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— Je suis une grosse feignasse qui a besoin d’un coup de fouet mon grand, se délecta Astrid en répétant feignasse.

Rassuré, Julien adressa un sourire à sa soeur :

— Tu as récolté quelque chose ?

Cette façon de dire était non seulement incongrue mais comme jaillie d’un coeur froid. Il secoua la tête :

— Je suis odieux. Parce que je suis impatient de savoir.

Un petit garçon à sa maman, un petit garçon qui n’aimait pas que leur père partage la vie de leur mère, partage son lit, l’accapare en quelque sorte et le lèse en blessures intimes répétées. Un petit garçon qui souffrait également de voir un chien amputé d’une patte le spolier de sa place dans le lit maternel.

— J’ai passé plus d’une heure au commissariat de Saint-Charles, sur recommandation de M. Marino, le contrôleur qui a poinçonné tes deux billets ce soir-là dans le train de votre retour à Toulon.

— Manuel est descendu à Bandol, fit Julien, toujours souriant mais la voix fêlée. Pourquoi rencontrer les flics de Marseille ?

— Il aurait pu reprendre un train dans l’autre sens ? demanda Astrid.

Personne ne s’était soucié de baisser le son et de mettre un bémol à la prestation exagérément enthousiaste de Patrick Sébastien. Julia retira la télécommande de la main de son frère qui se l’appropriait constamment et la brandissait de façon suspecte. Sceptre ou symbole macho ? Non seulement elle coupa le son mais elle fit disparaître l’image.

— Toute la journée dans les trains, murmura Astrid, et toujours pas le moindre petit indice. C’est décourageant. Comme tu dois être lasse et déçue !

Sa mère paraissait renoncer, elle, comme toujours, quand trop de soucis, de drames complotaient contre sa nature indolente. Julia soudain eut conscience de sa propre sévérité surtout après les confidences d’Astrid. Désormais leur mère se consacrait toute à son état. Ne disait-on pas qu’une hormone apportait alors aux femmes une certaine euphorie ? Julia aurait aimé s’asseoir à côté d’elle, la prendre par le cou tendrement, la cajoler, mais Julien s’arrangeait pour occuper toute la place disponible, avide de câlins en continu.

— Tu n’as rien mangé de la journée ? s’inquiéta Astrid.

— Si, un sandwich sur le pouce.

— Tu as manqué un festin, celui cuisiné par Ginette, une ratatouille qui emportait la bouche, avec du beau lard gras, fit son jumeau avec une grimace écoeurée. Tout ça est parti poubelle restante.

— Non j’en ai mangé, déclara Astrid, et elle était savoureuse. Je peux dire que je me suis empiffrée.

— Et voilà, ricana Julien. La tambouille Ginette a marqué un point, demain ce sera la bérézina de nos habitudes américaines, comme le dit notre employée maison.

Le genre de conversation qu’elle supportait mal. Julien ne la faisait plus rire et il le constata soudain, la regarda en coin comme si elle venait de lui infliger une rebuffade.

— Je vais prendre un bain. Je ne redescendrai pas ce soir, à demain, dit-elle avec colère.

Elle réussit quand même à embrasser sa mère, écartant son frère du coude.

— Hé, fit son jumeau, je n’y ai pas droit ?

— Tu commences à piquer, dit-elle méchamment, satisfaite que, horrifié, il passe une main sur sa joue.

— Elle plaisante, intervint charitablement Astrid.

Souriant mais furieux, il se retrouva debout devant sa soeur :

— C’est vrai que tu es allée fouiller dans les ateliers au risque de ne plus en ressortir ? Tu ne devrais pas commettre de telles imprudences, sais-tu ?

— Tu n’y es jamais allé ? Je croyais, rétorqua-t-elle.

Il resta une seconde interloqué, dit qu’il allait chercher une autre canette de Coca-Cola.

— Pour un lavage de cerveau façon télé, lança-t-il à la porte.

