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Sauf que cette fois, ce n’est pas volontaire.

Un tentacule aussi gros que mon bras s’est enroulé autour de ma taille et m’entraîne sans que je sois en mesure de résister. Il fait toujours noir en bas et comme je n’ai pas eu le temps de retenir mon souffle, ma situation devient vite désagréable.

Je me bagarre avec le tentacule, essayant de toutes mes forces de desserrer son étreinte. Vous avez compris que, malgré mon physique gracile, je suis costaude et teigneuse, n’est-ce pas ? Pourtant, là, ça ne me sert à rien. Strictement à rien. Je continue à descendre et mes poumons passent en zone rouge. Alerte générale ! Dans un film, ça donnerait quelque chose du genre « Il vous reste dix secondes d’autonomie respiratoire avant une mort par asphyxie ».

Si au moins le Sphinx m’avait permis d’emporter son coutelas. D’accord, glissé sous mon tailleur, il n’aurait pas été discret mais…

Merde !

Je n’ai aucune envie de mourir comme ça.

Je n’ai aucune envie de mourir tout court.

Dans les films, toujours les films, la vision du héros se trouble à cet instant précis. Il voit des papillons noirs avant, bien sûr, d’être sauvé.

Moi, c’est le contraire.

Au moment où mes poumons m’avisent qu’ils renoncent et vont tenter de respirer sous l’eau, j’y vois clair. Entendons-nous, je ne suis pas victime d’une vision ante mortem, non, il faisait noir et, soudain, je suis prise dans un halo de clarté verdâtre.

Je ne sais pas si c’est mieux, parce que j’étouffe toujours et que devant moi…

Si c’est la Créature, elle est immonde.

Question taille, c’est la catégorie baleine, question forme, c’est du grand n’importe quoi. Un corps massif et bulbeux, une tête de cauchemar garnie d’une foison de tentacules dont celui qui me retient prisonnière, des écailles, des voiles de chairs improbables, une douzaine d’yeux globuleux de la taille et de la couleur d’un ballon de basket, des nageoires placées de façon apparemment aléatoire et une myriade de pustules qui irradient la lumière verte qui me nimbe… Un monstre.

Comme ultime vision pour une future noyée, on aurait pu trouver mieux.

Euh… Enlevez le mot « future » de la phrase qui précède.

Malgré mes efforts pour garder les mâchoires serrées, je les sens qui s’écartent. De l’air. De l’air. Je veux de l’air. Et il n’y a que de…

La Créature expire une bulle énorme qui m’englobe et se stabilise autour de moi.

Une bulle d’air !

Je prends une inspiration géante, manque suffoquer tellement ça pue, jamais je n’ai été aussi soulagée. Pourquoi se rend-on compte du caractère indispensable des choses uniquement lorsqu’on en est privé ? Pourquoi est-ce que…

– Je croyais ceux de ton espèceeeeeeeeee incapables de venir jusqu’iciiiiiiiiii. Qu’à jamais ils avaient été banniiiiiiiiiis.

Les mots de la Créature ont résonné d’étrange façon sous quinze mètres d’eau et son accent est pour le moins particulier mais elle parle. Le problème, c’est que ce qu’elle dit n’a aucun sens.

– Je… Les humains n’ont pas l’habitude de nager sous l’eau, c’est vrai, pourtant…

– Toi tu es différenteeeeeeeeee. Bien trop et pas asseeeeeeeeeez. Suffisamment pour ne pas te noyeeeeeeeeeer.

– Vous… vous noyez les humains ?

– Je laisse les humains m’ignoreeeeeeeeeer. Puisque tu n’es pas ce que tu paraiiiiiiiiiis j’ai décidé de t’éparneeeeeeeeeer.

– Euh… merci.

Je ne vais quand même pas lui répondre qu’elle perd la boule, non ? À moins que… C’est évident, Ombe. La Créature du lac a parfaitement senti que tu n’étais pas une humaine normale mais une Paranormale ! Reste à savoir ce qu’elle reproche aux Paranormaux.

Ce qui n’est pas… urgent.

Je sens le tentacule se desserrer autour de ma taille et la bulle d’air vacille.

– Attendez.

Cinq ou six yeux se braquent sur moi, tandis qu’un voile de chair flasque ondulant dans un courant invisible me masque les autres.

