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Ses gardiens dont les poignes immobilisaient ses bras le conduisirent au bout de l’enfilade dans ce qui était sans aucun doute la chambre nuptiale, celle dont ne ressortaient jamais les épousées que l’on y menait. Et quelle chambre ! Jamais Aldo n’avait rien vu de si tarabiscoté ni de si doré !

La pièce principale en était l’alcôve où trônait le lit. Elle était précédée d’une sorte d’arc triomphal et d’une grille basse ouvrant par le milieu comme une table de communion, l’ensemble en bois doré. Le lit de soie pourpre mais tellement brodé qu’on distinguait à peine la couleur était surmonté d’un baldaquin carré dont le bandeau en bois sculpté se composait d’amours tenant d’épaisses guirlandes alternant avec des feuilles d’acanthes.

Dans le salon précédant ce monument, les cartouches, les amours, les volutes et les palmes recouvraient entièrement les murs et le plafond encadrant des miroirs. Ouvrages en fort relief, ces motifs laissaient paraître par endroits un fond très sombre qui en faisait mieux valoir l’éclat. Une énorme console du baroque le plus délirant placée entre les deux hautes fenêtres était destinée à servir de coiffeuse si l’on en jugeait par l’assortiment de flacons, de brosses, de coffrets et d’objets féminins disposés sur le brocart, doré lui aussi, pris dans le même tissu que les doubles rideaux. Le sol était fait d’une mosaïque de marbre sans le moindre tapis pour le réchauffer et les fauteuils en velours de Gênes dont on s’apercevait à peine qu’ils étaient rouges avaient l’air de flotter sur une glace colorée.

— Cette chambre à elle seule est déjà un cauchemar ! apprécia le prince-antiquaire. Qui peut avoir envie de dormir là-dedans ?

— Vous faites pas de bile, vous y dormirez à merveille, fit Crespo.

— Oh merci ! Me voilà rassuré…

L’une des deux fenêtres était ouverte ce qui permit au prisonnier d’apercevoir la baie et la proue du Médicisà l’ancre. Devant l’autre les rideaux étaient fermés. Crespo les écarta. Il y avait là une chaise de fer dont les pieds étaient vissés dans le sol. Débarrassé de ses menottes, Aldo y fut soigneusement attaché par des cordes, les mains liées derrière le dossier. On lui lia aussi les chevilles et pour finir, on le bâillonna :

— C’est pour éviter vos cris de joie, expliqua Crespo avec son mauvais sourire. Vous allez avoir la chance d’assister à la nuit de noce du patron, grand veinard ! L’attente sera peut-être un peu longue mais vous en serez tellement récompensé !

Après quoi, il tira devant lui les pans de brocart dont les extrémités s’étalaient mollement sur le sol de façon à ce qu’il ne manquât rien de ce qu’il se passerait dans la chambre tout en restant lui-même invisible. Ensuite Aldo se retrouva seul avec ses réflexions…

Qui n’avaient rien de réjouissant ! L’après-midi n’en étant qu’à son début, l’attente, comme disait Crespo, promettait d’être interminable surtout dans une telle position. Une chance encore – si l’on pouvait l’appeler ainsi ! – était qu’il ne fasse pas trop chaud ce qui eût rendu plus cruelle la soif qui ne manquerait pas de venir avant que la délirante bâtisse ne s’en aille en poussière. Le bâillon qui lui sciait les coins de la bouche ne ferait même que l’accélérer. Cependant Aldo refusa de s’étendre plus avant sur une perspective si désolante. Il serait temps de se laisser aller au désespoir quand plus aucune chance ne serait en vue.

Celles qui lui restaient étaient minces, aléatoires mais il s’y cramponnait de toutes ses forces. Il y avait Adalbert – et Pauline ! – à qui son absence devait sans doute poser quelques points d’interrogation. Ensuite venait Nelly Parker qui semblait posséder le talent de se faufiler partout comme une souris. Elle voulait sauver Betty Bascombe mais, si elle y parvenait, peut-être réussiraient-elles à elles deux à mettre en échec les plans monstrueux de Ricci. Malheureusement aucun d’eux ne savait que le temps de survie d’Aldo lui était compté si chichement. Enfin, peut-être pouvait-on attendre quelque chose d’Hilary elle-même ?

