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— Où est l’Empereur ?

— Dans la pièce voisine où l’on installe son cabinet. Il paraît que de nouveaux incendies se sont déclarés le long d’une rivière qu’ils appellent la Yaouza, tout près d’un palais... Balachov où le roi de Naples a établi son état-major.

Aussitôt, elle fut debout, courut aux fenêtres mais celles-ci ne donnaient pas dans la bonne direction. Elle ne vit rien qu’une légère fumée du côté de l’est.

— Je lui ai dit que cela allait recommencer, fit-elle nerveusement. Ce nouvel incendie va peut-être le décider à évacuer...

— Cela m’étonnerait beaucoup, remarqua Constant. Evacuer ? Sa Majesté ne connaît pas ce mot-là. Pas plus que le mot retraite. Elle ne sait même pas ce que cela veut dire. Et cela quel que soit le danger... Tenez, Madame, regardez ce maroquin, ajouta-t-il en montrant à la jeune femme un gros portefeuille vert qu’il venait de tirer d’un coffre de voyage, voyez-vous cette couronne de lauriers qui y est gravée en or ?

Elle fit signe que oui. Alors, suivant d’un doigt presque tendre le dessin imprimé dans le cuir, Constant soupira :

— Cette couronne reproduit celle qu’à Notre-Dame, le jour du Sacre, il s’est lui-même posée sur la tête. Remarquez le dessin des feuilles... Elles sont pointues comme les flèches de nos anciens archers et, comme elles, se dirigent toujours vers l’avant sans jamais reculer...

— Mais elles peuvent être détruites... Que deviendront-ils au milieu des flammes, vos lauriers, mon pauvre Constant ?

— Une auréole, Madame la Princesse, plus éclatante encore si elle est celle du malheur. Des lauriers de flammes en quelque sorte...

Le pas rapide de l’Empereur qui revenait lui coupa la parole et, s’inclinant profondément, il se retira au fond de la chambre, tandis que Napoléon reparaissait. Cette fois, il était sombre et ses sourcils froncés formaient une barre au-dessus de ses yeux qui avaient pris la teinte de l’acier...

Pensant qu’elle était de trop, Marianne esquissa une révérence :

— Avec la permission de Votre Majesté...

Il la regarda d’un air hostile :

— Rengainez votre révérence, Princesse. Il n’est pas question que vous partiez. J’entends que vous demeuriez ici. Je vous rappelle que vous avez été récemment blessée. Il n’est donc pas dans mes intentions de vous laisser courir je ne sais quelles routes impossibles, livrée à toutes les aventures de la guerre.

— Mais, Sire... cela ne se peut pas !

— Pourquoi ? A cause de vos... prévisions ? Vous avez peur ?

Elle eut un léger haussement d’épaules où entrait beaucoup plus de lassitude que d’irrévérence.

— Votre Majesté sait bien que non ! Mais j’ai laissé, dans la galerie, mon jeune cocher et, au palais Rostopchine, de vieux amis qui m’attendent et qui peut-être s’inquiètent...

— Ils ont tort ! Vous n’êtes pas en danger avec moi, que je sache ! Quant au palais Rostopchine, les grenadiers du duc de Trévise y cantonnent : vos amis ne sont donc pas abandonnés ! N’importe ! Je ne veux pas vous savoir inquiète ou risquer de vous voir tenter quelque rocambolesque évasion. Qui vous a conduite jusqu’ici ?

— Le commandant de Trobriant !

— Encore un vieil ami ! constata l’Empereur avec un sourire narquois. Vous en regorgez, décidément. Eh bien, je vais le faire chercher pour qu’il se charge d’aller récupérer votre Jolival et cet... Irlandais, je crois, dont vous m’avez parlé. On les amènera ici. Grâce à Dieu, il y a dans ce palais de quoi loger un peuple... Constant va s’occuper de vous et, ce soir, nous souperons ensemble. Ce n’est pas une invitation. Madame, ajouta-t-il en voyant que Marianne esquissait un geste annonçant une plaidoirie, c’est un ordre...

Il ne restait plus qu’à obéir. Sur une profonde révérence la jeune femme suivit le valet de l’Empereur qui, avec la sûreté d’un homme habitué depuis longtemps à se reconnaître rapidement dans les palais les plus vastes, la conduisit à travers deux couloirs et un petit escalier jusqu’à une chambre assez agréable, dont les fenêtres ouvraient approximativement au-dessus de celles de l’Empereur, mais plutôt poussiéreuse.

