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Donc, s’il descendait, il retombait à l’abominable cauchemar des cadavres, il s’engouffrait dans la folie. S’il remontait, à peine sa tête pâle apparaîtrait-elle à l’orifice qu’il serait assommé, précipité parmi les cadavres…

Pardaillan, ses deux bras et ses deux jambes frénétiquement serrés autour de la poutre, s’arrêta, haletant, hagard, la tête perdue. Soudain, la rumeur dans la salle s’apaisa d’un coup, et il entendit une voix, il reconnut la voix qui disait:

– Que se passe-t-il?… Où est le condamné?…

Et Pardaillan entendit qu’on répondait:

– Votre Sainteté peut voir que le sire de Pardaillan a été précipité par nos hommes; mais il nous en coûte cher! Quel carnage!… Il en a précipité une douzaine et assommé les autres… Voyez!…

Pardaillan, leva la tête et aperçut des ombres qui se penchaient. Distinctement, il reconnut Fausta. Il la vit pendant près d’une minute. Il entendit le rauque soupir qui s’exhala de son sein. Puis, lentement, elle se redressa. L’homme qui avait parlé dit alors:

– Heureuse idée qu’a eue Votre Sainteté de faire établir la nasse…

«La nasse!» gronda Pardaillan en lui-même, avec une nouvelle épouvante.

– De cette façon, continuait l’homme, il n’y a plus de fuite possible, comme c’est arrivé pour Claude…

Il y eut quelques instants de silence. Pardaillan, songeait.

«Ils vont s’en aller; alors je remonterai; et puisqu’ils me croient mort, j’ai des chances de m’en tirer; mais qu’est-ce que cette nasse?…»

Il y eut dans la salle des allées et venues; puis, plus lointaine, mais distincte encore, il entendit la voix de Fausta:

– Que demain on ouvre la nasse afin que ces corps puissent s’en aller au fil de l’eau… et qu’on referme la trappe…

Dans le même instant, cette lueur vague qu’il voyait au-dessus de sa tête s’éteignit brusquement, et il entendit un bruit sourd, c’était la trappe qui se refermait! le trou carré que l’on bouchait!…

Pardaillan reçut alors le choc des désespoirs sans remède: il était perdu: rien ne pouvait le sauver. En effet, toute issue lui était bouchée par en haut. Et quant à fuir par le fleuve, il comprenait maintenant que c’était impossible! Il comprenait pourquoi l’eau n’avait pas entraîné les cadavres! Il comprenait, il imaginait que l’infernale Fausta, probablement à la suite de quelque aventure semblable à la sienne, à la suite d’une évasion, avait fait établir une sorte de puits en treillis plongeant sans doute jusqu’au lit du fleuve, ou mieux formant, comme avait dit l’homme, une nasse d’où on ne pouvait sortir!…

Dans un dernier effort, il se hissa jusqu’au point où venait s’arc-bouter la poutre diagonale par laquelle il était descendu, et il put s’asseoir sur la fourche que cela formait. Il était temps!… Il était à bout de force et de souffle… Mais là, il respira, et presque aussitôt, dans cette âme formidable, la réaction s’opéra…

À cheval sur la fourche, le dos appuyé à la poutre diagonale, Pardaillan éprouva alors une détente, un repos du corps et de l’esprit qui lui parut un délice. Toutes ces sensations d’horreur et de terreur qu’il avait éprouvées disparurent; il ferma les yeux: il eut un sourire, et un grand apaisement se fit en lui… Sa pensée endolorie luttait avec peine contre la fatigue: mais il se surprit à plaisanter avec lui-même.

– Dans la nasse! murmura-t-il avec un grognement indistinct. Ni plus ni moins qu’un goujon de Seine! Mais je ne suis pas un goujon, madame!… L’idée est extravagante de vouloir que je sois goujon…Ah! madame… la nasse… le goujon… la…

Brusquement, ce murmure se tut. Il n’y eut plus rien que le souffle régulier d’une respiration, et en bas, le glissement soyeux de l’eau, les tamponnements flous des cadavres qui se heurtaient mollement et continuaient leur ronde macabre…

Pardaillan dormait!…