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Dans l’amour des chats la part de sensualité est considérable. Les caresser sans fin, enfoncer les doigts dans leur poil, prendre à pleine pogne la peau et sa fourrure, leur gratter le dessus du crâne, leur frictionner les oreilles — ce qui provoque chez eux un mouvement de tête impulsif de jouissance, parfois accompagné de bave —, leur tripoter le dessous du menton et le cou, leur prodiguer mille attouchements et câlineries, tout cela procure beaucoup de plaisir aux mains baladeuses des maîtres-amis-masseurs-amoureux-esclaves des chats.

Quand on est soi-même chat entre des mains expertes… Nous voici dans l’érotisme, et ce ne serait pas une bonne sortie pour cette entrée. Restons dans la sensualité avec la shampouineuse qui, professionnelle rémunérée, me gratouille la tête tantôt avec rudesse, tantôt avec douceur. Ô béatitude ! Ô félicité ! Même le séchage des cheveux avec une serviette, c’est bon. Je bénis le ciel quand le coiffeur est en retard et que, pour me faire patienter, elle prolonge son travail par des massages du crâne, des tempes et de la nuque. Le pourboire sera en conséquence.

Sérénité

Comme je n’en ai guère, la sérénité est la qualité que j’admire et que j’envie le plus. Non pas la sérénité de ceux qui, irradiés par la foi, se sont retirés du monde ou s’y soustraient le plus possible pour dialoguer avec le silence. Mais la sérénité des battants, des vifs, des militants, des fonceurs, ou celle, plus discrète, de la multitude de femmes et d’hommes qui mènent une existence banale et qui vieillissent en réagissant avec équanimité aux petits bonheurs et aux gros chagrins.

On peut être agité intérieurement par des tempêtes et montrer un visage serein. Cela ne trompe pas longtemps. La quiétude jouée est à terme insoutenable. On est trahi par ses nerfs, par ses absences, par ses regards dans le vide, par des rires qui résonnent comme de fausses notes. La vraie sérénité se lit dans les yeux comme une page d’un livre de sagesse. Elle est impressionnante. Elle est éblouissante. Elle est rassurante. On a envie de toucher, de caresser un visage réellement serein.

On est d’autant plus impressionné quand on sait que la personne — ainsi une amie de longue date — a souffert dans sa chair et dans son cœur. Les coups durs ne l’ont pas épargnée. Elle en a bavé. L’indifférence, le fatalisme, la résignation, elle ne connaît pas. Elle a lutté. Elle s’est défendue. Elle a dû céder, il est probable, à des moments de colère ou d’accablement. Mais, très vite, mue par une paix qui vient de l’âme, de la méditation, et que l’expérience a fortifiée, elle a recouvré cette sérénité qui, dût-elle vivre jusqu’à cent ans, sera toujours pour elle une rente de beauté.

Tout compte fait, c’est à la télévision que j’aurai été réellement le plus serein. J’y affichais un calme, une maîtrise qui découlaient de mes responsabilités publiques et d’un travail intense de préparation. J’évoque ailleurs mon sang-froid sur le petit écran.

Dans la vie de tous les jours, une contrariété m’agace, une promesse non tenue me fâche, mes étourderies et mes maladresses me déstabilisent. J’ai toujours eu la volonté de me dominer, de prendre sur moi — j’y parviens, parfois —, mais, trop souvent, même si je n’en laisse rien paraître, quelque chose en moi se délite. Et, quand il s’agit de douleurs profondes, c’est la débâcle. Je suis incapable de retenir mes larmes. Les rares fois où j’ai accepté de prendre la parole au cours d’obsèques, des sanglots impossibles à refouler ont empêché l’assistance de comprendre ce que je disais.

Je ne mourrai pas dans la sérénité. Et, peut-être, cette fois sans embarrasser personne, dans mon cercueil, verserai-je pendant la cérémonie quelques larmes posthumes.

> Trac

Souris

Quand on voit une souris, une autre n’est pas loin. C’est pourquoi, dans sa subtile sagesse, la langue française a fait de souris un nom féminin portant toujours la marque du pluriel.