– Attendez, je répète. Je suis venue pour vous sauver.

– Me sauveeeeeeeeeer ?

– Oui. Votre lac est menacé. Un complexe hôtelier va être construit à la place du vieux manoir, il y aura des gens partout, des bateaux, du bruit, du béton…

– C’est donc ça queeeeeeeeee je sens autour de moi palpiteeeeeeeeeer. Je me demandais comment il m’attaqueraiiiiiiiiiiiit. Lui qui a peur de me défieeeeeeeeeer. Parce qu’il me saiiiiiiiiiit plus forte qu’il ne le sera jamais.

– Qui ça, lui ?

– Le sorcieeeeeeeeeer. Dans le noir, depuis le dernier étage du manoir, il me regardeeeeeeeeee. Il saiiiiiiiiiit qui je suis et il connaît le pouvoir qui me gardeeeeeeeeee.

– Pourquoi ne vous en débarrassez-vous pas, si vous êtes plus forte que lui ?

– Parce queeeeeeeeee mes sortilèges ont besoin d’eau pour vibreeeeeeeeeer. Tu es venue m’aideeeeeeeeeer ?

– Euh… oui.

– Alors il te faut remonteeeeeeeeeer mettre un terme à cette folie sans tardeeeeeeeeeer.

La lumière verdâtre s’éteint brusquement, la bulle se dissipe et me voilà en train de nager vers la surface.

J’ignore ce qui me motive le plus. L’envie de retrouver l’air libre et l’oxygène qui va avec ou l’idée que, sous moi, une Créature de cauchemar parle d’une voix flippante et ne m’a épargnée que parce qu’elle me trouve plus Normale que Paranormale. Ou le contraire…

En sortant de l’eau, j’hésite un instant puis je renonce à enfiler mon tailleur. Je suis trempée, ça l’abîmerait et vu la bagarre qui se profile j’ai intérêt à porter des vêtements dans lesquels je suis à l’aise.

Je me glisse à l’intérieur de ma caravane non sans avoir caressé le réservoir de ma moto qui sommeille à proximité. Je me sèche rapidement, enfile un jean, un tee-shirt, passe mes Doc.

Au boulot, Ombe.

16

Il a intérêt à répondre.

Ou alors, la prochaine fois que je le croise, c’est moi qui ne réponds de rien.

Et qu’il soit presque trois heures du matin ne change rien à l’affaire.

Tu vas répondre, oui !

Il répond.

– Allô ?

Je m’attendais à une voix écrasée de sommeil, il a l’air parfaitement réveillé. Mieux que ça, un sympathique solo de guitare électrique, tout sauf soporifique, retentit derrière lui. Peut-être est-il moins blaireau que ce que j’imagine…

– Jasper ? C’est Ombe.

– Ah… Ombe… Euh…

Non, j’imaginais bien. Jasper est un blaireau. Ou alors un timide maladif à tendance bégayante ce qui revient pratiquement au même. Il prend une inspiration sifflante – asthmatique, Jasper ? – et poursuit :

– Je suis désolé pour l’autre jour, Ombe. Pour l’Élémentaire, je veux dire. Je croyais que…

– Oublie, Jasper. Ce n’est pas pour ça que je t’appelle.

– Je… Tu…

– Tout laisse à penser que je vais me friter avec un magicien. J’ai besoin d’un conseil ou deux.

Bref silence puis :

– Un instant, Ombe. Je suis en train de répéter avec des copains. Je quitte la pièce et je te reprends.

Je l’entends héler quelqu’un.

– Jean-Lu, Romu, je vous abandonne un moment… Oui, je sais… Non, c’est important… Fais pas chier, Jean-Lu, vous pouvez vous passer de moi cinq minutes, non ?

Bruit de pas, porte qui se referme.

– Allô, Ombe ?

– Tu es musicos ?

Je n’ai pas réussi à masquer ma stupéfaction et je parviens presque à le voir se rengorger.

– Oui. Dans un groupe que j’ai monté avec deux copains.

– Waouh !

Adieu le blaireau. Serais-je passée à côté du phénomène Jasper ?

– Vous êtes dans quel trip ? Indus ? Metal ? Thrash ?