Rigolette avait dix-huit ans à peine, une taille moyenne, petite même, mais si gracieusement tournée, si finement cambrée, si voluptueusement arrondie… mais qui répondait si bien à sa démarche à la fois leste et furtive, qu’elle paraissait accomplie: un pouce de plus lui eût fait beaucoup perdre de son gracieux ensemble; le mouvement de ses petits pieds, toujours irréprochablement chaussés de bottines de casimir à noir à semelle un peu épaisse, rappelait l’allure alerte, coquette et discrète de la caille ou de la bergeronnette. Elle ne semblait pas marcher, elle effleurait le pavé; elle glissait rapidement à sa surface.
Cette démarche particulière aux grisettes, à la fois agile, agaçante et légèrement effarouchée, doit être sans doute attribuée à trois causes:
À leur désir d’être trouvées jolies;
À leur crainte d’une admiration traduite… par une pantomime trop expressive;
À la préoccupation qu’elles ont toujours de perdre le moins de temps possible dans leurs pérégrinations.
Rodolphe n’avait encore vu Rigolette qu’au sombre jour de la mansarde des Morel ou sur un palier non moins obscur; il fut donc ébloui de l’éclatante fraîcheur de la jeune fille lorsqu’il entra doucement dans une chambre éclairée par deux larges croisées. Il resta un moment immobile, frappé du gracieux tableau qu’il avait sous les yeux.
Debout devant une glace placée au-dessus de sa cheminée, Rigolette finissait de nouer sous son menton les brides de ruban d’un petit bonnet de tulle brodé, orné d’une légère garniture piquée de faveur cerise; ce bonnet, très-étroit de passe, posé très-en arrière, laissait bien à découvert deux larges et épais bandeaux de cheveux lisses, brillants comme du jais, tombant très-bas sur le front; ses sourcils fins, déliés, semblaient tracés à l’encre et s’arrondissaient au-dessus de deux grands yeux noirs éveillés et malins; ses joues fermes et pleines se veloutaient du plus frais incarnat, frais à la vue, frais au toucher comme une pêche vermeille imprégnée de froide rosée du matin.
Son petit nez relevé, espiègle, effronté, eût fait la fortune d’une Lisette ou d’une Marion; sa bouche un peu grande, aux lèvres bien roses, bien humides, aux petites dents blanches, serrées, perlées, était rieuse et moqueuse; de trois charmantes fossettes qui donnaient une grâce mutine à sa physionomie, deux se creusaient aux joues, l’autre au menton, non loin d’un grain de beauté, petite mouche d’ébène meurtrièrement posée au coin de la bouche.
Entre un col garni, largement rabattu, et le fond du petit bonnet, froncé par un ruban cerise, on voyait la naissance d’une forêt de beaux cheveux si parfaitement tordus et relevés que leur racine se dessinait aussi nette, aussi noire que si elle eût été peinte sur l’ivoire de ce charmant cou.
Une robe de mérinos raisin de Corinthe, à dos plat et à manches justes, faites avec amour par Rigolette, révélait une taille tellement mince et svelte que la jeune fille ne portait jamais de corset!… par économie. Une souplesse, une désinvolture inaccoutumées dans les moindres mouvements des épaules et du corsage, qui rappelaient la moelleuse ondulation des allures de la chatte, trahissaient cette particularité.
Qu’on se figure une robe étroitement collée aux formes rondes et polies du marbre, et l’on conviendra que Rigolette pouvait parfaitement se passer de l’accessoire de toilette dont nous avons parlé. La ceinture d’un petit tablier de levantine gros vert entourait sa taille, qui eût tenu entre les dix doigts.
Confiante dans la solitude où elle croyait être, car Rodolphe restait toujours à la porte, immobile et inaperçu, Rigolette, après avoir lustré ses bandeaux du plat de sa main mignonne, blanche et parfaitement soignée, mit son petit pied sur une chaise et se courba pour resserrer le lacet de sa bottine. Cette opération intime ne put s’accomplir sans exposer aux yeux indiscrets de Rodolphe un bas de coton blanc comme la neige et la moitié d’une jambe d’un galbe pur et irréprochable.
D’après le récit détaillé que nous avons fait de sa toilette, on devine que la grisette avait choisi son plus joli bonnet et son plus joli tablier pour faire honneur à son voisin dans leur visite au Temple.
Elle trouvait le prétendu commis marchand fort à son gré: sa figure à la fois bienveillante, fière et hardie, lui plaisait beaucoup; puis il se montrait si compatissant envers les Morel, en leur cédant généreusement sa chambre, que, grâce à cette preuve de bonté, et peut-être aussi grâce à l’agrément de ses traits, Rodolphe avait, sans s’en douter, fait un pas de géant dans la confiance de la couturière.
Celle-ci, d’après ses idées pratiques sur l’intimité forcée et les obligations réciproques qu’impose le voisinage, s’estimait très-franchement heureuse de ce qu’un voisin tel que Rodolphe venait succéder au commis voyageur, à Cabrion et à François Germain; car elle commençait à trouver que l’autre chambre restait bien longtemps vacante, et elle craignait surtout de ne pas la voir occupée d’une manière convenable.
Rodolphe profitait de son invisibilité pour jeter un coup d’œil curieux dans ce logis, qu’il trouvait encore au-dessus des louanges que Mme Pipelet avait accordées à l’excessive propreté du modeste ménage de Rigolette.
Rien de plus gai, de mieux ordonné que cette pauvre chambrette.
Un papier gris à bouquets verts couvrait les murs; le carreau mis en couleur, d’un beau rouge, luisait comme un miroir. Un poêle de faïence blanche était placé dans la cheminée, où l’on avait symétriquement rangé une petite provision de bois coupé si court, si menu, que sans hyperbole on pouvait comparer chaque morceau à une énorme allumette.
Sur la cheminée de pierre figurant du marbre gris, on voyait pour ornements deux pots à fleurs ordinaires, peints d’un beau vert émeraude, et dès le printemps toujours remplis de fleurs communes, mais odorantes; un petit cartel de buis renfermant une montre d’argent tenait lieu de pendule; d’un côté brillait un bougeoir de cuivre étincelant comme de l’or, garni d’un bout de bougie; de l’autre côté brillait, non moins resplendissante, une de ces lampes formées d’un cylindre et d’un réflecteur de cuivre monté sur une tige d’acier et sur un pied de plomb. Une assez grande glace carrée, encadrée d’une bordure de bois noir, surmontait la cheminée.
Des rideaux en toile perse, grise et verte, bordés d’un galon de laine, coupés, ouvrés, garnis par Rigolette, et aussi posés par elle sur leurs légères tringles de fer noircies, drapaient les croisées et le lit, recouvert d’une courtepointe pareille; deux cabinets à vitrage, peints en blanc, placés de chaque côté de l’alcôve, renfermaient sans doute les ustensiles de ménage, le fourneau portatif, la fontaine, les balais, etc., etc., car aucun de ces objets ne déparait l’aspect coquet de cette chambre.
Une commode d’un beau bois de noyer bien veiné, bien lustré, quatre chaises du même bois, une grande table à repasser et à travailler, recouverte d’une de ces couvertures de laine verte que l’on voit dans quelques chaumières de paysans, un fauteuil de paille avec son tabouret pareil, siège habituel de la couturière, tel était ce modeste mobilier.