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Puis une idée le frappa, et il en ressentit une bouffée de soulagement. C’était du soulagement conditionnel, mais c’était mieux que rien du tout. Cette idée, c’était que parfois les gens écrivaient des histoires inventées se situant dans des lieux réels. C’était ça, à n’en pas douter. C’était forcément ça.

— Allez voir page cent dix-neuf, lui conseilla Roland. J’ai pu en déchiffrer une partie, mais pas tout. Pas tout à fait assez.

Callahan trouva la page, et lut à voix haute :

— « Au début de son séminaire, un ami du Père… »

Il s’interrompit, et ses yeux filèrent sur le reste de la page.

— Continuez, dit-il. Mon Père, continuez, ou je le lis moi-même.

Doucement, Callahan reprit sa lecture.

— « … un ami du Père Callahan lui avait donné un petit morceau de tapisserie blasphématoire, qui à l’époque lui avait arraché un fou rire, mais qui lui avait paru plus vrai et moins blasphématoire, à mesure que passaient les années : Mon Dieu, donnez-moi la SÉRÉNITÉ d’accepter ce que je ne peux changer, le COURAGE de changer ce que je peux changer, et la CHANCE de faire la putain de différence. Le tout en caractères gothiques, avec un soleil levant en fond.

« Maintenant qu’il se tenait devant la… la tombe de Danny Glick… ce vieux credo lui revenait. »

La main qui tenait le livre faiblit. Si Jake ne l’avait pas rattrapé, il aurait sans doute dégringolé sur le sol caillouteux de la grotte.

— Vous en aviez un, pas vrai ? demanda Eddie. Vous aviez un petit cadre qui disait ça.

— C’est Freddie Foyle qui me l’avait donné, dit Callahan, dans un murmure. Au séminaire. Et Danny Glick… C’est moi qui officiais, à ses obsèques, je crois vous l’avoir dit. C’est là que tout a basculé, pour moi. Mais c’est un roman !

Un roman, c’est de la fiction ! Comment… comment il pourrait…

Sa voix monta soudain en un mugissement de damné. Roland y vit une ressemblance avec les voix qui montaient des ténèbres, et un frisson le parcourut.

— Bon Dieu, je suis une PERSONNE RÉELLE !

— Voilà le passage où le vampire brise votre croix, intervint Jake. « “Enfin réunis !” dit Barlow, le sourire aux lèvres. Il avait un visage fort et intelligent, d’une beauté aiguë et menaçante — pourtant, quand la lumière changea, il lui parut… »

— Stop, dit Callahan d’un ton morne. J’en ai le cœur brisé.

— Ça dit que son visage vous a rappelé le croque-mitaine qui vivait dans votre placard quand vous étiez gosse, M. Flip.

Callahan avait le visage tellement blafard qu’il avait l’air lui-même d’une victime de vampire.

— Je n’ai jamais parlé à personne de M. Flip, pas même à ma mère. Il ne peut pas se trouver dans ce livre. C’est tout bonnement impossible.

— Il est pourtant là, dit simplement Jake.

— Mettons ça au clair, suggéra Eddie. Quand vous étiez gosse, il y avait un M. Flip, et c’est bien à lui que vous pensiez quand vous avez dû affronter ce vampire de Type Un, ce Barlow. C’est exact ?

— Oui, mais…

Eddie se tourna vers le Pistolero.

— Tu crois que tout ça nous rapproche de Susannah ?

— Oui. Nous avons atteint le cœur d’un grand mystère. Peut-être du grand mystère. Je pense que la Tour Sombre est si proche qu’on pourrait la toucher. Et si la Tour est proche, alors Susannah l’est aussi.

Perdu dans son monde, Callahan feuilletait fiévreusement le livre.

— Et tu sais comment ouvrir cette porte ? demanda Eddie en la désignant du doigt.

— Oui, dit Roland. J’aurai besoin d’aide, mais je pense que les habitants de Calla Bryn Sturgis nous doivent bien un coup de main, non ?

Eddie acquiesça.

— D’accord, alors je vais te dire une chose : je suis presque certain d’avoir déjà vu le nom de Stephen King quelque part, au moins une fois.

— Sur l’ardoise, dit Jake sans lever les yeux du livre. Ouais, je m’en souviens. C’était sur l’ardoise, la première fois qu’on est allé vaadasch.

— Sur l’ardoise ? demanda Roland en fronçant les sourcils.

— Sur l’ardoise de Tower, confirma Eddie. Dans la vitrine, ça te revient ? Dans ce Restaurant-Spirituel-de-quelque-chose.

Roland hocha la tête.

— À mon tour de vous dire quelque chose, dit Jake, en levant cette fois les yeux vers eux. Le nom était bien là quand Eddie et moi on est allé vaadasch, mais il n’y était pas la première fois que je suis entré dans cette librairie. La fois où Deepneau a résolu l’énigme du fleuve, c’était un autre nom. Il a changé, comme le nom de l’auteur de Charlie le Tchou-tchou.

— Je ne peux pas être dans un livre, répétait Callahan. Je ne suis pas une fiction… ou alors, si ?

— Roland.

C’était Eddie. Le Pistolero se tourna vers lui.

— Il faut que je la retrouve. Je me fous de qui est réel et de qui ne l’est pas. Je me fous de Calvin Tower, de Stephen King, ou du Pape. Parce que pour ce qui est de la réalité, c’est elle que je veux, c’est tout. Il faut que je retrouve ma femme.

Sa voix se brisa.

— Aide-moi, Roland.

Roland tendit le bras et prit le livre dans sa main gauche. De la droite, il toucha la porte. Si elle est toujours vivante, pensa-t-il. Si on peut la trouver, et si elle est redevenue elle-même. Si, et si, et si.

Eddie prit le bras de Roland.

— S’il te plaît. Je t’en prie, ne me force pas à tenter ça tout seul. Je l’aime tellement. Aide-moi à la retrouver.

Roland sourit. Il eut l’air plus jeune. Son sourire parut illuminer toute la grotte de sa lumière. Tout le pouvoir ancestral d’Arthur l’Aîné, de la lignée d’Eld, était dans ce sourire : le pouvoir du Blanc.

— Oui, dit-il. On y va.

Puis, comme pour braver l’obscurité de ce lieu de ténèbres, il répéta, avec conviction :

— Oui.

Bangor, Maine
15 décembre 2002
FIN

NOTE DE L’AUTEUR

Je tiens à crier haut et fort la dette que j’ai auprès du western américain dans la composition des romans du cycle de La Tour Sombre. La dernière partie du nom de La Calla (bien que légèrement modifié) ne m’est sans doute pas venue par hasard. Il faut cependant souligner qu’au moins deux de mes sources d’inspiration ne sont pas du tout d’origine américaine. Sergio Leone (Pour une poignée de dollars, Le Bon, la Brute et le Truand…) était italien. Quant à Akira Kurosawa (Les Sept Samouraïs), il était bien entendu japonais. Ces livres auraient-ils été écrits sans l’héritage cinématographique de Kurosawa, Leone, Peckinpah, Howard Hawks, ou John Sturges ? Probablement pas sans Leone. Mais je dirais aussi que, sans les autres, il n’y aurait pu avoir Leone.

J’ai également une dette envers Robin Furth, qui a réussi à être présente avec toujours la petite information judicieuse chaque fois que j’en ai eu besoin, et bien sûr envers ma femme Tabitha, qui persiste à me donner tout le temps la lumière et l’espace dont j’ai besoin pour faire ce travail au mieux de mes capacités.