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– Euh… non. Rock… Rock plutôt folk tendance médiévale.

– Ah… Et tu joues de quel instrument ?

Long silence puis :

– Tu évoquais un problème avec un magicien ?

Il a raison, Jasper. Je suis en mission, que diable !

– Oui. Il faut que je le coince mais…

– … Tu as peur qu’il t’empêche d’approcher à distance de beignes.

Perspicace, le garçon.

– Ouais, c’est ça.

– Il est balèze ?

Drôle de constater comment discuter magie offre de la confiance à Jasper.

– A priori oui.

– Je vois… Il te faut une protection qui te permette de te déplacer et d’arriver le plus vite possible au contact… Pourquoi est-ce que tu n’utilises pas le sortilège du bouclier qu’on a étudié lors du séminaire du mois dernier ?

– Quel bouclier ?

Petit soupir désapprobateur.

– Sans vouloir t’énerver, Ombe, c’est le seul sortilège que tu as été capable de tisser correctement. Tu t’en es même plutôt bien tirée. Tu ne te rappelles pas les travaux dirigés ? Le prof, un grand type basané, avec un accent sud-américain prononcé. Il nous a fait utiliser de la lignite pour ses propriétés diffractives et de l’extrait de menthe pour sa capacité lénifiante. Je suis d’ailleurs persuadé qu’ajoutée à la menthe, une feuille de sauge aurait permis aux énergies protectrices de se diffuser plus vite et de…

– Jasper ?

– Oui ?

– Je me souviens de ce sort, c’est exact. Il fait partie de la famille des protecteurs. Le prof en a créé un autour de lui et t’a demandé de lui balancer une boule de feu…

– Un sortilège pyrotechnique.

– … pour en vérifier l’efficacité.

– Je n’ai pas eu le temps de choisir mes ingrédients. Avec trois glands de chêne rouvre et un peu de malachite, il…

– Jasper, le prof est resté immobile alors que je dois être en mesure de bouger.

Nouveau soupir.

Désapprobation plus marquée.

Il faudrait veiller à ne pas exagérer, Jasper, d’accord ?

– Rien ne t’empêche de lier ce sort-bouclier à un objet que tu porteras sur toi. Il fonctionnera aussi bien. Peut-être mieux.

– Un objet ?

– Un bijou par exemple. Tu dois en avoir un, non ?

– Je possède une chaîne avec une médaille.

– Si elle est en or, ce n’est pas terrible. L’idéal serait du fer. Un bracelet en fer. Le fer combat et dissout la magie, ce qui ne devrait pas trop te gêner vu l’usage euh… limité que tu en fais ! Par contre, le magicien, je te dis pas. Et si, en plus, un diamant pouvait y être enchâssé, ce serait le top. Les diamants absorbent les ondes négatives. Du coup, ça ne serait plus un bouclier que tu porterais, mais un absorbeur de mauvais sorts ! L’avantage c’est que tu n’aurais pas besoin d’élaborer un sortilège compliqué. Il suffirait d’activer le fer et le diamant par une formule de ton choix.

Je réfléchis à toute vitesse.

– Pour le diamant, c’est râpé mais pour le fer je dois pouvoir me débrouiller. Merci, Jasper. À la prochaine.

– Ombe, attends !

– Quoi ?

– C’est urgent ? Je veux dire il ne peut pas attendre, ton magicien ? Je pourrais… enfin… te donner un coup de main…

Ma première réaction est d’éclater de rire mais, étrangement, cette envie disparaît aussi vite qu’elle est née. Remplacée par un je ne sais trop quoi que je n’ai pas envie d’analyser.

– C’est gentil, Jasper, mais il faut battre le fer tant qu’il est chaud, et les magiciens aussi. Merci quand même.

– Comme tu veux. Dis, Ombe ?

– Oui ?

– Sois prudente, d’accord ?

Là, il en fait trop monsieur Magie. Je n’ai jamais été prudente. Je ne vais pas commencer aujourd’hui.

– Ouais.

