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Ses chagrins s’estompaient vite dans sa hâte de retrouver sa routine.

— C’est pas tout ça, comme dirait Ginette, mais c’est l’heure du déjeuner. On va bien trouver quelque chose à manger, comme d’habitude d’ailleurs, déclara-t-elle en riant. Ne nous inquiétons pas trop et si Ginette nous plaque, peut-être pourrons-nous nous débrouiller tout seuls. Déjà nous nous passons depuis pas mal de temps de ses plats provençaux qui ne sont pas à notre convenance.

Elle désigna les multiples tiroirs des différents ingrédients.

— Trop d’ail, trop d’oignons, trop de piment, trop d’herbes de la garrigue qui se décarcasse la pauvre, trop d’huile d’olive, trop de ceci, de cela…

Ne pensait-elle pas au bébé qui allait exiger de tous pas mal de travail, se demanda Julia. Chacun allait-il se retrouver avec un programme bien établi de tâches ménagères à accomplir ?

— Sans compter l’économie, douze euros de l’heure, trente heures par semaine, plus les charges…

Julia en eut plus qu’assez de ce rabâchage domestique qui diluait dérisoirement la menace de la perquisition.

— Vous ne trouvez donc pas curieux que, seul dans sa chambre, Manuel ait trouvé le moyen de marquer une partie de sa collection. Il lui aurait fallu un temps fou et jamais personne dans cette maison ne le laissait sans surveillance plus de cinq minutes. Même Ginette, que vous critiquez maintenant, veillait constamment sur lui. Et comment aurait-il fait ? Je veux dire quel outil aurait-il employé alors qu’on ne laissait à sa portée aucun objet pointu.

— Il y avait une pointe, un clou quoi, dans la plus grosse voiture, la reine de la collection, précisa sa mère. Elle faisait un bruit de sonnaille, vous savez cette clochette pour vache. Les gendarmes l’ont trouvée et ont aussi emporté celle-là.

— Mais elle n’était pas marquée, répliqua Julia, qui, aussitôt, réalisa sa gaffe.

Son frère, en train d’explorer le congélateur, se retourna, toujours avec son sourire habituel sur les lèvres mais depuis peu celui-ci se délitait en imperceptibles nuances, en crispations. Et celui qu’il présentait à ce moment-là n’avait rien de très serein.

— Comment le sais-tu qu’elle n’était pas marquée ?

— Je les ai toutes examinées suite à la trouvaille de Serge, le gamin de Bandol, qui portait, elle, cette griffe.

— Et tu n’as pas entendu la pointe tinter comme dans un grelot ? fit-il plus qu’agacé. Eh oui, ma chère soeur, Manuel a su trouver une pointe et s’en est servi pour graver le début de son prénom à l’envers de ses miniatures. C’est tout simple. Il est donc capable de deux actions simultanées.

Elle préféra abandonner, dit que probablement ce clou, ou cette pointe, s’était coincé à l’intérieur du modèle réduit où les aménagements étaient fidèlement reproduits, ce qui expliquait qu’elle ne l’ait pas découverte.

— On pourrait commander une pizza ou ce que vous voudrez, proposa Astrid, soupçonnant un relent de querelle dans les répliques trop rapides de ses jumeaux. Voyons, quelle boutique livre aussi bien à midi que le soir ? Les gens qui travaillent en temps continu ont besoin de manger eux aussi et le font sur place en passant commande par téléphone !

Négligeant le décrochage conciliant de sa soeur, Julien poursuivait sa petite offensive hargneuse :

— Tu sais quoi, ma vieille ? Tu manques d’humanité et d’affection fraternelle, car tu fais de Manuel un débile profond en laissant entendre qu’il ne peut faire deux choses en même temps. Tu avais déjà fait part à maman de cette appréciation déplaisante sur notre frère, et j’estime que c’est vraiment choquant, indigne d’une soeur.

