Lisbeth visionna en avance rapide les images du deuxième ordinateur, qui montraient la grille et la route. Elle pouvait voir les allées et venues des uns et des autres au cours de la journée.
A 19 h 12, Gunnar Nilsson était rentré.
A 19 h 42, quelqu'un dans la Saab de la ferme d'Östergården était parti en direction de Hedestad.
A 20 h 02 la voiture était revenue — un tour à la boutique de la station-service ?
Ensuite, rien avant 21 heures pile, lorsque la voiture de Martin Vanger passait. Trois minutes plus tard, Mikael avait quitté la maison.
A peine une heure plus tard, à 21 h 50, Martin Vanger apparaissait soudain dans le champ de l'objectif. Il restait devant la grille une bonne minute, contemplait la maison et regardait par la fenêtre de la cuisine. Puis il montait sur le perron et essayait d'ouvrir la porte, puis sortait une clé. Ensuite, il devait se rendre compte que la serrure avait été changée et il restait immobile un court instant avant de tourner les talons et de quitter la maison.
Lisbeth Salander sentit soudain un froid glacial se répandre dans son ventre.
MARTIN VANGER L'AVAIT DE NOUVEAU LAISSÉ seul un long moment. Mikael était allongé immobile dans sa position inconfortable, les mains menottées dans le dos et le cou attaché par une fine chaîne à l'anneau dans le sol. Il tripota les menottes tout en sachant qu'il n'allait pas pouvoir les ouvrir. Elles étaient tellement serrées qu'il avait perdu toute sensation dans les mains.
Il n'avait aucune chance. Il ferma les yeux.
Il n'aurait su dire combien de temps s'était écoulé quand il entendit de nouveau les pas de Martin Vanger. Le chef d'entreprise arriva dans son champ de vision. Il avait l'air soucieux.
— Inconfortable ? demanda-t-il.
— Oui, répondit Mikael.
— Tu n'as qu'à t'en prendre à toi-même. Tu aurais dû rentrer chez toi.
— Pourquoi est-ce que tu tues ?
— C'est un choix que j'ai fait. Je pourrais discuter des aspects moraux et de la valeur intellectuelle de mes agissements avec toi toute la nuit, mais cela ne change en rien les faits. Essaie de voir les choses ainsi : un être humain est une enveloppe de peau qui maintient en place des cellules, du sang et des composants chimiques. Quelques individus, ils sont rares, se retrouvent dans les livres d'histoire. La plus grande partie succombent et disparaissent sans laisser de traces.
— Tu tues des femmes.
— Nous qui tuons pour être en accord avec notre jouissance — car je ne suis pas le seul à avoir ce passe-temps —, nous menons une vie d'intensité maximum.
— Mais pourquoi Harriet ? Ta propre sœur ?
Le visage de Martin Vanger changea soudain. D'un bond il fut près de Mikael et l'agrippa par les cheveux.
— Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ?
— Qu'est-ce que tu veux dire ? haleta Mikael.
Il essaya de tourner la tête pour diminuer la douleur du cuir chevelu. La chaîne se tendit immédiatement autour de son cou.
— Toi et Salander. Qu'est-ce que vous avez trouvé ?
— Lâche-moi. Qu'on arrive à parler.
Martin Vanger lui lâcha les cheveux et s'assit devant Mikael les jambes croisées. Soudain il sortit un couteau. Il posa la pointe du couteau sur la peau juste sous l'œil de Mikael. Mikael se força à rencontrer le regard de Martin Vanger.
— Qu'est-ce qu'il lui est arrivé, bordel de merde ?
— Je ne comprends pas. Je croyais que tu l'avais tuée.
Martin Vanger fixa Mikael un long moment. Puis il se détendit. Il se leva et arpenta la pièce tout en réfléchissant. Il lâcha le couteau par terre et rit, puis il se tourna vers Mikael.
