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– Je ne m’intéresse pas du tout à vous, reprit brutalement le notaire. Votre père étant l’honneur même, je n’aurais pas voulu voir son nom à la cour d’assises: voilà tout.

– Je vous répète, monsieur, que je suis incapable de l’infamie dont on m’accuse.

– Vous direz cela à M. Petit-Jean.

– Mais je l’avoue, l’absence de M. Smith, qui a indignement abusé de ma bonne foi…

– Infâme Smith!

– L’absence de M. Smith me met dans un cruel embarras; je suis innocent; qu’on m’accuse, je le prouverai; mais une telle accusation flétrit toujours un galant homme.

– Après?

– Soyez assez généreux pour employer la somme que je viens de vous remettre à désintéresser en partie la personne qui a cette traite entre les mains.

– Cet argent appartient à mon client, il est sacré!

– Mais dans deux ou trois jours je le rembourserai.

– Vous ne le pourrez pas.

– J’ai des ressources.

– Aucunes… d’avouables du moins. Votre mobilier, vos chevaux ne vous appartiennent plus, dites-vous… ce qui m’a l’air d’une fraude indigne.

– Vous êtes bien dur, monsieur. Mais, en admettant cela, ne ferai-je pas argent de tout dans une extrémité aussi désespérée? Seulement, comme il m’est impossible de me procurer d’ici à demain midi cent mille francs, je vous en conjure, employez l’argent que je viens de vous remettre à retirer cette malheureuse traite; ou bien… vous qui êtes si riche… faites-moi cette avance, ne me laissez pas dans une position pareille…

– Moi, répondre de cent mille francs pour vous! Ah çà! vous êtes donc fou?

– Monsieur, je vous en supplie… au nom de mon père… dont vous m’avez parlé… soyez assez bon pour…

– Je suis bon pour ceux qui le méritent, dit rudement le notaire; honnête homme, je hais les escrocs, et je ne serais pas fâché de voir un de ces beaux fils sans foi ni loi, impies et débauchés, une bonne fois attaché au pilori pour servir d’exemple aux autres… Mais j’entends vos chevaux qui s’impatientent, monsieur le vicomte, dit le notaire en souriant du bout de ses dents noires.

À ce moment on frappa à la porte du cabinet.

– Qu’est-ce? dit Jacques Ferrand.

– Madame la comtesse d’Orbigny, dit le maître clerc.

– Priez-la d’attendre un moment.

– C’est la belle-mère de la marquise d’Harville! s’écria M. de Saint-Remy.

– Oui, monsieur; elle a rendez-vous avec moi; ainsi, serviteur.

– Pas un mot de ceci, monsieur! s’écria M. de Saint-Remy d’un ton menaçant.

– Je vous ai dit, monsieur, qu’un notaire était aussi discret qu’un confesseur.

Jacques Ferrand sonna; le clerc parut.

– Faites entrer Mme d’Orbigny. Puis, s’adressant au vicomte: «Prenez ces treize cent francs, monsieur, ce sera toujours un à-compte pour M. Petit-Jean.»

Mme d’Orbigny (autrefois Mme Roland) entra au moment où M. de Saint-Remy sortait, les traits contractés par la rage de s’être inutilement humilié devant le notaire.

– Eh! bonjour, monsieur de Saint-Remy, lui dit Mme d’Orbigny; combien il y a de temps que je ne vous ai vu…

– En effet, madame, depuis le mariage de d’Harville, dont j’étais témoin, je n’ai pas eu l’honneur de vous rencontrer, dit M. de Saint-Remy en s’inclinant et en donnant tout à coup à ses traits une expression affable et souriante. Depuis lors, vous êtes toujours restée en Normandie?

– Mon Dieu! oui; M. d’Orbigny ne peut vivre maintenant qu’à la campagne… et ce qu’il aime, je l’aime… Aussi, vous voyez en moi une vraie provinciale: je ne suis pas venue à Paris depuis le mariage de ma chère belle-fille avec cet excellent M. d’Harville… Le voyez-vous souvent?

– D’Harville est devenu très-sauvage et très-morose. On le rencontre assez peu dans le monde, dit M. de Saint-Remy avec une nuance d’impatience, car cet entretien lui était insupportable, et par son inopportunité, et parce que le notaire semblait s’en amuser beaucoup. Mais la belle-mère de Mme d’Harville, enchantée de cette rencontre avec un élégant, n’était pas femme à lâcher sitôt sa proie.

– Et ma chère belle-fille, reprit-elle, n’est pas, je l’espère, aussi sauvage que son mari?

– Mme d’Harville est fort à la mode et toujours fort entourée, ainsi qu’il convient à une jolie femme; mais je crains, madame, d’abuser de vos moments… et…

– Mais pas du tout, je vous assure. C’est une bonne fortune pour moi de rencontrer l’élégant des élégants, le roi de la mode; en dix minutes, je vais être au fait de Paris comme si je ne l’avais jamais quitté… Et votre cher M. de Lucenay, qui était avec vous le témoin du mariage de M. d’Harville?

– Plus original que jamais: il part pour l’Orient, et il en revient juste à temps pour recevoir hier matin un coup d’épée, fort innocent du reste.

– Ce pauvre duc! Et sa femme, toujours belle et ravissante?

– Vous savez, madame, que j’ai l’honneur d’être un de ses meilleurs amis, mon témoignage à ce sujet serait suspect… Veuillez, madame, à votre retour aux Aubiers, me faire la grâce de ne pas m’oublier auprès de M. d’Orbigny.

– Il sera très-sensible, je vous assure, à votre aimable souvenir; car il s’informe souvent de vous, de vos succès… Il dit toujours que vous lui rappelez le duc de Lauzun.

– Cette comparaison seule est tout un éloge; mais, malheureusement pour moi, elle est beaucoup plus bienveillante que vraie. Adieu, madame; car je n’ose espérer que vous puissiez me faire l’honneur de me recevoir avant votre départ.

– Je serais désolée que vous prissiez la peine de venir chez moi!… Je suis tout à fait campée pour quelques jours en hôtel garni, mais si, cet été ou cet automne, vous passez sur notre route en allant à quelqu’un de ces châteaux à la mode où les merveilleuses se disputent le plaisir de vous recevoir… accordez-nous quelques jours, seulement par curiosité de contraste, et pour vous reposer chez de pauvres campagnards de l’étourdissement de la vie de château si élégante et si folle… car c’est toujours fête où vous allez!…

– Madame…

– Je n’ai pas besoin de vous dire combien M. d’Orbigny et moi nous serons heureux de vous recevoir… Mais, adieu, monsieur; je crains que le bourru bienfaisant (elle montra le notaire) ne s’impatiente de nos bavardages.

– Bien au contraire, madame, bien au contraire, dit Ferrand avec un accent qui redoubla la rage contenue de M. de Saint-Remy.

– Avouez que M. Ferrand est un homme terrible, reprit Mme d’Orbigny en faisant l’évaporée. Mais prenez garde; puisqu’il est heureusement pour vous chargé de vos affaires, il vous grondera furieusement, c’est un homme impitoyable. Mais que dis-je?… au contraire… un merveilleux comme vous… avoir M. Ferrand pour notaire… mais c’est un brevet d’amendement; car on sait bien qu’il ne laisse jamais faire de folies à ses clients, sinon il leur rend leurs comptes… Oh! il ne veut pas être le notaire de tout le monde… Puis, s’adressant à Jacques Ferrand: – Savez-vous, monsieur le puritain, que c’est une superbe conversion que vous avez faite là… rendre sage l’élégant par excellence, le roi de la mode?