Après le mauvais tour qu’elle lui avait joué et ce qu’il en savait, elle ne lèverait certainement pas le petit doigt pour le tirer d’affaire mais elle lui avait laissé entendre qu’elle comptait donner du fil à retordre à son futur époux, qu’elle ne se laisserait pas mener comme un mouton à l’abattoir et qu’elle prenait des précautions dans ce but. Quant à Ricci, même s’il ne gardait guère d’illusions sur elle, il ne mesurait certainement pas à sa juste valeur la froide détermination de cette fille. Leur affrontement quand tous deux se retrouveraient face à face dans cette chambre vaudrait sans doute d’être observé. Restait à savoir, quand cette opportunité se présenterait, s’il serait possible d’en tirer parti ?…

En attendant, il entreprit de tester la résistance de ses liens en essayant d’abord de faire jouer ses poignets, remerciant Dieu que l’on eût renoncé aux menottes à cause de la largeur du dossier de sa chaise mais c’était une maigre consolation : le chanvre était épais et les nœuds solidement faits.

Pourtant il ne se décourageait pas, s’accordant un moment de repos entre chaque effort pour éviter de s’épuiser. Il restait alors rigoureusement immobile en contrôlant sa respiration. Par la fente du rideau il contemplait l’énorme lit qui ressemblait à un trône ou à un autel artificiel. Un détail retint son attention : alors que la maison en débordait, il n’y avait pas la moindre fleur dans la chambre nuptiale. En outre la couverture du lit n’était pas faite et il n’y avait pas d’oreiller.

Aldo examina ensuite le décrochement de l’alcôve où sur chaque pan de mur, la fissure rectiligne d’une porte se dessinait au milieu des reliefs dorés. L’une pouvait être un placard celui justement des oreillers et des couvertures mais l’autre ouvrait peut-être le chemin par lequel les victimes étaient menées au Minotaure. Aucune autre issue n’était en vue…

Tout en réfléchissant Aldo essayait de bouger dans ses liens, gonflant ses muscles et les détendant dans l’espoir de donner aux cordes un peu de jeu. Il l’avait fait pendant que Crespo le liait mais le truand serrait fort et sa victime n’avait obtenu en revenant au volume normal qu’un léger soulagement rendant les cordes à peu près supportables mais de là à les relâcher il y avait un monde…

Pendant ce temps le Palazzo s’emplissait de bruits et de rumeurs. Les serviteurs auxquels on avait sans doute ajouté les traditionnels extra comme cela se faisait partout – et peut-être ici plus qu’ailleurs, les hommes de Ricci n’étant pas tous aptes à endosser la veste blanche pour passer des plateaux avec habileté ou se pencher avec sollicitude sur des dîneurs attablés ! – étaient sur le pied de guerre. À cette heure le mariage devait être célébré aux « Oaks » et les voitures n’allaient pas tarder à arriver. Le bruit du moteur de la première fut le signal pour l’orchestre qui entama une valse lente. En même temps et bien qu’il fît encore jour, le palais s’illumina. La fête mortelle était commencée…

CHAPITRE XIV

NUIT DE NOCES

Peu à peu une relative obscurité envahit la chambre. La nuit était tombée mais la fenêtre ouverte laissait pénétrer le reflet des cordons lumineux disposés sur la façade. Avec eux arrivaient le bruit des conversations sur fond de musique douce, les tintements du cristal et de l’argenterie mais fort peu de rires. Autant dire, rien. Ces gens étaient là dans l’attente de quelque chose et ce quelque chose ne prêtait guère à la plaisanterie. En fait de souper de noces, ce repas devait ressembler à ces dîners funéraires qu’affectionnaient les Romains. Les fumets qu’il exhalait n’en étaient pas moins délectables, et Aldo, toujours rivé à sa chaise, subissait un supplice renouvelé de Tantale. Surtout, comme il l’avait prévu, la soif commençait à se faire sentir.