Cela fait, il donna à Lisbeth Salander une copie de la liste du carnet de téléphone.
— Qu'est-ce que tu attends de moi ?
— J'ai identifié RJ, Rebecka Jacobsson, et j'ai fait la connexion entre elle et une citation de la Bible qui parle des sacrifices par immolation. Elle a été tuée d'une façon semblable à ce qui est décrit dans la citation — sa tête a été posée sur des braises. Si j'ai raison, nous trouverons quatre autres victimes — Magda, Sara, Mari et RL.
— Tu crois qu'elles sont mortes ? Tuées ?
— Un assassin qui opérait dans les années 1950 et peut-être 1960. Et qui d'une façon ou d'une autre a un lien avec Harriet Vanger. J'ai parcouru de vieux numéros de Hedestads-Kuriren. L'assassinat de Rebecka est le seul crime monstrueux que j'ai trouvé qui ait un lien avec Hedestad. Je veux que tu continues les recherches sur le reste de la Suède.
Lisbeth Salander resta plongée dans ses pensées et un silence inexpressif si long que Mikael commença à se tortiller d'impatience. Il se demandait s'il n'avait pas fait le mauvais choix lorsqu'elle finit par lever les yeux.
— D'accord. Je prends le boulot. Mais tu commences par signer le contrat avec Armanskij.
DRAGAN ARMANSKIJ IMPRIMA le contrat que Mikael Blomkvist allait emporter à Hedestad et transmettre à Dirch Frode pour signature. En revenant dans la pièce de travail de Lisbeth Salander, il vit de l'autre côté de la cloison vitrée qu'elle et Mikael Blomkvist étaient penchés sur son PowerBook. Mikael posait la main sur son épaule — il la touchait — et lui indiquait quelque chose. Armanskij prit son temps.
Mikael dit quelque chose qui sembla surprendre Salander. Puis elle rit bruyamment.
Jamais auparavant Armanskij ne l'avait entendue rire, bien qu'il ait essayé de gagner sa confiance pendant plusieurs années. Mikael Blomkvist la connaissait depuis cinq minutes et elle riait déjà en sa compagnie.
Brusquement il détesta Mikael Blomkvist avec une intensité qui le surprit. Il s'éclaircit la gorge sur le pas de la porte et posa la chemise en plastique avec le contrat.
MIKAEL EUT LE TEMPS de faire une rapide visite à la rédaction de Millenium dans l'après-midi. C'était la première fois depuis qu'il avait fait le ménage dans son bureau avant Noël et ça paraissait soudain étrange de grimper ces escaliers pourtant si familiers. Ils n'avaient pas changé le code d'accès, et il put se glisser par la porte de la rédaction sans se faire remarquer et rester un instant à se contenter de regarder autour de lui.
Le local de Millenium était en forme de L. L'entrée proprement dite était un grand hall occupant beaucoup de surface sans être vraiment utilisable. Ils y avaient installé un ensemble canapé et fauteuils où ils pouvaient accueillir des visiteurs. Derrière le canapé s'ouvrait une salle à manger avec kitchenette, des toilettes et deux cagibis aménagés avec des rayonnages d'archives. Il y avait aussi une table de travail pour l'intérimaire. A droite de l'entrée, une cloison vitrée donnait sur l'atelier de Christer Malm, dont la propre entreprise occupait quatre-vingts mètres carrés avec entrée séparée depuis la cage d'escalier. A gauche se trouvait la rédaction, environ cent cinquante mètres carrés avec la façade vitrée donnant sur Götgatan.
Erika avait conçu l'aménagement et avait fait installer des cloisons vitrées pour créer trois pièces individuelles et un vaste bureau commun pour les trois autres collaborateurs. Elle s'était octroyé la plus grande, au fond de la rédaction, et avait placé Mikael à l'autre bout du local. C'était le seul bureau qu'on pouvait voir depuis l'entrée. Il nota que personne ne s'y était installé.
La troisième pièce, légèrement à l'écart, était occupée par Sonny Magnusson, soixante ans, le très efficace vendeur d'espaces publicitaires de Millenium depuis quelques années. Erika avait déniché Sonny quand il s'était retrouvé au chômage après des restructurations dans la société où il avait travaillé la plus grande partie de sa vie. Sonny avait alors l'âge où on ne peut se voir offrir un emploi. Erika l'avait choisi exprès ; elle avait proposé un petit salaire fixe et un pourcentage sur les recettes de la publicité. Sonny avait mordu à l'hameçon et aucun des deux ne l'avait regretté. Mais cette dernière année il avait eu beau être un vendeur énergique, les recettes de publicité avaient plongé de manière catastrophique. Les revenus de Sonny avaient nettement diminué, mais plutôt que d'essayer de trouver autre chose, il s'était serré la ceinture pour demeurer fidèlement à son poste. Contrairement à moi, qui suis la cause de la dégringolade, pensa Mikael.
Rassemblant son courage, Mikael était finalement entré dans la rédaction pour l'heure presque vide. Il pouvait voir Erika dans son bureau, un combiné de téléphone plaqué sur l'oreille. Seuls deux collaborateurs se trouvaient à la rédaction. Monika Nilsson, trente-sept ans, reporter généraliste expérimentée, spécialisée dans la surveillance politique et probablement la personne la plus rompue au cynisme que Mikael ait jamais rencontrée. Elle travaillait à Millenium depuis neuf ans et s'y plaisait énormément. Henry Cortez avait vingt-quatre ans et c'était le plus jeune collaborateur de la rédaction ; il avait franchi les portes en tant que stagiaire à sa sortie même de l'institut pour la formation des journalistes JMK deux ans auparavant, en expliquant que c'était à Millenium et nulle part ailleurs qu'il voulait travailler. Erika n'avait pas de budget pour l'embaucher, mais elle avait proposé un bureau dans un coin et l'avait intégré comme free-lance permanent.
Tous deux poussèrent des cris de ravissement en voyant Mikael. On lui fit la bise et on lui tapa dans le dos. Leur première question fut pour s'enquérir s'il allait reprendre le travail et ils soupirèrent, déçus, quand il expliqua qu'il était encore détaché pour six mois dans le Norrland et qu'il passait juste faire coucou et parler avec Erika.
Erika aussi fut contente de le voir, elle servit du café et ferma la porte de son bureau. Elle commença par lui demander des nouvelles de Henrik Vanger. Mikael n'en savait pas plus que ce que Dirch Frode avait raconté ; son état était grave mais le vieil homme était toujours en vie.
— Qu'est-ce que tu fais en ville ?
Mikael se sentit soudain embarrassé. Il était monté à la rédaction sur un coup de tête, Milton Security ne se trouvant qu'à quelques pâtés de maisons de là. Il lui paraissait ardu d'expliquer à Erika qu'il venait d'engager un consultant privé en sécurité, ex-pirate de son ordinateur. Il se contenta de hausser les épaules et de dire qu'il avait été obligé de descendre à Stockholm pour des affaires concernant Vanger et qu'il retournait tout de suite dans le Nord. Il demanda comment allaient les choses à la rédaction.
— A côté des bonnes nouvelles concernant le volume de pub et les abonnés qui ne font qu'augmenter, on a aussi un nuage gris qui grossit dans le ciel.