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En dépit de ses efforts, il n’avait que très peu réussi à détendre ses liens et ses mains le brûlaient. Pour se distraire il tentait d’imaginer où pouvaient bien être Adalbert, Pauline et aussi Nelly tandis que s’égrenaient les heures le rapprochant implacablement du dénouement ? Les deux premiers étaient-ils au nombre des convives ? Avaient-ils seulement été invités ?

Un intermède lui fit passer quelques minutes : Crespo entra muni d’un bougeoir à l’aide duquel il alluma les flambeaux dispersés un peu partout dans la chambre dont les ors se mirent à briller d’un vif éclat. Deux d’entre eux encadraient le lit toujours aussi inhospitalier et qui du coup prit un curieux aspect de catafalque. Quand ce fut fini, le malandrin vint donner un coup d’œil au prisonnier. Devinant qu’il venait s’assurer de l’état de ses liens, Aldo regonfla aussitôt ses muscles et Crespo ne jugea pas utile de resserrer quoi que ce soit. Avant de partir il lâcha même :

— Vous impatientez pas, la fin approche ! Les invités n’ont pas l’air de s’amuser et on ne va pas tarder à tirer le feu d’artifice. Quand ils seront partis le spectacle sera pour vous tout seul !

Les premières fusées furent tirées peu de temps après son passage. Aldo pouvait en apercevoir le reflet dans un miroir. Elles se succédaient à un rythme rapide et leurs détonations répétées ne permettaient guère à Morosini de saisir la moindre bribe des conversations qui à présent se déroulaient sur la terrasse, sous les fenêtres. Parfois des applaudissements se faisaient entendre mais ils étaient simplement polis, non enthousiastes. Il y en eut davantage quand le spectacle se termina mais à peine plus et ils s’éteignirent vite comme les bruits de voix donnant l’impression que tous ces gens avaient hâte à présent de rentrer chez eux. Le ronflement des moteurs arriva presque aussitôt, ce qui fit penser à Aldo que cela ressemblait plus à un sauve-qui-peut qu’à un départ normal.

En fait, déçu, même irrité par le manque d’enthousiasme de ses invités, Ricci leur avait pratiquement demandé de quitter les lieux en déclarant que devant partir de bonne heure le lendemain matin pour leur voyage de noces aux Caraïbes avec le Médicis, sa jeune femme et lui-même souhaitaient se retirer dans leurs appartements pour y connaître quelques heures d’intimité. Cela avait jeté un froid vite remplacé par une hâte quasi primitive à rejoindre les voitures créant ainsi une certaine confusion. L’orchestre continuait de jouer mais les vrombissements des klaxons eurent un moment le dessus.

Enfin tout rentra dans l’ordre et force resta aux musiciens. Il y eut un temps de silence puis la musique reprit, solennelle cette fois : elle jouait la Marche Nuptialede Mendelssohn et Aldo comprit que le dernier acte allait se jouer. Surtout quand il entendit se rapprocher les violons…

Sous les mains gantées de deux laquais porteurs de flambeaux, le double battant de la porte s’ouvrit devant le nouveau couple. Ricci en habit noir menait par la main, selon l’antique tradition, une Hilary proprement éblouissante. Elle ressemblait à un portrait de Pisanello dans sa robe de pourpre et d’or semée de perles, aux manches énormes, et sur ses cheveux tirés en arrière une sorte de turban rond comme une citrouille, de même tissu et presque aussi imposant. Cette mode-là en retard d’un bon siècle sur celle de Bianca Capello n’en était pas moins spectaculaire et même séduisante par la magie du large et profond décolleté carré sur lequel étincelait la croix de rubis… les pendants d’oreilles complétaient admirablement la fantastique coiffure plus royale que bien des couronnes. Jamais Hilary n’avait été aussi belle et en dépit de son ressentiment, Morosini ne pouvait que déplorer la fin prochaine et barbare de cette éblouissante créature… ainsi que sa propre impuissance car il n’avait pas réussi à se défaire de ses entraves pas plus qu’à ébranler son siège pour l’arracher au sol et se procurer ainsi, éventuellement, une surface coupante. Aussi approchait-il dangereusement les bornes du désespoir.

