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– Mais un couteau au moins, que je me tue!… un couteau!!! puisque tout le monde m’abandonne…, cria le misérable en se mordant les poings avec une furie sauvage.

– Un couteau? Tu en as un dans ta poche, Fourline, et qui a le fil. Le petit vieux de la rue du Roule et le marchand de bœufs ont dû en aller dire de bonnes nouvelles aux taupes.

Le Maître d’école, ainsi mis en demeure de s’exécuter, changea de conversation et reprit d’une voix sourde et lâche:

– Le Chourineur était bon, lui… il ne m’a pas volé, il a eu pitié de moi.

– Pourquoi m’as-tu dit que j’avais grinchi ton orient [16]! reprit la Chouette en contenant à peine son envie de rire.

– Toi seule tu es entrée dans ma chambre, dit le brigand; on m’a volé la nuit de ton arrivée, qui veux-tu que je soupçonne? Ces paysans étaient incapables de cela.

– Pourquoi donc qu’ils ne grinchiraient pas comme d’autres, les paysans? Parce qu’ils boivent du lait et qu’ils vont à l’herbe pour leurs lapins?

– Enfin on m’a volé, toujours.

– Est-ce que c’est la faute de ta Chouette? Ah çà, voyons, penses-y donc! Est-ce que, si j’avais effarouché ta nature, je serais restée avec toi après le coup? Es-tu bête! Bien sûr que je te l’aurais rincé ton argent, si je l’avais pu; mais, foi de Chouette, tu m’aurais revue quand l’argent aurait été mangé parce que tu me plais tout de même avec tes yeux blancs, brigand! Voyons, sois donc gentil, ne t’ébrèche pas comme ça tes quenottes en les grinçant.

– On croirait qu’il casse des noix! dit Tortillard.

– Ah! ah! ah! il a raison, le môme. Voyons, calme-toi, mon homme, et laisse-le rire, c’est de son âge! Mais avoue que t’es pas juste: quand le grand homme en deuil, qui a l’air d’un croque-mort, m’a dit: «Il y a mille francs pour vous si vous enlevez une jeune fille qui est dans la ferme de Bouqueval, et si vous l’amenez à un endroit de la plaine Saint-Denis que je vous indiquerai», réponds, Fourline, est-ce que je ne t’ai pas tout de suite proposé d’être du coup, au lieu de choisir quelqu’un qui aurait vu clair? C’est donc comme qui dirait l’aumône que je te fais. Car, excepté pour tenir la petite pendant que nous l’embaluchonnerons avec Tortillard, tu me serviras comme une cinquième roue à un omnibus. Mais, c’est égal, à part que je t’aurais volé si j’avais pu, j’aime à te faire du bien. Je veux que tu doives tout à ta Chouette chérie; c’est mon genre, à moi!! Nous donnerons deux cents balles à Barbillon pour avoir conduit la voiture et être venu ici une fois, avec un domestique du grand monsieur en deuil, reconnaître l’endroit où il fallait nous cacher pour attendre la petite… et il nous restera huit cents balles à nous deux pour nocer. Qu’est-ce que tu dis de ça! Eh bien! es-tu encore fâché contre ta vieille?

– Qui m’assure que tu me donneras quelque chose, une fois le coup fait? dit le brigand avec une sombre défiance.

– Je pourrais ne te rien donner du tout, c’est vrai, car tu es dans ma poêle, mon homme, comme autrefois la Goualeuse. Faut donc te laisser frire à mon idée, en attendant qu’à son tour le boulanger t’enfourne, eh! eh! eh!… Eh bien! Fourline, est-ce que tu boudes toujours ta Chouette? ajouta la borgnesse en frappant sur l’épaule du brigand, qui restait muet et accablé.

– Tu as raison, dit-il avec un soupir de rage concentrée; c’est mon sort. Moi! moi! à la merci d’un enfant et d’une femme qu’autrefois j’aurais tués d’un souffle! Oh! si je n’avais pas si peur de la mort! dit-il en retombant assis sur le talus.