— Nous verrons demain à trouver des femmes de service, fit-il avec un sourire encourageant. Pour ce soir, Madame la Princesse voudra bien se montrer indulgente...

Demeurée seule, Marianne s’efforça de retrouver un peu de calme et de secouer cette douleur qui lui serrait le cœur si péniblement. Elle se sentait perdue, abandonnée, malgré la sollicitude indéniable que lui avait montrée Napoléon à un moment où, cependant, il avait bien autre chose à faire que se pencher sur le drame intime d’une femme. Qu’avait-il dit, tout à l’heure ? Qu’il l’aimait peut-être encore ? Non, ce n’était pas possible ! Il avait dit cela uniquement pour la consoler. Celle qu’il aimait, c’était sa petite Autrichienne blonde... et, d’ailleurs, cela avait si peu d’importance maintenant. Mais, ce qui était plus grave, plus troublant, aussi, c’était cette affirmation insensée, péremptoire, qu’il avait osée. Avec quelle impitoyable logique ne lui avait-il pas démontré qu’elle n’était pas la femme d’un seul amour, qu’elle pouvait être sensible, peut-être, au charme d’autres hommes que celui de Jason. Comment ne comprenait-il pas que c’était faux, qu’elle n’aimait, qu’elle n’avait jamais aimé que lui, même quand, après Corfou...

Elle serra ses mains l’une contre l’autre tandis qu’un frisson courait le long de son dos. Corfou ! Pourquoi ce nom s’était-il tout à coup présenté à elle ? Etait-ce parce que son esprit, inconsciemment, cherchait à donner raison à l’Empereur ? Corfou... la grotte... et ce pêcheur, cet homme mystérieux qu’elle n’avait même pas vu et dans les bras duquel cependant elle avait connu l’ivresse totale, une griserie telle qu’aucun homme que cet inconnu n’avait su lui en procurer... même Jason. Cette nuit-là, elle s’était conduite comme une fille. Et pourtant, pas une seule fois elle ne l’avait regretté. Au contraire... Le souvenir de cet amant sans visage qu’elle avait surnommé intérieurement Zeus, gardait intact son charme troublant...

— Je dois être folle ! s’écria-t-elle avec rage en se prenant la tête à deux mains comme pour en arracher ces pensées qui lui semblaient sacrilèges. Mais c’était impossible. Tout ce que Napoléon lui avait dit tournoyait dans sa tête, y creusait des sillons douloureux, posait tant de questions qu’elle s’avouait impuissante à y répondre mais qui, cependant, se résumaient en une seule : se pouvait-il qu’elle se connût si mal elle-même ?...

Et Marianne, confrontée au plus difficile problème qu’elle eût jamais rencontré, s’y abîma, perdant toute conscience du temps. Des heures passèrent sans doute car le soleil allait vers son déclin lorsque l’on gratta à la porte et que Constant reparut. Trouvant Marianne assise, toute droite, sur une petite chaise basse au dossier raide, il s’exclama :

— Oh ! Madame la Princesse ne s’est pas reposée un instant, j’imagine. Elle paraît si lasse...

Elle s’efforça de lui sourire, n’y parvint pas et, passant sur son front une main qui lui parut glacée :

— C’est vrai. Je suis lasse. Quelle heure peut-il être ?

— Plus de 6 heures, Madame. Et l’Empereur réclame Votre Altesse Sérénissime...

— Mon Dieu !... Mais je n’ai même pas songé à faire un peu de toilette...

— Cela n’a pas d’importance. Sa Majesté a quelque chose à montrer à Madame la Princesse... quelque chose de grave.

Son cœur manqua un battement.

— De grave ? Mes amis...

— Sont arrivés... en bon état, soyez sans crainte. Venez vite !

Il la conduisit cette fois dans une sorte de vestibule où elle découvrit une scène étrange : plusieurs hommes es étaient là, groupés autour d’un brancard sur lequel un corps enveloppé d’un chiffon rouge était étendu. L’Empereur était debout auprès de ce brancard, en compagnie d’un homme d’apparence distinguée que Marianne ne connaissait pas. Un peu plus loin, il y avait Jolival, emballé dans une robe de chambre beaucoup trop grande pour lui et à demi étendu sur une banquette. Gracchus, très pâle, se tenait à ses côtés.