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– Près d’Asnières… dans la maison de l’un des médecins de cet hôpital… le docteur Griffon, qui, malgré des travers que je déplore, a d’excellentes qualités… car c’est chez lui que Fleur-de-Marie a été transportée; et depuis il lui a prodigué les soins les plus constants.

– Et elle est hors de tout danger?

– Oui, madame, depuis deux ou trois jours seulement. Et aujourd’hui on lui permettra d’écrire à ses protecteurs.

– Oh! c’est moi, monsieur… c’est moi qui me chargerai de ce soin… ou plutôt c’est moi qui aurai la joie de la conduire auprès de ceux qui, la croyant morte, la regrettent si amèrement.

– Je comprends ces regrets, madame… car il est impossible de connaître Fleur-de-Marie sans rester sous le charme de cette angélique créature: sa grâce et sa douceur exercent sur tous ceux qui l’approchent un empire indéfinissable… La femme qui l’a sauvée, et qui depuis l’a veillée jour et nuit comme elle aurait veillé son enfant, est une personne courageuse et dévouée, mais d’un caractère si habituellement emporté qu’on l’a surnommée la Louve… jugez! Eh bien! un mot de Fleur-de-Marie la bouleverse… Je l’ai vue sangloter, pousser des cris de désespoir, lorsque ensuite d’une crise fâcheuse le docteur Griffon avait presque désespéré de la vie de Fleur-de-Marie.

– Cela ne m’étonne pas… je connais la Louve.

– Vous, madame? dit M. de Saint-Remy surpris, vous connaissez la Louve [13]?

– En effet, cela doit vous étonner, monsieur, dit la marquise en souriant doucement; car Clémence était heureuse… oh! bien heureuse… en songeant à la douce surprise qu’elle ménageait au prince.

Quel eût été son enivrement si elle avait su que c’était une fille qu’il croyait morte… qu’elle allait ramener à Rodolphe!…

– Ah! monsieur, dit-elle à M. de Saint-Remy, ce jour est si beau… pour moi… que je voudrais qu’il le fût aussi pour d’autres; il me semble qu’il doit y avoir ici bien des infortunes honnêtes à soulager, ce serait une digne manière de célébrer l’excellente nouvelle que vous me donnez.

Puis, s’adressant à la religieuse qui venait de faire boire quelques cuillerées d’une potion à Mlle de Fermont:

– Eh bien!… ma sœur, reprend-elle ses sens?

– Pas encore… madame… elle est si faible. Pauvre demoiselle! À peine si l’on sent les battements de son pouls.

– J’attendrai pour l’emmener qu’elle soit en état d’être transportée dans ma voiture… Mais, dites-moi, ma sœur, parmi toutes ces malheureuses malades, n’en connaîtriez-vous pas qui méritassent particulièrement l’intérêt et la pitié, et à qui je pourrais être utile avant de quitter cet hospice?

– Ah! madame… c’est Dieu qui vous envoie…, dit la sœur; il y a là, ajouta-t-elle en montrant le lit de la sœur de Pique-Vinaigre, une pauvre femme très-malade et très à plaindre: elle n’est entrée ici qu’à bout de ses forces; elle se désole sans cesse parce qu’elle a été obligée d’abandonner deux petits enfants qui n’ont qu’elle au monde pour soutien. Elle disait tout à l’heure à M. le docteur qu’elle voulait sortir, guérie ou non, dans huit jours, parce que ses voisins lui avaient promis de garder ses enfants seulement une semaine… et qu’après ce temps ils ne pourraient plus s’en charger.

– Conduisez-moi à son lit, je vous prie, ma sœur, dit Mme d’Harville en se levant et en suivant la religieuse.

Jeanne Duport, à peine remise de la crise violente que lui avaient causée les investigations du docteur Griffon, ne s’était pas aperçue de l’entrée de Clémence d’Harville dans la salle de l’hospice.