— Voyons Julien, assez de mélodrame pour aujourd’hui, j’en ai eu mon lot avec Ginette. Julia ne cherche qu’à vérifier chaque chose pour comprendre ce que Manuel a bien pu décider de faire. Venez plutôt m’aider à trouver sur les pages jaunes une pizzeria qui veuille bien nous livrer dans moins d’une heure. Ou bien un chinois, et il y a aussi un indien qui propose des plats chauds. À moins que l’un de vous n’aille jusqu’au McDo le plus proche.

Chapitre 17

La pizza se desséchait dans son carton, dont Astrid avait détaché le couvercle. Ils en avaient laissé plus de la moitié.

— Je vais téléphoner à Ginette, répétait-elle pour la troisième fois. Je ne me sens pas capable d’attendre jusqu’à demain huit heures pour savoir si elle nous quitte ou si elle continue.

— Je le fais, décida Julia, tu as son numéro ?

— Non, attends, c’est peut-être trop brutal. Attends ce soir.

— Si elle nous quitte, comment ferons-nous avec le bébé ?

Elle fixait tranquillement son frère qui tailladait sa part intacte de Margarita avec un couteau très pointu. Il tourna la tête vers Astrid, et non vers elle.

— Quel bébé ?

— Le mien, qui naîtra… fin octobre, murmura Astrid, confuse.

La main bronzée se crispa sur le manche du couteau et celui-ci se tendit, très brièvement, en direction d’Astrid avant de retomber sur la table de la cuisine.

— Est-ce un jour à blagues ? demanda Julien avec un sourire éteint.

— Je ne plaisante pas, répondit Astrid, livide.

Julia aurait parié que jamais elle n’aurait osé révéler sa grossesse à Julien, attendant que sa fille le fasse. Pudeur ? Prudence ?

— Mais papa…

— Je suis divorcée, majeure, cria Astrid se libérant, même maladroitement, de ses blocages. J’accoucherai d’un petit garçon fin octobre. Je vous concède le soin de choisir vous-mêmes le prénom, mais en cas de litige je trancherai. Voilà.

Julien se leva, sortit. Son scooter hurla plus que d’habitude lorsqu’il franchit la grille.

— Ce qu’il y a de bien avec la pizza dans son carton, c’est l’absence de vaisselle, dit Astrid. Je vais me reposer un peu.

Lorsqu’elle eut nettoyé les couteaux, tous dentelés et pointus, Julia les rangea sans crainte. L’art subtil de se débarrasser des êtres encombrants méprisait les armes conventionnelles.

L’absence de Julien ne dépassa pas les huit heures du soir et il rejoignit sa mère et sa jumelle dans le salon.

— J’ai mangé au McDo, précisa-t-il, devançant l’inquiétude maternelle rituelle.

— Veinard, dit Astrid, nous avons avalé un potage verdâtre répugnant sorti d’un sachet.

Julia avait décidé que c’était maintenant ou jamais qu’elle établirait les nouvelles conditions de leur vie commune.

— Si Ginette ne revient pas, ce sera la quatrième disparition en quelques années d’un être faisant partie de notre cadre familier. Le premier, Arthur Herkinson, notre père, a choisi de retourner dans sa chère Amérique…

— En aurais-tu souffert ? s’étonna Astrid.

— Je ne sais pas. Par contre, j’ai cru longtemps que je ne me consolerais jamais de la disparition de Zoup, mais je ne pouvais prévoir combien nous serions autrement malheureux, angoissés, avec la disparition de Manuel. Peut-être que l’un de nous sait ou suppose quelque chose mais refuse d’en parler, ou n’ose pas.

Sa mère secoua la tête, regarda ses jumeaux avec appréhension, comprit qu’elle ne devait pas s’attarder ce soir-là avec eux. Elle dit qu’elle allait se coucher, qu’elle avait eu sa part d’émotions pour la journée.

— J’irai voir si tu as besoin de quelque chose tout à l’heure. Repose-toi au mieux en t’écartelant, bras et jambes étirés sur toute la largeur du lit.

Ils se levèrent pour l’embrasser. Elle sortit et Julia se rassit. Julien hésitait, regardant la porte.

— Non, dit sa soeur, j’ai quelque chose à te montrer.