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Je tendis la main Sentis sa chaleur de loin La pure couleur du feu
Des films ondulant à la surface Incandescents dans le noir Illuminant le glacis luisant
De la dalle reflétant dans son noir Miroir la nuit immobile l’air sans un souffle Légèrement fumeux les étoiles à nouveau
Fixes à leur place la pluie de Météores avait presque cessé le ruisseau Babillant comme il n’avait cessé de le faire
Indifférent à la vie dans le ciel Une sorte de compagnie alors que je regardais La chaleur brûlante de la visitation
Mes mains alors qu’un film sombre Voilait son éclat orange Jusqu’à ce qu’il soit à la fois
Orange et noir je retournai chercher Mon duvet m’enroulai dedans vigilant Adieu sommeil pendant tant de nuits
Mais cette fois c’était justifié Mon visiteur se refroidissait sa lumière Se croûtait de noirs flocons
Dessous la surface orange plus sombre La lune se leva sur les pics déchiquetés Inonda le bassin de sa froide lumière
Ponctua l’eau du ruisseau L’air sombre conservant une lumière invisible La météorite orange alors tavelée de noir
Encore chaude au centre De cette dalle de granit poli Au centre de ce sombre bassin
À l’aube la roche était du noir le plus pur Évidemment je la ramenai chez moi Et la mis sur la cheminée
En souvenir de cette nuit en témoignage De notre place dans le monde Jamais je n’oublierai mes impressions
Lorsqu’elle tomba du ciel cette nuit-là Brillant d’une lueur orangée et moi à côté M’y chauffant comme à un petit soleil

Mars la violette

Il émerge d’un sommeil agité et part, dans une sorte de stupeur, en quête d’un café. La famille réunie autour de la table de la cuisine. Le petit déjeuner est une succession de tableaux de Mary Cassatt peints par un Bonnard ou un Hogarth.

— Hé, aujourd’hui, je finis mon livre.

— Très bien.

— David, va t’habiller en vitesse. C’est l’heure de l’école.

David lève les yeux de son livre.

— Hein ?

— Va t’habiller, c’est l’heure d’aller à l’école. Tim, tu veux des céréales ?

— Non.

— D’accord.

Il assied Tim sur une chaise devant un bol de céréales.

— Ça va, là ?

— Non.

Il enfourne ses céréales à grandes cuillerées.

L’heure de l’école approche et David amorce sa répétition quotidienne du paradoxe d’Achille et la tortue, une proposition jadis énoncée par un philosophe appelé Zénon et qui raconte comment, plus l’heure d’aller à l’école approche, plus Achille se déplace comme une tortue et moins il perçoit le monde qui l’entoure jusqu’à ce qu’il entre dans un continuum espace-temps complètement distinct, qui n’a que très peu d’interaction avec le nôtre. Se demandant comment Neutrino Boy peut faire preuve d’une telle distraction, son père apprend par cœur les tasses à café tout en préparant le café moulu pour sa petite dose matinale de café turc. Il avait jusque-là l’habitude de se faire un espresso, un café obtenu par extraction de vapeur, mais récemment il est passé à un café turc boueux qu’il prépare lui-même et dont il savoure l’odeur en travaillant. Sur Mars, l’atmosphère étant plus ténue, il n’apprécierait pas autant les choses, et rien n’aurait aussi bon goût que ce café du matin. En fait, Mars pourrait être un cauchemar culinaire où tout aurait goût de poussière, en partie parce que ce serait poussiéreux. Enfin, ils s’y feraient. S’ils pouvaient.

— Tu es prêt ?

— Hein ?

Il fourre Tim et son bol de céréales dans le panier de son vélo et suit David à travers le village, jusqu’à l’école. C’est la fin de l’été dans l’hémisphère Nord, la piste cyclable est bordée de fleurs et il y a de jolis nuages cotonneux dans le ciel.

— Si on allait à l’école à bicyclette sur Mars on ne serait pas obligés de pédaler aussi fort, mais on aurait plus froid.

— Sur Vénus, on aurait encore plus froid.

Une cour d’école pleine d’enfants.

— Passe une bonne journée et écoute bien ton professeur.

— Hein ?

Il dépose Tim à la crèche et rentre à la maison à toute vitesse. Là, il rédige une liste de choses à faire, ce qui lui donne l’impression d’être très vertueux et l’aide à surmonter le sentiment initial, profond, qu’il n’arrivera jamais à faire tout ça, ce qui l’aide, en soi, l’amène à penser que ça ne va pas aussi mal qu’il pensait, et lui donne l’idée de plier la liste en forme d’avion en papier puis de l’envoyer dans la corbeille à papiers. Non qu’il faille déduire aucune relation de cause à effet de cette séquence ; les choses s’arrangeront toutes seules. Ou pas.

Il décide qu’avant de se mettre au travail, il va tondre la pelouse. Il ne faut pas attendre que l’herbe vous arrive aux genoux, surtout si on utilise une tondeuse à main, ce qui est son cas, pour des raisons écologiques, esthétiques, athlétiques et psychopathologique. Son voisin lui fait bonjour de la main et il s’arrête net, frappé par une réflexion soudaine.

— Sur Mars, l’herbe coupée volerait des lames de la tondeuse jusqu’au-dessus ma tête ! Il faudrait que je trouve le moyen de traîner le panier derrière moi ! Mais l’herbe ne serait pas aussi verte.

— Ah bon, vous croyez ? demande le voisin.

À l’intérieur, il récupère la liste et coche la rubrique « tondre la pelouse ». Puis il se rue vers son bureau, prêt à écrire. Intense concentration, aussitôt traduite en action. Aussitôt, du moins, que la caféine d’une nouvelle tasse de café noir boueux s’est déversée dans son circuit sanguin. Le premier mot de la journée vient facilement :

The

Évidemment, il se peut que ce ne soit pas le bon mot. Il réfléchit. Le temps s’écoule selon une double hélice de non-temps éternel, dans cette inexprimable bénédiction. Il révise, réécrit, restructure. La phrase augmente, rétrécit, augmente, rerétrécit, change de couleur. Il fait une tentative de vers libres, de sextine, d’équation mathématique, de glossolalie. Pour finir, il en revient à la formulation d’origine, la complexifiant par une nuance additionnelle :

The End

Ça dit bien ce que ça veut dire. Et ça fait deux fois plus de mots que sa production quotidienne normale. L’heure de la séparation est venue.

L’imprimante imprime le tapuscrit du livre pendant qu’il va chercher Tim à la crèche. Rentré chez lui, il change le petit garçon. Ses protestations forment un contrepoint au bourdonnement de l’imprimante dans la chaleur de l’été, à Davis, sur le 37e parallèle. 43 degrés. Près de 110 degrés Fahrenheit, selon l’antique échelle de température utilisée pour plaire aux lecteurs américains du vingtième siècle à qui les degrés Celsius ne disent rien. Sans parler des degrés Kelvin, pourtant si intéressants et si commodes, puisqu’ils partent du zéro absolu, comme s’il pouvait y avoir un autre point de départ. En ce moment précis, à moins d’une erreur de calcul, il fait plus de 300 degrés Kelvin.