Tandis que les laquais se retiraient, Ricci amenait sa femme au centre de la pièce. Il souriait de toutes ses dents en or avec aux yeux une flamme d’orgueil en posant un baiser sur les lèvres entrouvertes :

— Nous voici enfin l’un à l’autre, ma chère ! L’heure la plus exquise que j’aie jamais vécue…

Tout en parlant, il voulut la prendre dans ses bras mais la raideur de la jupe et l’importance des manches ne le permirent pas et il maugréa :

— Pourquoi avoir choisi une robe pareille ? Elle n’est pas conforme à ce que l’on portait à Florence au XVIe siècle et pas davantage à ce que je souhaitais !

— Essayez de ne pas trop m’en vouloir, flûta Hilary d’une voix sucrée qui fit dresser l’oreille d’Aldo. Depuis toujours je rêve de porter une toilette semblable. Jamais je n’ai rien vu d’aussi somptueux ! Et avouez qu’elle me va à merveille…

— Sans doute, sans doute mais…

— … et qu’elle met admirablement en valeur cette splendide parure.

— J’en conviens entièrement, soupira-t-il en essayant de poser ses mains sur la rondeur à demi découverte des épaules mais elle lui échappa pour parcourir la chambre en regardant autour d’elle avant de se fixer sur le lit…

— Comment se fait-il que la couverture ne soit pas faite ? Il y a trop d’hommes à votre service et pas assez de femmes. Appelez ma femme de chambre je vous prie !

— Nous n’en avons pas besoin, carissima ! C’est à moi que revient le délicieux privilège de vous déshabiller !

Il louvoyait pour s’approcher d’elle par-derrière afin d’atteindre les agrafes de fermeture mais d’une souple glissade elle rétablit la distance entre eux.

— Certainement non ! Vous allez tout déchirer et je veux garder ce costume intact ! Appelez Brownie ! Elle a des doigts de fée !

Ricci parut soudain ulcéré :

— Il est hors de question d’introduire une domestique dans ma nuit de noces ! Et je ne comprends même pas que vous puissiez avoir cette idée ! Si par malheur j’abîme votre robe je vous en ferai faire une identique ! D’ailleurs ajouta-t-il en s’efforçant de sourire, je vous assure que je suis beaucoup plus adroit que vous ne le supposez…

— J’en suis persuadée mais, de toute façon, il faut appeler ma camériste. Ne fût-ce que pour apporter mes vêtements de nuit dont je ne peux pas faire autrement que constater l’absence ! Quand je vous dis que le service est mal fait ici… Je ne suis pas habituée à de tels manquements !

— Ce n’est rien, ma douce. Je vais aller vous les chercher moi-même… si vous y tenez absolument !

— Comment si j’y tiens ? Mais bien sûr ! Un déshabillé si ravissant ! Satin nacré et dentelles de Malines. Faites dire à Brownie qu’elle me les apporte.

— Moi je n’y tiens pas ! fit Ricci avec âme. Satin, dentelles, si beaux qu’ils soient ne sont que barrières insupportables pour l’époux passionné que je suis. Jamais vous ne serez plus belle que nue… et c’est nue que je vous veux !

De son coin, Aldo admira en connaisseur la rougeur qui envahit le visage de la jeune femme. Si elle n’était pas fondamentalement bégueule, c’était une artiste exceptionnelle ! Elle riposta, l’air courroucé :

— Il n’est pas d’usage en Angleterre de jeter des termes aussi vulgaires au visage d’une jeune mariée. Vous pourriez au moins faire preuve d’un semblant de délicatesse et ne pas effaroucher ma pudeur ! Je veux Brownie !

Le soupir de Ricci aurait pu faire tomber le ciel de lit :

— Bon ! Je vais vous dire : j’ai envoyé votre Brownie sur le Médicisoù elle est en train de ranger vos affaires afin que demain, quand nous appareillerons, tout soit en ordre. Voyez si j’ai péché c’est par excès de prévenance. Allons, ma douce, ma colombe cessez de vous rebeller. Le temps de nous aimer est venu. Ne résistez plus à l’attirance que nous éprouvons l’un envers l’autre. Moi surtout, évidemment puisque je suis votre aîné… et que vous êtes belle à damner un saint. Laissez-moi vous déshabiller ?

— Et je devrais sans doute vous rendre le même service… ou prétendez-vous faire l’amour en habit ? fit Hilary glaciale. Je me demande où vous avez été élevé ? Un gentleman a recours aux services d’un valet…