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Béragnon

> Têtière

Bibeloteur

L’amateur de bibelots. Il les recherche, les marchande, les achète et les collectionne. Le bibeloteur aime faire les puces. Edmond de Goncourt : « Ce sont certainement ces vieux dimanches qui ont fait de moi le bibeloteur que j’ai été, que je suis, que je serai toute ma vie » (La Maison d’un artiste).

Bibeloteur est devenu lui-même un mot-bibelot, quasiment introuvable. De même aura-t-on du mal à dénicher chez les brocanteurs du vocabulaire ces jolies babioles que sont bibeloter, bibelotage, bibeloterie et, variante de bibeloteur, bibelotier.

Bibliothécaire

Je m’appelle Ina Coolbrith. Je suis une poétesse californienne. J’étais bibliothécaire à Oakland, ville portuaire proche de San Francisco. J’ai bien connu Jack London, quand il avait dix ans, à peu près. C’était un petit garçon fou de lecture. Toujours fourré à la bibliothèque. Je l’encourageais et lui conseillais des romans d’aventures, des récits de voyages, des sagas. Il dévorait tous les livres qui lui tombaient sous la main.

En décembre 1906 — il était déjà un écrivain célèbre, il venait de publier Croc-Blanc —, j’ai reçu de lui une lettre qui m’a bouleversée. D’abord, parce qu’il n’avait pas oublié la bibliothécaire de son enfance et qu’il avait pris le temps et la peine de lui écrire. Ensuite, parce que ce qu’il me disait était aussi tendre que généreux, alors que la vie dans ses jeunes années ne se montrait envers lui ni tendre ni généreuse.

Cette lettre est pour moi un trésor. Vous allez comprendre pourquoi :

« Le bon vieux temps de la bibliothèque d’Oakland ! Vous savez, vous avez été la première à me complimenter sur le choix de mes lectures. Personne, à la maison, ne se souciait de ce que je pouvais bien lire. J’étais un petit garçon enthousiaste, affamé, assoiffé — et un jour, à la bibliothèque, j’ai pris un volume de Pizarre au Pérou (j’avais dix ans). Vous avez pris le livre et l’avez tamponné. Et en me le rendant, vous m’avez félicité de lire des choses de cette nature. J’étais fier !

Si vous saviez à quel point vos mots m’ont rendu fier. Je vous dois beaucoup. Vous étiez une déesse pour moi. Je ne savais pas que vous étiez poète, ou que vous faisiez quelque chose d’aussi merveilleux que d’écrire une ligne. Je vivais dans un ranch, voyez-vous. Mais j’éprouvais une crainte mêlée de respect pour vous — comme un culte. À l’époque, je surnommais les gens avec des adjectifs. Et je vous ai appelée “Noble”.

(…) Aucune femme n’a eu sur moi une aussi grande influence. Je n’étais qu’un gamin. Je ne savais absolument rien de vous. Et pourtant, après toutes ces années, je n’ai jamais rencontré de femme aussi noble que vous » (lettre citée par Jennifer Lesieur, Jack London).

Moi, Ina Coolbrith, n’ai-je pas reçu, signée d’un très grand écrivain, la lettre que tous et toutes les bibliothécaires du monde rêvent de recevoir un jour pour prix de leur amour des livres ?

Brouillard

Au même titre que Guignol, le jeu de boules, la soierie, les traboules et les sociétés secrètes, le brouillard fait partie de la mythologie lyonnaise. Mais, quoique le Rhône et la Saône traversent toujours la ville, il n’est plus aussi épais et fréquent qu’autrefois. En 1955, déjà, Jean Reverzy (Le Passage, Place des angoisses) se demandait où étaient les brumes d’antan. Elles avaient inspiré à Claude Le Marguet Myrelingues la Brumeuse, à Gabriel Chevallier Brumerives. Ce roman-ci commençait par une description de Lyon, une nuit de 1930, la ville étant recouverte d’« une suffocante épaisseur de brouillard (…). Tout semblait se défaire dans une ouate impalpable, transperçante d’humidité, qui étouffait les sons et vous assassinait les bronches ».