Un jour, j’en aperçus deux qui se faufilaient le long des plinthes des murs du salon. C’était à une période de ma vie où je poussais le détachement jusqu’à me priver de chats. J’achetai dès le lendemain des tapettes et du gruyère.

« Prenez de l’emmental, me dit le fromager. Les souris le préfèrent au comté.

— Je sais pourquoi, dis-je. Les souris raffolent des trous. »

Dès potron-minet, je me précipitai dans le salon pour relever le tableau de chasse. Pas de souris, plus de gruyère ! Il en fut de même les matins suivants, alors que je m’ingéniais, chaque soir, à varier la grosseur des morceaux de fromage.

Étais-je tombé sur une nichée de souris particulièrement futées ? Pour ne pas vivre idiots au milieu des montagnes de livres, les chats des écrivains et des critiques littéraires ont appris à lire. Pourquoi pas aussi leurs souris ? Les miennes auraient-elles lu la notice des tapettes ?

Je voulus savoir comment elles s’y prenaient pour me berner. Un soir, j’installai un piège fourré d’un morceau d’emmental très goûteux dans une clarté crépusculaire, avec cependant assez de lumière pour que, du fauteuil où je faisais le guet, je puisse assister à leurs manigances. Bien sûr, l’attente fut longue. Quand je me réveillai, je constatai qu’une souris s’était encore nourrie à mes dépens. J’étais Tom, elle était Jerry. Elle m’avait une nouvelle fois fait la nique.

Je suis à peine plus habile à ferrer le poisson ou à décortiquer la langouste. Quand je monte une tente ou un meuble Ikea, ils s’effondrent avant la fin. Avec un marteau et des clous, je risque ma vie et, s’il y a des imprudents, celle des autres. Pourquoi mes doigts, qui ne sont pas des boudins, sont-ils aussi empotés ? Le responsable est plutôt mon cerveau : il ne transmet pas à mes mains des ordres justes ou des conseils judicieux. Y a-t-il chez les animaux la même proportion de maladroits que chez les humains ? A-t-on vu des lapins rater le creusement de leur terrier ou des hirondelles foirer leur nid ?

Cependant, pour attraper une souris avec une tapette, nul besoin d’être un orfèvre en bricolage. Ou d’avoir fait une école du génie. La disposition du fromage ne nécessite pas des visées, des calculs, des ajustements, un savoir-faire de trappeur de l’Alaska. Ça marche avec n’importe qui. Pas avec moi. Ni avec quelques autres infortunés du b.a.-ba de la technique. Il est probable que les outils sentent que nous sommes nuls. Ils ne nous aiment pas. Alors, ils prennent le parti de l’adversaire : la pince, celui de la langouste, le piquet, de la tente, le marteau, du mur. Et la tapette, de la souris.

À propos…

« Sa vie de petite souris effrayée… » (Pedigree) ; « Toute ta vie, tu as trottiné comme une petite souris » (Lettre à ma mère). Georges Simenon a toujours comparé sa mère — ils n’ont jamais eu l’un pour l’autre d’affection, encore moins d’amour — à une souris.

Tache

La tache, altération colorée d’une surface, et la tâche, le travail, n’ont pas la même origine étymologique. L’accent circonflexe permet de les distinguer l’une de l’autre. Il y aurait moins de confusion si cet accent, comme un pâté, comme une éclaboussure, comme un rajout, s’appliquait symboliquement à ce qui modifie l’apparence des choses plutôt qu’à la besogne. Il eût été plus logique d’écrire des tâches de rousseur, des tâches de vin, la tâche originelle… Mais l’usage en a décidé autrement. La tache est sans tache.

Autrefois, on disait des jeunes enfants que la mort venait de frapper qu’ils étaient au ciel puisque leur âme était innocente, pure, sans tache. Jésus-Christ était représenté comme l’« Agneau sans tache ». Combien de réprimandes maternelles — « savons » serait plus en situation — pour des taches sur la chemise, le pull ou le pantalon ? On n’avait pas encore découvert les poudres de lessive qui lavent plus blanc que blanc. Puis il y eut les taches sur les cravates et sur les réputations.