrat que nous avons établi avec Blomkvist. Ce boulot-là est terminé maintenant. A présent, c'est moi qui tiens à rester sur le cas. Je l'aurais même fait gratuitement.

— Ne fais jamais rien gratuitement.

— Tu comprends ce que je veux dire. Je veux savoir où cette histoire va mener. J'ai persuadé Mikael Blomkvist de demander à Dirch Frode une convention complémentaire en tant que collaboratrice de recherche.

Elle tendit le contrat à Armanskij qui le parcourut.

— Avec ce salaire-là, tu peux tout aussi bien travailler pour rien. Lisbeth, tu es douée. Tu n'as pas à travailler pour de l'argent de poche. Tu sais que tu peux gagner bien plus que ça chez moi si tu acceptais un plein temps.