J’avais dix-sept ans et j’étais amoureux d’une jeune fille de Villeurbanne à qui ses parents défendaient de me rencontrer. Je ne la visitais donc que de loin. Quand les horaires du lycée me le permettaient, je prenais le tram pour me poster dans sa rue et guetter le moment où elle sortirait de chez elle. Le plus souvent, elle restait dans l’ignorance de ma présence. Le danger d’être surpris et le plaisir de l’apercevoir me faisaient battre un peu plus fort le palpitant. Le brouillard me permettait d’audacieuses avancées, mais l’image qu’il me donnait à voir de ma bien-aimée était floutée.

Un matin, le brouillard était semblable à celui que Gabriel Chevallier décrit. Le tramway avait roulé au pas, le conducteur actionnant en permanence son avertisseur. On n’y voyait que couic. Je m’étais carrément posté sur le trottoir d’en face. À sa porte même, impossible, au cas où son père l’aurait accompagnée au lycée. Je ne doutais pas que mes yeux, stimulés, aiguisés par un sentiment très fort, bien au-dessus des conditions météorologiques, parviendraient à percer le mur de coton sale. Mais il était si dense qu’il ne laissait passer aucun bruit. Je n’entendis ni ne vis la porte s’ouvrir. Fantôme parmi les fantômes, elle entra à mon insu dans le brouillard et s’y perdit…

Ainsi sommes-nous souvent empêchés par les circonstances d’attacher notre regard à ce que nous aimons. Des passants s’interposent, des voitures, un train, de la buée sur une fenêtre ou sur nos lunettes, un soleil aveuglant, de la brume, du brouillard… Le roman de Félicien Marceau Les Élans du cœur se termine sur une inopportunité tout aussi naturelle et fâcheuse. Le cœur en écharpe, la jolie Denise reste enfermée dans sa chambre. Un garçon amoureux rôde à la lisière du petit bois, tous les jeudis, parfois le dimanche. On l’appelle Rimbaud. Il regarde la maison, il scrute la fenêtre de la chambre. C’est le printemps. Chaque semaine les herbes sont plus hautes, les arbres plus fleuris. Un jour, Rimbaud n’aperçoit plus rien. La maison et Denise ont disparu derrière le feuillage.

À propos…

La fête des Lumières (chaque année le 8 décembre), à l’origine manifestation de piété et d’actions de grâce, maintenant joyeuse kermesse culturelle, commerciale et touristique, n’a-t-elle pas été une réponse, un défi du subconscient de la ville de Lyon au brouillard ?

> Flouter

Ça

Ça n’a l’air de rien. On emploie ce pronom démonstratif de deux lettres sans y penser, presque machinalement. Qui ça ? Où ça ? Ça va ? Ça roule ? Ça marche ? Ça biche ? Ça urge ! Ça me démange ! Ça sent quoi ? Comment ça se présente ? À part ça ? Oh ! pour ça…

Mon premier ça fut professionnel. Dans l’épicerie de mes parents où j’étais un vendeur intermittent du jeudi et du dimanche matin, je demandais aux clientes, après une première vente : « Et avec ça, madame ? »

Contraction de cela, ça est pratique et populaire. Ça va, ça vient… Il est tellement commode, pour ne pas dire complaisant, qu’on lui a confié l’acte sexuel. À quoi rêvent les ados ? À ça. Je ne pense qu’à ça, titre d’un album de Wolinski. Peut-on résumer plus brièvement une activité à laquelle la tradition française du cinq à sept attribue deux heures de temps ?

Ça, c’est aussi, dans la bouche des polémistes ou sous la plume des écrivains, un mot terrible chargé d’ironie, de dédain ou de mépris. Ça, c’est-à-dire pas grand-chose, trois fois rien.