— Harriet, Harriet, toujours cette foutue Harriet. Nous avons essayé... de la convaincre. Gottfried a essayé de lui apprendre. Nous avons cru qu'elle était l'une d'entre nous et qu'elle accepterait son devoir, mais elle n'était qu'une... pétasse ordinaire. J'ai cru que je l'avais sous contrôle, mais elle avait l'intention d'avertir Henrik et j'ai compris que je ne pouvais pas avoir confiance en elle. Tôt ou tard elle allait parler de moi.
— Tu l'as tuée.
— J'ai voulu la tuer. J'avais l'intention de le faire mais je suis arrivé trop tard. Je n'arrivais pas à rejoindre l'île.
Le cerveau de Mikael essaya d'assimiler l'information, mais ça faisait comme si une fenêtre s'affichait, annonçant mémoire saturée. Martin Vanger ne savait pas ce qui était arrivé à sa sœur !
Tout à coup, Martin Vanger sortit son téléphone portable de sa veste, vérifia l'écran menu et le posa sur la chaise à côté du pistolet.
— L'heure est venue de mettre un terme à tout ceci. Il faut que j'aie le temps de m'occuper aussi de ta garce anorexique cette nuit.
Il ouvrit un placard, en sortit une courroie en cuir qu'il passa avec un nœud coulant autour du cou de Mikael. Il défit la chaîne qui maintenait Mikael au sol, le remit sur pied et le poussa contre le mur. Il passa la courroie par un anneau au-dessus de la tête de Mikael et la tendit jusqu'à ce que ce dernier soit obligé de se tenir sur la pointe des pieds.
— C'est trop serré ? Tu n'arrives pas à respirer ? Il relâcha un centimètre ou deux et bloqua le bout de la courroie plus bas sur le mur. Je ne tiens pas à ce que tu sois étranglé tout de suite.
Le lacet serrait si fort le cou de Mikael qu'il était incapable de parler. Martin Vanger l'observa attentivement.
D'un geste brusque, il défit le pantalon de Mikael et le baissa en même temps que son slip. Quand il arracha le pantalon, Mikael perdit l'équilibre et pendouilla une seconde dans le nœud coulant avant que ses orteils retrouvent le contact avec le sol. Martin Vanger alla chercher des ciseaux dans un meuble. Il découpa le tee-shirt de Mikael et jeta les restes en un tas par terre. Puis il se posta à quelque distance de Mikael et contempla sa victime.
— Je n'ai jamais eu de garçon ici, dit Martin Vanger d'une voix grave. Je n'ai jamais touché un autre homme... à part mon père. C'était mon devoir.
Les tempes de Mikael battaient. Il ne pouvait pas placer le poids de son corps sur ses pieds sans s'étrangler. Il essaya de trouver une prise sur le mur en béton derrière lui, mais il n'y avait aucune prise à trouver.
— L'heure est venue, dit Martin Vanger.
Il posa sa main sur la courroie et appuya dessus. Mikael sentit le lacet s'enfoncer encore davantage dans son cou.
— Je me suis toujours demandé quel goût ça a, un homme.
Il augmenta le poids sur la lanière, se pencha soudain en avant et embrassa Mikael sur la bouche juste au moment où une voix glaciale fusait à travers la pièce.
— Toi, espèce de salopard, tu devrais savoir que dans ce bled je suis la seule à avoir droit à ça.
MIKAEL ENTENDIT LA voix de Lisbeth à travers un brouillard rouge. Il réussit à focaliser son regard et la vit debout à la porte. Elle fixait Martin Vanger d'un regard inexpressif.
— Non... cours ! croassa Mikael.
Mikael ne vit pas l'expression de Martin Vanger, mais il ressentit physiquement le choc qui parcourait celui-ci quand il pivota. Une seconde il resta immobile. Puis Martin Vanger tendit la main vers le pistolet qu'il avait laissé sur le tabouret.
En un éclair, Lisbeth Salander fit trois enjambées et balança un club de golf qu'elle avait tenu dissimulé. Le fer décrivit un large cercle et frappa Martin Vanger à la clavicule. Le coup était d'une force terrible et Mikael put entendre quelque chose se briser. Martin Vanger hurla.