Je raccroche.

Bon. Jasper est un blaireau mais il a un bon fond. Et puis…

Alors que je pars à la recherche du morceau de fil de fer qui me servira de bracelet, je réalise un truc étrange.

C’est la première fois de ma vie que quelqu’un s’inquiète pour moi.

C’est chiant même si ça réchauffe le cœur.

J’ignore si la rouille influe sur la magie aussi ai-je poli le fil de fer trouvé près de la caravane jusqu’à lui rendre son éclat initial. Il attend sagement sur une souche que j’aie achevé mes préparatifs.

Mes préparatifs.

Si je déteste la magie, je déteste encore plus l’idée de me jeter, nue et désarmée, dans la gueule d’un magicien prêt à me croquer. J’ai donc décidé de procéder dans les règles. Du moins dans les règles dont je me souviens, ce qui impose, je l’avoue, une limite assez basse à mes ambitions.

Je me suis d’abord éloignée dans la forêt. La magie est intimement liée aux forces de la nature et nulle part elle n’est aussi puissante qu’entre des arbres centenaires. J’ai dégagé une vaste portion de sol des feuilles, de la mousse et des branches mortes qui le recouvraient, puis j’ai dessiné un pentacle avec une branche de noisetier trempée au préalable dans une source proche. Pour finir, j’ai soigneusement rempli son tracé avec du sel.

Il me faut maintenant accorder leur place aux quatre éléments fondateurs. Je pose au nord un bol, récupéré dans la caravane et rempli à la source, au sud une poignée d’humus récolté sous les racines d’un chêne, à l’ouest une pyramide de brindilles qu’une allumette suffit à embraser. J’ai choisi ces trois emplacements pour laisser l’est au vent qui souffle de cette direction et représentera le quatrième élément, l’air.

Bon. Activer le pentacle. C’est là que ça se corse.

Activer le pentacle est indispensable pour isoler l’acte de magie que je m’apprête à réaliser du reste du monde et isoler le reste du monde de l’acte de magie que je m’apprête à réaliser. Je ne pense pas être capable de créer l’équivalent magique d’une bombe atomique mais on ne sait jamais. Or une telle activation nécessite idéalement une formule déclamée en haut-elfique ou en runique, que je maîtrise assez mal, voire pas du tout. C’est d’ailleurs étonnant quand on sait avec quelle facilité j’ai appris l’anglais, le japonais, le russe, l’espagnol et l’italien.

Stop, Ombe, tu t’égares. Arrête de réfléchir et lance-toi. Tu n’as rien à perdre à tenter l’activation en français. L’essentiel demeure le lien invisible qui unit le jeteur de sorts aux forces vitales de la nature. Du moins, je crois…

– Parce que la sève du monde fait tourner la roue du temps, que le vent des ombres souffle sur l’esprit des feuilles, et que l’eau de la vie abreuve la conscience des montagnes. Parce que le casque de la nuit défend celui qui conduit son existence, que les gants de la route sifflent et que les roues tournent. Accélération, inclinaison, protection.

J’aurais bien vu l’ensemble rythmé par un slap à la basse, avec un sweeping de guitare électrique sur les trois derniers mots mais bon…

Woufff !

Mon pentacle a sonné juste et fort tandis que le sel prend une jolie couleur argentée.

Pas mal, Ombe. Pas mal. Les Elfes n’ont qu’à bien se tenir ! Et si c’en était fini du monopole qu’ils détiennent sur le verbe magique, hein Jasper ?

J’allume une deuxième pyramide de brindilles placée au centre du pentacle et lorsque les flammes s’élèvent j’y promène le bracelet en psalmodiant une formule de mon cru :

– Scutum praesidium nervus armilla adjungo.

Quand le fer devient rouge, je le saupoudre de lignite puis je le trempe dans une coupe, récupérée dans la caravane, que j’ai remplie d’extrait de menthe (désolée, Jasper, il n’y a pas de sauge dans le nécessaire que m’a préparé le Sphinx).