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– Il est vrai, ma tante, son ironie est terrible, peu de personnes échappent à ses mordantes plaisanteries. À Vienne on la craignait comme le feu… La princesse Amélie aurait-elle trouvé grâce devant elle?

– L’autre jour elle vint ici après avoir visité la maison d’asile placée sous la surveillance de la jeune princesse. Savez-vous une chose? me dit cette redoutable archiduchesse avec sa brusque franchise; j’ai l’esprit singulièrement tourné à la satire, n’est-ce pas? Eh bien! si je vivais longtemps avec la fille du grand-duc, je deviendrais, j’en suis sûre, inoffensive… tant sa bonté est pénétrante et contagieuse.

– Mais c’est donc une enchanteresse que ma cousine? dis-je à ma tante en souriant.

– Son plus puissant attrait, à mes yeux du moins, reprit ma tante, est ce mélange de douceur, de modestie et de dignité dont je vous ai parlé, et qui donne à son visage angélique l’expression la plus touchante.

– Certes, ma tante, la modestie est une rare qualité chez une princesse si jeune, si belle et si heureuse.

– Songez encore, mon cher enfant, qu’il est d’autant mieux à la princesse Amélie de jouir sans ostentation vaniteuse de la haute position qui lui est incontestablement acquise, que son élévation est récente [34].

– Et dans son entretien avec vous, ma tante, la princesse a-t-elle fait quelque allusion à sa fortune passée?

– Non; mais lorsque, malgré mon grand âge, je lui parlai avec le respect qui lui est dû, puisque Son Altesse est la fille de notre souverain, son trouble ingénu, mêlé de reconnaissance et de vénération pour moi, m’a profondément émue; car sa réserve, remplie de noblesse et d’affabilité, me prouvait que le présent ne l’enivrait pas assez pour qu’elle oubliât le passé, et qu’elle rendait à mon âge ce que j’accordais à son rang.

– Il faut, en effet, dis-je à ma tante, un tact exquis pour observer ces nuances si délicates.

– Aussi, mon cher enfant, plus j’ai vu la princesse Amélie, plus je me suis félicitée de ma première impression. Depuis qu’elle est ici, ce qu’elle a fait de bonnes œuvres est incroyable, et cela avec une réflexion, une maturité de jugement qui me confondent chez une personne de son âge. Jugez-en: à sa demande, le grand-duc a fondé à Gerolstein un établissement pour les petites filles orphelines de cinq ou six ans, et pour les jeunes filles orphelines aussi abandonnées, qui ont atteint seize ans, âge si fatal pour les infortunées que rien ne défend contre la séduction du vice ou l’obsession du besoin. Ce sont des religieuses nobles de mon abbaye qui enseignent et dirigent les pensionnaires de cette maison. En allant la visiter, j’ai eu souvent occasion de juger de l’adoration que ces pauvres créatures déshéritées ont pour la princesse Amélie. Chaque jour elle va passer quelques heures dans cet établissement, placé sous sa protection spéciale; et, je vous le répète, mon enfant, ce n’est pas seulement du respect, de la reconnaissance, que les pensionnaires et les religieuses ressentent pour Son Altesse, c’est presque du fanatisme.

– Mais c’est un ange que la princesse Amélie, dis-je à ma tante.

– Un ange, oui, un ange, reprit-elle, car vous ne pouvez vous imaginer avec quelle attendrissante bonté elle traite ses protégées, de quelle pieuse sollicitude elle les entoure. Jamais je n’ai vu ménager avec plus de délicatesse la susceptibilité du malheur; on dirait qu’une irrésistible sympathie attire surtout la princesse vers cette classe de pauvres abandonnées. Enfin, le croiriez-vous? elle, fille d’un souverain, n’appelle jamais autrement ces jeunes filles que mes sœurs.

À ces derniers mots de ma tante, je vous l’avoue, Maximilien, une larme me vint aux yeux. Ne trouvez-vous pas en effet belle et sainte la conduite de cette jeune princesse? Vous connaissez ma sincérité, je vous jure que je vous rapporte et que je vous rapporterai toujours presque textuellement les paroles de ma tante.

– Puisque la princesse, lui dis-je, est si merveilleusement douée, j’éprouverai un grand trouble lorsque demain je lui serai présenté; vous connaissez mon insurmontable timidité, vous savez que l’élévation du caractère m’impose encore plus que le rang: je suis donc certain de paraître à la princesse aussi stupide qu’embarrassé; j’en prends mon parti d’avance.

– Allons, allons, me dit ma tante en souriant, elle aura pitié de vous, mon cher enfant, d’autant plus que vous ne serez pas pour elle une nouvelle connaissance.

– Moi, ma tante?

– Sans doute.

– Et comment cela?

– Vous vous souvenez que, lorsqu’à l’âge de seize ans vous avez quitté Oldenzaal pour faire un voyage en Russie et en Angleterre avec votre père, j’ai fait faire de vous un portrait dans le costume que vous portiez au premier bal costumé donné par feu la grande-duchesse.

– Oui, ma tante, un costume de page allemand du XVIe siècle.

– Notre excellent peintre Fritz Mocker, tout en reproduisant fidèlement vos traits, n’avait pas seulement retracé un personnage du XVIe siècle; mais, par un caprice d’artiste, il s’était plu à imiter jusqu’à la manière et jusqu’à la vétusté des tableaux peints à cette époque. Quelques jours après son arrivée en Allemagne, la princesse Amélie, étant venue me voir avec son père, remarqua votre portrait et me demanda naïvement quelle était cette charmante figure des temps passés. Son père sourit, me fit un signe, et lui répondit: «Ce portrait est celui d’un de nos cousins, qui aurait maintenant, vous le voyez, à son costume, ma chère Amélie, quelque trois cents ans, mais qui, bien jeune, avait déjà témoigné d’une rare intrépidité et d’un cœur excellent; ne porte-t-il pas, en effet, la bravoure dans le regard et la bonté dans le sourire?»

(Je vous en supplie, Maximilien, ne haussez pas les épaules avec un impatient dédain en me voyant écrire de telles choses à propos de moi-même; cela me coûte, vous devez le croire; mais la suite de ce récit vous prouvera que ces puérils détails, dont je sens le ridicule amer, sont malheureusement indispensables. Je ferme cette parenthèse, et je continue.)

– La princesse Amélie, reprit ma tante, dupe de cette innocente plaisanterie, partagea l’avis de son père sur l’expression douce et fière de votre physionomie, après avoir plus attentivement considéré le portrait. Plus tard, lorsque j’allai la voir à Gerolstein, elle me demanda, en souriant, des nouvelles de son cousin des temps passés. Je lui avouai alors notre supercherie, lui disant que le beau page du XVIe siècle était simplement mon neveu, le prince Henri d’Herkaüsen-Oldenzaal, actuellement âgé de vingt et un ans, capitaine aux gardes de S. M. l’empereur d’Autriche, et en tout, sauf le costume, fort ressemblant à son portrait. À ces mots, la princesse Amélie, ajouta ma tante, rougit et redevint sérieuse, comme elle l’est presque toujours. Depuis elle ne m’a naturellement jamais reparlé du tableau. Néanmoins, vous voyez, mon cher enfant, que vous ne serez pas complètement étranger et un nouveau visage pour votre cousine, comme dit le grand-duc. Ainsi donc, rassurez-vous, et soutenez l’honneur de votre portrait, ajouta ma tante en souriant.