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Curzio Malaparte a écrit La Peau en 1947 et 1948. Il est mort en 1957. Il n’a donc pas assisté à l’explosion commerciale de la cosmétique. S’il revenait parmi nous, il serait effaré par l’abondance des crèmes qui se proposent de rendre notre peau plus douce, plus élastique, plus jeune, plus claire, plus mate, plus parfumée, plus glamour, plus résistante. Des crèmes avant, pendant et après le soleil. Avant et après le rasage. Avant et après le bain. Avant, pendant et après l’amour. Avant et après le sommeil. Pour chaque partie du corps, de la tête aux pieds, du nourrisson au vieillard. Triomphe de la peau. On ne vend pas dans les parfumeries, les pharmacies et les supermarchés de crèmes pour l’âme. Non plus dans les églises.

Chaque fois que j’enduis de crème la peau de mon nez pour éviter que le soleil ne le change en poivron rouge, je pense à l’âme de Malaparte.

Amie

Heureux de découvrir que le journaliste et écrivain suisse Jean-Louis Kuffer désigne sa femme ou sa compagne, la mère de ses enfants, sous l’appellation « ma bonne amie ». Son « blog-notes » Riches heures est dédié « à ma bonne amie ». Il écrit, par exemple : « Ma bonne amie ne cesse de m’émouvoir. Elle est essentiellement elle-même. Elle est toujours juste. Toujours elle-même et juste. » On voit bien qu’il n’y a là rien de condescendant, de vieillot ou de douceâtre, et moins encore d’ironique. Jean-Louis Kuffer réhabilite le sens qu’avait au XIXe siècle la « bonne amie », telle que l’entendaient Balzac et Flaubert, à savoir soit la fiancée, soit la maîtresse. Il va plus loin : il en fait sa femme et il lui déclare ainsi son amour.

À propos…

Enfance. Que nous y mettions de la méchanceté quand nous disions d’une petite fille qu’elle était — hou ! hou ! — « la bonne amie » d’un garçon ainsi moqué.

Tandis que les femmes grandissaient d’un ou de deux centimètres par génération, la petite amie remplaçait la bonne amie. Va comprendre, Alexandre !

Amitié

Je suis resté fidèle à mes amis d’enfance. Le pâtissier, le vétérinaire, l’industriel — ils sont depuis longtemps tous les trois à la retraite alors que je leur donne l’impression que je ne le suis pas et ne le serai jamais — habitent loin de Paris. Nous nous voyons peu, davantage avec l’ex-pâtissier, mais nos sentiments ne souffrent ni de l’éloignement ni de l’âge. On se serre la main, on ne s’embrasse pas. À l’époque, entre hommes, ça ne se faisait pas. Si, aujourd’hui, on s’embrassait, nous donnerions l’impression de régulariser nos six vieux couples.

L’infidélité en amitié est inexcusable. Alors qu’en amour… la chair est faible. Il n’y a pas de chair dans l’amitié, il y a surtout des atomes crochus, des neurones, des gestes, des sourires, des rires, du verbe, des élans du cœur. La table est à l’amitié ce que le lit est à l’amour. La petite bouffe entre copains, le vin des copains. Ils sont justement là, les copains, pour réconforter celui d’entre eux qui souffre d’un chagrin d’amour.

Pourquoi, analogue à l’expression « faire l’amour », n’existe-t-il pas l’expression « faire l’amitié » ? On fait l’amitié tantôt chez l’un tantôt chez l’autre. Et surtout au restaurant. Nous étions sept membres du PC (Pour la Croûte) ou du PCPC (Pour la Croûte Pas Chère), nous ne sommes plus que cinq. Depuis vingt-cinq ans, je suis membre du Club des Cent. La camaraderie s’y entretient autour des meilleures tables de Paris et, de temps en temps, de province et de l’étranger. Un seul de mes amis, le dentiste, ne boit pas de vin. La passion partagée du football se substitue à ma soif. Ou alors je bois deux fois plus avec mon ami le coiffeur.

C’est avec un ex-éditeur de littérature générale, mon cadet, que j’ai le plus d’affinités et de complicité. Les livres, la musique, la pêche, le vin, la bouffe. Ensemble, nous sommes toujours très bien. Ô les beaux jours dans sa splendide maison du Luberon ! Souvent, nous partons en couples au festival de piano de La Roque-d’Anthéron. Quand, à Paris, nous déjeunons ou dînons en tête-à-tête, il est rare que nous n’échangions pas nos points de vue sur l’amour et sur les femmes. Son jugement est moins nuancé que le mien, mais je crois qu’il tire de son expérience une connaissance plus clairvoyante que la mienne.

Je fais l’amitié avec un autre ex-éditeur, celui-ci de livres d’art et de beaux livres, d’une dizaine d’années mon aîné. Par sa générosité, son attention, sa disponibilité, son humour, son affectueuse inquiétude pour la santé et le moral des autres, c’est un homme d’une qualité exceptionnelle — et quand j’écris l’adjectif exceptionnel ce n’est pas par facilité ou excès de sentimentalité, c’est parce que tout dans sa vie, dans son comportement, dans son caractère indique que ce genre d’homme n’a été tiré qu’à quelques exemplaires.

Enfin, jeune journaliste au Figaro littéraire, j’eus pour ami intime le secrétaire général de la rédaction, comme moi lyonnais, qui avait l’âge d’être mon père. Sa passion des jeux de cartes ne l’entraînait pas au tutoiement. Avec lui, la gentillesse, mot banal, usé, reprenait de l’éclat. Sa culture, ses conseils, ses encouragements, ses marques d’intérêt pour ma personne encore flottante m’ont donné confiance. Jean Sénard mourut d’un cancer foudroyant à l’âge de cinquante-trois ans. Ce fut le premier être dont j’ai pleuré, oui, pleuré, et longtemps pleuré, la disparition.

Jean Hamelin, qui fut directeur du Figaro avant de se reconvertir à Montargis dans la distribution de la presse, prit le relais de Jean Sénard. Il me botta les fesses parce que, selon lui, je ne fichais rien. Il devint fier de mes succès comme j’étais fier de son amitié. Il me restait des larmes quand, à mon dernier coup de téléphone, je compris qu’il allait mourir.

Guy Frély était de ces hommes d’affaires qui avaient le talent d’enrichir leurs patrons et d’oublier leurs qualités de gestionnaires quand ils géraient leurs propres portefeuilles. Il est vrai qu’il était pour sa famille et pour ses amis d’une folle générosité. Toute sa vie il aura infirmé la réputation d’économes et même de grippe-sous des Lyonnais. En 1958, dans une des premières DS — il l’avait choisie de couleur jaune ! — , nous devions partir ensemble en Suède pour suivre des matches de la Coupe du monde de football et pour vérifier sur place si la liberté de mœurs des jeunes Suédoises était réelle. Une crise de rhumatismes infectieux me cloua au lit. Il ne partit pas sans moi. Il y a quelques mois, il est parti seul pour, je l’espère, un pays où, enfin épargnant, il attend ceux qu’il aimait sur terre pour leur prodiguer sans risque des marques perpétuelles de sa générosité.

> Dollar

À propos…

J’ai fait le portrait de l’ami Pierre Perret dans le Dictionnaire amoureux du vin. La plupart des femmes de mes amis sont mes amies, et il en est que j’affectionne beaucoup. J’évoque mes amis écrivains et journalistes dans Écrivain (2).