Quel fut son étonnement lorsque la marquise, soulevant les rideaux de son lit, lui dit, en attachant sur elle un regard rempli de commisération et de bonté:

– Ma bonne mère, il ne faut plus être inquiète de vos enfants; j’en aurai soin; ne songez donc qu’à vous guérir pour les aller bien vite retrouver!

Jeanne Duport croyait rêver.

À cette même place où le docteur Griffon et son studieux auditoire lui avaient fait subir une cruelle inquisition, elle voyait une jeune femme d’une ravissante beauté venir à elle avec des paroles de pitié, de consolation et d’espérance.

L’émotion de la sœur de Pique-Vinaigre était si grande qu’elle ne put prononcer une parole; elle joignit seulement les mains comme si elle eût prié, en regardant sa bienfaitrice inconnue avec adoration.

– Jeanne, Jeanne! lui dit tout bas la Lorraine, répondez donc à cette bonne dame… Puis la Lorraine ajouta, en s’adressant à la marquise: Ah! madame, vous la sauvez! Elle serait morte de désespoir en pensant à ses enfants, qu’elle voyait déjà abandonnés… N’est-ce pas, Jeanne?

– Encore une fois, rassurez-vous, ma bonne mère… n’ayez aucune inquiétude, reprit la marquise en pressant dans ses petites mains délicates et blanches la main brûlante de Jeanne Duport. Rassurez-vous, ne soyez plus inquiète de vos enfants; et même, si vous le préférez, vous sortirez aujourd’hui de l’hospice; on vous soignera chez vous: rien ne vous manquera. De la sorte, vous ne quitterez pas vos chers enfants… Si votre logement est insalubre ou trop petit, on vous en trouvera tout de suite un plus convenable, afin que vous soyez, vous dans une chambre et vos enfants dans une autre… Vous aurez une bonne garde-malade qui les surveillera tout en vous soignant… Enfin, lorsque vous serez rétablie, si vous manquez d’ouvrage, je vous mettrai à même d’attendre qu’il vous en arrive; et, dès aujourd’hui, je me charge de l’avenir de vos enfants!

– Ah! mon bon Dieu! Qu’est-ce que j’entends?… Les chérubins descendent donc du ciel comme dans les livres d’église! dit Jeanne Duport tremblante, égarée, osant à peine regarder sa bienfaitrice. Pourquoi tant de bontés pour moi? Qu’ai-je fait pour cela? Ça n’est pas possible! Moi, sortir de l’hospice, où j’ai déjà tant pleuré, tant souffert! Ne plus quitter mes enfants… avoir une garde-malade… Mais c’est comme un miracle du bon Dieu!

Et la pauvre femme disait vrai.

Si l’on savait combien il est doux et facile de faire souvent et à peu de frais de ces miracles!

Hélas! pour certaines infortunes abandonnées ou repoussées de tous, un salut immédiat, inespéré, accompagné de paroles bienveillantes, d’égards tendrement charitables, ne doit-il pas avoir, n’a-t-il pas l’apparence surnaturelle d’un miracle?…

Ainsi était-il humainement permis à Jeanne Duport, non pas d’espérer, mais seulement de rêver à la probabilité de la fortune inouïe que lui assurait Mme d’Harville?

– Ce n’est pas un miracle, ma bonne mère, répondit Clémence vivement émue; ce que je fais pour vous, ajouta-t-elle en rougissant légèrement au souvenir de Rodolphe, ce que je fais pour vous m’est inspiré par un généreux esprit qui m’a appris à compatir au malheur… c’est lui qu’il faut remercier et bénir…

– Ah! madame, je bénirai vous et les vôtres! dit Jeanne Duport en pleurant. Je vous demande pardon de m’exprimer si mal, mais je n’ai pas l’habitude de ces grandes joies… c’est la première fois que cela m’arrive.

– Eh bien! voyez-vous, Jeanne, dit la Lorraine attendrie, il y a aussi parmi les riches des Rigolettes et des Goualeuses… en grand, il est vrai, mais, quant au bon cœur, c’est la même chose!