Выбрать главу

Pendant la scène que nous venons de raconter, Mlle de Fermont, toujours évanouie, était restée livrée aux soins empressés de Clémence et des deux religieuses; l’une d’elles soutenait la tête pâle et appesantie de la jeune fille, pendant que Mme d’Harville, penchée sur le lit, essuyait avec son mouchoir la sueur glacée qui inondait le front de la malade.

Profondément ému, M. de Saint-Remy contemplait ce tableau touchant, lorsqu’une funeste pensée lui traversant tout à coup l’esprit, il s’approcha de Clémence et lui dit à voix basse:

– Et la mère de cette infortunée, madame?

La marquise se retourna vers M. de Saint-Remy et lui répondit avec une tristesse navrante:

– Cette enfant… n’a plus de mère… monsieur.

– Grand Dieu!… morte!!!

– J’ai appris seulement hier soir, à mon retour, l’adresse de Mme de Fermont… et son état désespéré. À une heure du matin, j’étais chez elle avec mon médecin. Ah! monsieur!… quel tableau!… La misère dans toute son horreur… et aucun espoir de sauver cette pauvre mère expirante!

– Oh! que son agonie a dû être affreuse, si la pensée de sa fille lui était présente!

– Son dernier mot a été: «Ma fille!»

– Quelle mort… mon Dieu!… Elle, mère si tendre, si dévouée. C’est épouvantable!

Une des religieuses vint interrompre l’entretien de M. de Saint-Remy et de Mme d’Harville, en disant à celle-ci:

– La jeune demoiselle est bien faible… elle entend à peine; tout à l’heure peut-être elle reprendra un peu de connaissance… cette secousse l’a brisée. Si vous ne craigniez pas, madame, de rester là… en attendant que la malade revienne tout à fait à elle, je vous offrirais ma chaise.

– Donnez… donnez, dit Clémence en s’asseyant auprès du lit; je ne quitterai pas Mlle de Fermont; je veux qu’elle voie au moins une figure amie lorsqu’elle ouvrira les yeux… ensuite je l’emmènerai avec moi, puisque le médecin trouve heureusement qu’on peut la transporter sans danger.

– Ah! madame, soyez bénie pour le bien que vous faites, dit M. de Saint-Remy; mais pardonnez-moi de ne pas vous avoir encore dit mon nom; tant de chagrins tant d’émotions… Je suis le comte de Saint-Remy, madame… le mari de Mme de Fermont était mon ami le plus intime. J’habitais à Angers… J’ai quitté cette ville dans mon inquiétude de ne recevoir aucune nouvelle de ces deux nobles et dignes femmes; elles avaient jusqu’alors habité cette ville, et on les disait complètement ruinées: leur position était d’autant plus pénible que jusqu’alors elles avaient vécu dans l’aisance.

– Ah! monsieur… vous ne savez pas tout… Mme de Fermont a été indignement dépouillée.

– Par son notaire, peut-être? Un moment j’en avais eu le soupçon.

– Cet homme était un monstre, monsieur. Hélas! ce crime n’est pas le seul qu’il ait commis. Mais heureusement, dit Clémence avec exaltation en songeant à Rodolphe, un génie providentiel en a fait justice, et j’ai pu fermer les yeux de Mme de Fermont en la rassurant sur l’avenir de sa fille. Sa mort a été ainsi moins cruelle.

– Je le comprends; sachant à sa fille un appui tel que le vôtre, madame, ma pauvre amie a dû mourir plus tranquille…

– Non-seulement mon vif intérêt est à tout jamais acquis à Mlle de Fermont… mais sa fortune lui sera rendue…

– Sa fortune!… Comment? Le notaire…?

– A été forcé de restituer la somme… qu’il s’était appropriée par un crime horrible…

– Un crime?…

– Cet homme avait assassiné le frère de Mme de Fermont pour faire croire que ce malheureux s’était suicidé après avoir dissipé la fortune de sa sœur…

– C’est horrible! mais c’est à n’y pas croire… et pourtant, par suite de mes soupçons sur le notaire, j’avais conservé de vagues doutes sur la réalité de ce suicide… car Renneville était l’honneur, la loyauté même. Et la somme que le notaire a restituée…?

– … Est déposée chez un prêtre vénérable, M. le curé de Bonne-Nouvelle; elle sera remise à Mlle de Fermont.

– Cette restitution ne suffit pas à la justice des hommes, madame! L’échafaud réclame ce notaire… car il n’a pas commis un meurtre, mais deux meurtres… La mort de Mme de Fermont, les souffrances que sa fille endure sur ce lit d’hôpital, ont été causées par l’infâme abus de confiance de ce misérable!

– Et ce misérable a commis un autre meurtre aussi affreux, aussi atrocement combiné.

– Que dites-vous, madame?

– S’il s’est défait du frère de Mme de Fermont par un prétendu suicide, afin de s’assurer l’impunité, il y a peu de jours il s’est défait d’une malheureuse jeune fille qu’il avait intérêt à perdre en la faisant noyer… certain qu’on attribuerait cette mort à un accident.

M. de Saint-Remy tressaillit, regarda Mme d’Harville avec surprise en songeant à Fleur-de-Marie et s’écria:

– Ah! mon Dieu, madame, quel étrange rapport!…

– Qu’avez-vous, monsieur?

– Cette jeune fille! où a-t-il voulu la noyer?

– Dans la Seine… près d’Asnières, m’a-t-on dit…

– C’est elle! c’est elle! s’écria M. de Saint-Remy.

– De qui parlez-vous, monsieur?

– De la jeune fille que ce monstre avait intérêt à perdre…

– Fleur-de-Marie!!!

– Vous la connaissez, madame?

– Pauvre enfant… je l’aimais tendrement… Ah! si vous saviez, monsieur, combien elle était belle et touchante… Mais comment se fait-il?…

– Le docteur Griffon et moi nous lui avons donné les premiers secours…

– Les premiers secours? À elle? Et où cela?

– À l’île du Ravageur… quand on l’a eu sauvée…

– Sauvée, Fleur-de-Marie… sauvée?

– Par une brave créature qui, au risque de sa vie, l’a retirée de la Seine… Mais qu’avez-vous, madame?

– Ah! monsieur, je n’ose croire encore à tant de bonheur… mais je crains encore d’être dupe d’une erreur… Je vous en supplie, dites-moi, cette jeune fille… comment est-elle?

– D’une admirable beauté… une figure d’ange.

– De grands yeux bleus… des cheveux blonds?

– Oui, madame.

– Et quand on l’a noyée… elle était avec une femme âgée.

– En effet, depuis hier seulement qu’elle a pu parler (car elle est encore bien faible), elle nous a dit cette circonstance… Une femme âgée l’accompagnait.

– Dieu soit béni! s’écria Clémence en joignant les mains avec ferveur, je pourrai lui apprendre que sa protégée vit encore [12]. Quelle joie pour lui, qui dans sa dernière lettre me parlait de cette pauvre enfant avec des regrets si pénibles!… Pardon, monsieur! mais si vous saviez combien ce que vous m’apprenez me rend heureuse… et pour moi, et pour une personne… qui, plus que moi encore, a aimé et protégé Fleur-de-Marie! Mais, de grâce, à cette heure… où est-elle?