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– Rodolphe, vous ne lui direz pas… que j’étais une mauvaise mère! articula lentement la comtesse qui déjà n’entendait plus.

Le bruit d’une voiture retentit sur les pavés sonores de la cour.

La comtesse ne s’en aperçut pas. Ses paroles devinrent de plus en plus incohérentes; Rodolphe était penché vers elle avec anxiété; il vit ses yeux se voiler.

– Pardon! ma fille… voir ma fille! Pardon!… au moins… après ma mort, les honneurs de mon rang! murmura-t-elle enfin.

Ce furent les derniers mots intelligibles de Sarah. L’idée fixe, dominante de toute sa vie revenait encore malgré son repentir sincère.

Tout à coup Murph entra.

– Monseigneur… la princesse Marie…

– Non! s’écria vivement Rodolphe, qu’elle n’entre pas! Dis à Seyton d’amener le ministre. Puis, montrant Sarah qui s’éteignait dans une lente agonie, Rodolphe ajouta:

– Dieu lui refuse la consolation suprême d’embrasser son enfant.

Une demi-heure après, la comtesse Sarah Mac-Gregor avait cessé de vivre.

XIV Bicêtre

Quinze jours s’étaient passés depuis que Rodolphe, en épousant Sarah in extremis, avait légitimé la naissance de Fleur-de-Marie.

C’était le jour de la mi-carême. Cette date établie, nous conduirons le lecteur à Bicêtre. Cet immense établissement, destiné, ainsi que chacun sait, au traitement des aliénés, sert aussi de lieu de refuge à sept ou huit cents vieillards pauvres, qui sont admis à cette espèce de maison d’invalides civils [15] lorsqu’ils sont âgés de soixante-dix ans ou atteints d’infirmités très-graves.

En arrivant à Bicêtre, on entre d’abord dans une vaste cour plantée de grands arbres, coupée de pelouses vertes ornées en été de plates-bandes de fleurs. Rien de plus riant, de plus calme, de plus salubre que ce promenoir spécialement destiné aux vieillards indigents dont nous avons parlé; il entoure les bâtiments où se trouvent, au premier étage, de spacieux dortoirs bien aérés, garnis de bons lits, et au rez-de-chaussée des réfectoires d’une admirable propreté, où les pensionnaires de Bicêtre prennent en commun une nourriture saine, abondante, agréable et préparée avec un soin extrême, grâce à la paternelle sollicitude des administrateurs de ce bel établissement.

Un tel asile serait le rêve de l’artisan veuf ou célibataire qui, après une longue vie de privations, de travail et de probité, trouverait là le repos, le bien-être qu’il n’a jamais connus.

Malheureusement le favoritisme qui de nos jours s’étend à tout, envahit tout, s’est emparé des bourses de Bicêtre, et ce sont en grande partie d’anciens domestiques qui jouissent de ces retraites, grâce à l’influence de leurs derniers maîtres.

Ceci nous semble un abus révoltant.

Rien de plus méritoire que les longs et honnêtes services domestiques, rien de plus digne de récompense que ces serviteurs qui, éprouvés par des années de dévouement, finissaient autrefois par faire presque partie de la famille; mais, si louables que soient de pareils antécédents, c’est le maître qui en a profité, et non l’État, qui doit les rémunérer.

Ne serait-il donc pas juste, moral, humain, que les places de Bicêtre et celles d’autres établissements semblables appartinssent de droit à des artisans choisis parmi ceux qui justifieraient de la meilleure conduite et de la plus grande infortune?

Pour eux, si limité que fût leur nombre, ces retraites seraient au moins une lointaine espérance qui allégerait un peu leurs misères de chaque jour. Salutaire espoir qui les encouragerait au bien, en leur montrant dans un avenir éloigné sans doute, mais enfin certain, un peu de calme, de bonheur pour récompense. Et, comme ils ne pourraient prétendre à ces retraites que par une conduite irréprochable, leur moralisation deviendrait pour ainsi dire forcée.

Est-ce donc trop de demander que le petit nombre de travailleurs qui atteignent un âge très-avancé à travers des privations de toutes sortes aient au moins la chance d’obtenir un jour à Bicêtre du pain, du repos, un abri pour leur vieillesse épuisée?

Il est vrai qu’une telle mesure exclurait à l’avenir de cet établissement les gens de lettres, les savants, les artistes d’un grand âge, qui n’ont pas d’autre refuge.

Oui, de nos jours, des hommes dont les talents, dont la science, dont l’intelligence ont été estimés de leur temps, obtiennent à grand-peine une place parmi ces vieux serviteurs que le crédit de leur maître envoie à Bicêtre.

Au nom de ceux-là qui ont concouru au renom, aux plaisirs de la France, de ceux-là dont la réputation a été consacrée par la voix populaire, est-ce trop demander que de vouloir pour leur extrême vieillesse une retraite modeste mais digne?

Sans doute c’est trop; et pourtant citons un exemple entre mille: on a dépensé huit ou dix millions pour le monument de la Madeleine, qui n’est ni un temple ni une église: avec cette somme énorme que de bien à faire! Fonder, je suppose, une maison d’asile où deux cent cinquante ou trois cents personnes jadis remarquables comme savants, poëtes, musiciens, administrateurs, médecins, avocats, etc., etc. (car presque toutes ces professions ont successivement leurs représentants parmi les pensionnaires de Bicêtre), auraient trouvé une retraite honorable.

Sans doute c’était là une question d’humanité, de pudeur, de dignité nationale pour un pays qui prétend marcher à la tête des arts, de l’intelligence et de la civilisation; mais l’on n’y a pas songé…

Car Hégésippe Moreau et tant d’autres rares génies sont morts à l’hospice ou dans l’indigence…

Car de nobles intelligences, qui ont autrefois rayonné d’un pur et vif éclat, portent aujourd’hui à Bicêtre la houppelande des bons pauvres.

Car il n’y a pas ici, comme à Londres, un établissement charitable [16] où un étranger sans ressource trouve au moins pour une nuit un toit, un lit et un morceau de pain…

Car les ouvriers qui vont en Grève chercher du travail et attendre les embauchements n’ont pas même pour se garantir des intempéries des saisons un hangar pareil à celui qui, dans les marchés, abrite le bétail en vente [17]. Pourtant la Grève est la Bourse des travailleurs sans ouvrage, et dans cette Bourse-là il ne se fait que d’honnêtes transactions, car elles n’ont pour fin que d’obtenir un rude labeur et un salaire insuffisant dont l’artisan paye un pain bien amer…

Car…

Mais l’on ne cesserait pas si l’on voulait compter tout ce que l’on a sacrifié d’utiles fondations à cette grotesque imitation de temple grec, enfin destiné au culte catholique.

Mais revenons à Bicêtre et disons, pour complètement énumérer les différentes destinations de cet établissement, qu’à l’époque de ce récit les condamnés à mort y étaient conduits après leur jugement. C’est donc dans un des cabanons de cette maison que la veuve Martial et sa fille Calebasse attendaient le moment de leur exécution, fixée au lendemain; la mère et la fille n’avaient voulu se pourvoir ni en grâce ni en cassation. Nicolas, le Squelette et plusieurs autres scélérats étaient parvenus à s’évader de la Force la veille de leur transfèrement à Bicêtre.

Nous l’avons dit, rien de plus riant que l’abord de cet édifice lorsqu’en venant de Paris on y entrait par la cour des Pauvres.