– Es-tu poltron, maintenant! es-tu poltron! dit la Chouette avec mépris. Parle donc tout de suite de ta muette [17], ça sera plus farce. Tiens, si tu n’as pas plus de courage que ça, je prends de l’air et je te lâche.

– Et ne pouvoir me venger de cet homme qui, en me martyrisant ainsi, m’a mis dans l’affreuse position où je me trouve et dont je ne sortirai jamais! s’écria le Maître d’école dans un redoublement de rage. Oh! j’ai bien peur de la mort! oui… j’en ai bien peur; mais on me dirait: «On va te le donner entre tes deux bras, cet homme… entre tes deux bras… puis après on vous jettera dans un abîme»; je dirais: «Qu’on m’y jette… oui»; car je serais bien sûr de ne pas le lâcher avant d’arriver au fond avec lui. Et pendant que nous roulerions tous les deux, je le mordrais au visage, à la gorge, au cœur; je le tuerais avec mes dents, enfin! Je serais jaloux d’un couteau!

– À la bonne heure, Fourline, voilà comme je t’aime. Sois calme… nous le retrouverons, ce gueux de Rodolphe, et le Chourineur aussi. En sortant de l’hôpital, j’ai été rôder allée des Veuves… tout était fermé. Mais j’ai dit au grand monsieur en deuiclass="underline" «Dans le temps, vous vouliez nous payer pour faire quelque chose à ce monstre de M. Rodolphe; est-ce qu’après l’affaire de la jeune fille que nous attendons, il n’y aurait pas à monter un coup contre lui? – Peut-être…» m’a-t-il répondu. Entends-tu, Fourline? Peut-être… Courage, mon homme! nous en mangerons, du Rodolphe; c’est moi qui te le dis, nous en mangerons!

– Bien vrai, tu ne m’abandonneras pas? dit le brigand à la Chouette d’un ton soumis mais défiant. Maintenant, si tu m’abandonnais, qu’est-ce que je deviendrais?

– Ça, c’est vrai. Dis donc, Fourline, quelle farce si nous deux Tortillard, nous nous esbignions avec la voiture, et que nous te laissions là, au milieu des champs, par cette nuit où le froid va pincer dur! C’est ça qui serait drôle, hein, brigand?

À cette menace, le Maître d’école frémit; il se rapprocha de la Chouette et lui dit en tremblant:

– Non, non, tu ne feras pas ça, la Chouette… ni toi non plus, Tortillard… ça serait trop méchant.

– Ah! ah! ah! trop méchant… est-il simple! Et le petit vieux de la rue du Roule! et le marchand de bœufs! et la femme du canal Saint-Martin! et le monsieur de l’allée des Veuves! Est-ce que tu crois qu’ils t’ont trouvé caressant, avec ton grand couteau? Pourquoi donc qu’à ton tour on ne te ferait pas de farce?

– Eh bien! je l’avouerai, dit sourdement le Maître d’école; voyons, j’ai eu tort de te soupçonner, j’ai eu tort aussi de vouloir battre Tortillard: je t’en demande pardon, entends-tu… et à toi aussi, Tortillard… oui, je vous demande pardon à tous deux.

– Moi, je veux qu’il demande pardon à genoux d’avoir voulu battre la Chouette, dit Tortillard.

– Gueux de momacque! Est-il amusant! dit la Chouette en riant; il me donne pourtant envie de voir quelle frimousse tu feras comme ça, mon homme. Allons, à genoux, comme si tu jaspinais d’amour à ta Chouette; dépêche-toi, ou nous te lâchons; et, je t’en préviens, dans une demi-heure il fera nuit.

– Nuit ou jour qu’est-ce que ça lui fait? dit Tortillard en goguenardant. Ce monsieur garde toujours ses volets fermés, il a peur de gâter son teint.

– Me voici à genoux. Je te demande pardon, la Chouette… et à toi aussi, Tortillard. Eh bien! êtes-vous contents? dit le brigand en s’agenouillant au milieu du chemin. Maintenant, vous ne m’abandonnerez pas, dites?

Ce groupe étrange, encadré dans les talus du ravin, éclairé par les lueurs rougeâtres du crépuscule, était hideux à voir.