— Arrêtez, protesta Astrid, vous me fatiguez, on dirait chien et chat. Vous ne vous taquiniez jamais de la sorte jadis…

Julia prolongea son bain en faisant recouler l’eau chaude, essaya de décrisper ses muscles mais cette contraction avait une source profonde qu’elle ne pouvait tarir pour l’instant.

Elle s’endormit très vite, se réveilla vers une heure du matin, constata que ses volets étaient restés entrouverts, se leva pour les fermer en hâte comme si quelqu’un s’apprêtait à pénétrer chez elle. Il lui sembla voir un éclair dans les ateliers, certainement le reflet d’un phare de voiture sur les derniers vitrages.

En admettant, pensa-t-elle, en admettant le pire, l’inimaginable, que seraient devenus la parka et le bonnet ? Manuel les avait-il sur lui quand…

Chapitre 13

Le film était flou, son défilé malmené par cette foule s’écoulant d’un autre train, alors que les voyageurs pour Toulon étaient rares. La caméra de surveillance s’intéressait surtout à ces supporters envahissant le quai, les voies, mais tout de même des flashes accrochaient la scène qui intéressait les gendarmes.

— Nous avons, durant moins d’une seconde, un personnage, de sexe indéterminé, coiffé d’un bonnet, sans possibilité de voir s’il porte une parka d’hiver. Nous ferons un arrêt sur image. Même si vous n’avez aucune certitude, nous agrandirons, expliqua l’un des gendarmes présents.

Astrid serrait fortement la main de Julia d’un côté, celle de Julien de l’autre. Une fois cette image douteuse fixée, il abandonna la main de sa mère et reposa la sienne sur son genou gauche. Ce fut ce que remarqua sa soeur du coin de l’oeil, à cause de cette tache blanche sur le bleu fané du jean.

— Nous vous laissons le temps d’examiner cette personne, qui, malheureusement, tourne le dos. Du fait de l’absence de couleur, ce bonnet apparaît gris. S’il était rouge, on le verrait noir. Donc il est d’une autre couleur.

Astrid se pencha à cause de sa myopie, qu’elle niait. Julia se surprit à regarder avec méfiance ce bonnet juché sur la tête d’un — ou d’une — inconnu. Pourquoi manquait-elle à ce point de l’objectivité indispensable dans un examen aussi crucial ? Elle agissait comme si déjà sa conviction était établie, ce qui n’était pas le cas.

— Nous vous laissons un instant, vous pouvez vous approcher de l’écran, discuter entre vous, dit un des trois gendarmes.

Ils sortirent. Julien se leva et mit un doigt sur ses lèvres, eut de la main un geste qui englobait la petite pièce.

— Tu crois ? murmura sa mère, les yeux ronds.

Il inclina la tête. Agacée, Julia passa outre, déclara qu’à son avis ce n’était pas Manuel.

— Il ne me semble pas aussi grand et garde la tête haute.

Sa mère lui désigna son frère pour lui rappeler sa mise en garde et Julia finit par se pencher vers elle.

— Il est complètement parano et te communique sa méfiance, qui est absurde, chuchota-t-elle, se rendant compte qu’elle-même était atteinte de la même méfiance sur l’attitude des gendarmes puisqu’elle évitait de bouger ses lèvres.

— Tu crois qu’ils s’imaginent que… nous aurions pu…

— Alors, cria presque Julien, voulant duper les gendarmes, votre avis ? Moi, je crois que c’est lui. J’étais dans le wagon quand le film a balayé ce quai et ces bandes de supporters braillards, et les vigiles manipulaient directement la caméra pour ne pas perdre de vue un seul instant ces types-là.

— Tu l’aurais laissé sur le quai ? s’étonna Astrid. Ce n’était pas très prudent. Vraiment pas.

— Tout se passait bien d’habitude, je n’avais aucune raison particulière d’être plus vigilant ce jour-là que les autres.

— Il faisait quand même nuit et sa nervosité t’inquiétait.